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Son regard ne quitte pas le mur depuis une dizaine de minutes. Celui-ci semble se mouvoir par une volonté qui lui semble propre. Il avance et recule, il résonne comme les amplis d'un mur du son. Ses pupilles trop grandes voient également les couleurs changeaient. Le blanc sale devient parfois jaune, vert ou même orange, et il sourit face à ce spectacle qui lui fait penser à un paquet de bonbons. Le sucre manque à Jessie autant que ses amis, mais pour une fois il n'y pense pas. Il est trop défoncé, dans un état second qui lui permet d'oublier que ses conneries lui ont fait perdre tout ce qu'il aime. Un sourire enfantin sur le visage, il se tourne vers sa voisine – la fille aux cheveux blancs qui dort sur le carton juste à côté de lui.

— Eh toi. Je peux t'appeler Lucy ?, dit-il en se mettant à chantonner une chanson des Beatles. Il avance vers elle en rampant sur le sol, ses fringues déjà sales se couvrant d'une couche supplémentaire de poussière. Tu es toute seule. La simplicité de la phrase l'effrayerait en temps normal – elle est aussi seule que lui après tout – mais pas aujourd'hui. Il se sent compatissant, il veut arranger les choses que les gens soient aussi heureux que lui. Il sort de sa poche un sachet rempli de buvards. Tiens, ouvre la bouche, ordonne-t-il après en avoir remis un à fondre sur sa langue. Il lui tend le papier aux couleurs psychédéliques. T'as l'air moins conne que les autres. Ce n'est pas comme ça qu'on parle à un inconnu, réalise-t-il soudainement, mais ils sont dans un monde différent ici. Les conventions meurent une fois la porte passée, et l'enfant élevé par une bande de hippie qu'il est ne sait que trop bien s'y accommoder.

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Lucy. Lu-cy. L, U, C, Y. Lucy, Lucy, Lucy. Les syllabes glissent vers elle, la mélodie chantonnée lui rappelle qu'elle n'a pas de musique dans ses écouteurs. C'est à elle qu'on parle – elle croit. Son regard balaye à droite, à gauche, oui, c'est bien elle « Lucy ». A quoi elle pensait ? A rien, c'est bien le rien – c'est l'effet qu'elle recherchait. Elle se redresse, pose finalement ses yeux sur celui qui l'appelle. Son prénom à lui, il lui échappe, mais elle le connaît. Elle réponds avec un petit sourire.

« C'est bien Lucy, comme prénom. J'aime bien. » Note-t-elle avec simplicité. Inga, Lucy, qu'est-ce que ça change. « Toute seule ? Non il y a... » Elle cherche son chat des yeux, avant de réaliser que celui-ci n'est pas là. Il ne partirai pas sans elle. Elle a dû l'enfermer au boulot, encore une fois. Elle ne pense pas à finir sa phrase, se contente de soupirer. Inga ouvre la bouche comme on lui dit – exit les paroles de ses parents qui disent « on accepte rien de la part des inconnus », elles n'ont pas lieu d'être dans un endroit pareil, ni à cet instant. « Pourquoi ? » Inga mordille une mèche de ses cheveux, fixe le brun avec une pointe de curiosité. « Je me demande bien pourquoi. » Répète-t-elle un peu distraitement. Voilà qu'elle se demande ce qu'il peut bien penser d'elle, ce garçon en face d'elle.

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Il lui offre son plus sourire, avec cette gentille fille qui accepte de lui adresser la parole. Elle est gentille, Jessie quitte quelques instants le monde de la solitude pour trouver une sorte de réconfort dans la présence de la blonde. De Lucy. Une nouvelle amie pour les heures qui suivent, il ne demande rien de plus. Finie l'époque où il se projetait dans un futur plus lointain, où il aimait se voir entouré de personnes pour les années à venir. Il abandonne cette utopie pour se contenter de la facilité procurée par la drogue sur son organisme.

— Tu vas voir, tu vas planer, dit-il avec un air satisfait. Les couleurs bougent à nouveau alors qu'il pose sa tête sur les jambes de cette fille débarquée depuis peu. Il se doute qu'elle y était déjà, dans un univers parallèle, transportée depuis des heures. Ils n'ont que ça ici, une poudre pour oublier, une pullule pour rire et un peu d'herbe pour arrêter de fumer. Il la regarde étonné, avec ces yeux d'enfants qui semblent découvrir le monde. Je sais pas. C'était quoi la question ?, demande-t-il calmement, oubliant à jamais que c'est lui qui a commencé cette conversation. Tu es russe Lucy ? J'aime bien les russes. J'en connais un très drôle, il a un pyjama rose à cupcakes.

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Une seconde il est là devant elle, la seconde après, il a la tête sur ses jambes sans qu'elle ne réalise, et Inga a un petit sourire attendri. Elle caresse distraitement ses cheveux, d'un geste tout à fait naturel alors que son regard se perds dans un petit détail qui a attiré son attention, un peu là-bas. Planer, oui, c'est le mot. En permanence, ailleurs.  Elle a un petit rire. Il a un air enfantin, innocent, Inga sent un élan d'affection pour cet inconnu.

« Je sais pas. Ça devait pas être très important, de toute façon. » Important, mais qu'est-ce qui est important – pas la question qui avait été posée, en tout cas. Inga continue de jouer avec les cheveux du brun, toujours un sourire aux lèvres. « Ah oui ? J'en connais, aussi. Trois russes, des frères. » Sa famille, détail qui n'as pas besoin d'être précisé. Elle fredonne une berceuse russe dont l'air lui revient vaguement.

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La main de l'inconnue dans ses cheveux le fait voyager, il atteint un monde merveilleux loin de ses soucis quotidiens. Pour la première fois depuis une éternité, Jessie est serein. Il ne sent plus menacer par les agressions d'un monde trop moche pour son esprit encore enfantin. La douceur les entoure comme une bulle chaude et rassurante qui les préserverait à tout jamais dans cet état second provoqué par la drogue colorée. Il oublie tout – le peu d'espoir qu'il gardait en l'humanité, la peur du lendemain, toutes ces choses qui l'empêchent de dormir la nuit. Rien d'autre n'importe que Lucy et ses gestes rassurants. Lucy qui semble voler dans le ciel, heureuse, entouré d'étoiles brillantes comme des diamants.

— Rien n'est important. Sa voix est légère mais sûre. Jessie a perdu tout ce qu'il avait d'important dans sa vie, le reste ne compte pas à ses yeux. Trois frères, murmure-t-il en jouant avec le tee-shirt de la blonde. Les Bolgarov, ils sont pas si méchants. Sa phrase l'étonne, il ne s'attendait pas à se rappeler du nom des autres. Il veut tout oublier – tout. Il sort un paquet de cigarettes un peu écrasé de sa poche et en cale une entre les lèvres de Lucy. Il l'allume, fait de même avec la sienne. Ses yeux se ferment, elle chante. Il trouve dans ce moment le souvenir d'une présence maternelle qui l'emporte au loin, dans une petite maison à Fowey.

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« Mais si, regarde. Des moments comme ça, c'est important. » dit-elle avec une simplicité.Tout est plus simple quand on ne se prends pas la tête pour des milliers de choses – il ne se rendent pas compte, les autres, le nombre de choses insignifiantes dont ils s'occupent. Ici, Inga redécouvre quelque chose de simple. Sa main dans les cheveux de Max, la chanson qu'elle fredonne, la douceur de ses gestes, voilà des choses importantes. Elle ferme les yeux, profite de ces instants. Ils n'ont rien compris, les autres, ceux qui les jugent un peu trop rapidement.

« Tu connais les Bolgarov ? » Inga tique – ce nom, c'est le sien, dans la bouche de Max, qui ne connaît même pas son vrai prénom. Elle coince la cigarette entre ses doigts, repense à ces trois Bolgarov là. « Y'a des gens qu'ils pensent qu'ils sont méchants ? » Une idée qui lui semble étrange, mais maintenant, elle se questionne – qu'est-ce que pense les gens ici, des Bolgarov, de sa famille ?

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— Peut-être que tu es importante alors, dit-il de sa voix d'enfant.

Il n'est pas sûr lui-même de le penser. Il n'est pas sûr de quoi que ce soit à vrai dire. Il se contente d'être là, ni trop heureux ni trop triste, il oublie de se torturer l'esprit. La fumée de cigarette semble avoir des formes bizarres mais il aime ça. Il aimerait y voir un bateau – comme celui de Gandalf. Il la regarde sans comprendre. S'il n'était pas défoncé, Lucy lui ferait presque peur. Elle ne peut pas être liée à son ancienne vie – celle qu'il a abandonnée en venant ici.

— Tu connais les Bolgarov ?, répète-t-il en tentant d'attraper sa fumée qui s'échappe. Elle ne peut pas, elle n'est pas de leur monde. Ou peut-être bien que si, que la magie coule dans ses veines. Jessie ne sait pas, il ne sait rien. Il a peur de poser la question, que la main quitte ses cheveux. C'est quoi ton patronus Lucy ? Le délire d'un garçon trop défoncé, se dira-t-elle peut-être.

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Importante, elle veut bien l'être, au moins pour quelqu'un. Pour Wendy, pour Max, peu importe, il suffit que quelqu'un lui dise. C'est un sentiment agréable, qu'être important. Elle esquisse un sourire, murmure un « merci » qu'il n'entends probablement pas.

« Hein ? » La blonde cligne des yeux, alors qu'il lui retourne la question. Elle hausse les épaules. Tout le monde s'en fous de qui elle connaît – mais ses yeux étudient le visage de Max, tente de savoir pourquoi cette question- mais la suivante la surprends encore plus, elle arrondit les yeux. « Mon patronus ? » Elle laisse la cigarette se consumer toute seule pendant un moment, suspends son geste dans les cheveux du brun – un sorcier, ici ? Combien de chance avait-elle de tomber sur un sorcier. « Une cigogne. » répond-t-elle finalement, reprenant ses mouvements comme si de rien était.

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La réponse est peut-être celle qu'il attendait, il ne sait pas vraiment. Savoir qu'elle est comme une lui – une sorcière dans un lieu perdu où personne ne croit désormais à la magie, bien trop synonyme de conte de fées dans un endroit où seule la crasse et le désespoir règnent en maîtres – ça lui réchauffe le cœur. Jessie n'est pas seul, Jessie n'est pas perdu. Il a une amie, temporaire, provisoire mais une amie quand même. Elle s'appelle Lucy et elle est belle comme le jour, belle comme la nuit. Il la regarde pour ancrer son visage dans sa mémoire, il aimerait s'en souvenir demain, quand il aura descendu, quand le manque grondera dans ses veines et qu'il pleurera à nouveau.

— J'aime beaucoup les cigognes. Une conversation sans le moindre sens, ils errent tous les deux à la recherche de quelque chose perdu, il en est persuadé. Le mégot de cigarette est lâché à même le sol, il se fiche de salir, de rendre encore plus laid ce taudis qu'il ose appeler maison. Et sa main se lève, touche le visage de cette Lucy qu'il ne connaît pas, qui semble si proche et si loin. Moi c'est un phoque, tu aimes les phoques ? L'importance capitale de la réponse se fait sentir dans sa voix, Jessie a peur d'être rejeté à cause d'un animal souvent délaissé.

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Il y a quelque chose de rassurant à savoir qu'il est comme elle – un sorcier tout aussi paumé, pas une de ses personnes qui mènent une vie exemplaire sans accroc. Du bout des doigts, elle caresse le contour du visage de Max, un geste que sa mère faisait lorsqu'elle n'était encore qu'un bébé. Sa main contre son visage lui arrache un sourire. Il ne la connais pas, pourtant elle lui se sent plus proche de lui des personnes qu'elle connaît.

« J'adore les phoques. » dit-elle d'un ton rassurant. Elle n'a jamais vu un phoque, vraiment, elle ne voit que vaguement à quoi ça ressemble, mais quelque chose lui dit que c'est important pour lui. « J'ai jamais vu de phoque, en fait. Tu as déjà vu des cigognes ? On dit qu'avoir une cigogne sur le toit de sa maison, ça porte bonheur. »

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Lucy aime les phoques et il ne peut s'empêcher de sourire, profondément heureux. Il a l'impression qu'il pourrait mourir à cet instant, en paix avec lui-même. Lucy aime les phoques, elle l'accepte comme il est. C'est ce qu'il y voit Jessie, la fin d'un moment de souffrance, un peu de douceur dans un monde de cruauté sans limite. Il ferme les yeux, se laisse bercer par cette voix si délicate, cette voix qui n'appartient qu'à elle, qu'à Lucy. De l'anglais, un accent russe, Jessie se sent heureux, à sa place pour la première fois depuis longtemps.

— Une fois ou deux, dit-il dans un murmure à peine audible. C'est plutôt cool. Mais quoi, leur patronus ou le fait d'être moins seul, de retrouver un semblant de normalité dans la présence d'un autre sorcier dans ce squat perdu. Un jour, on ira en voir, des phoques. Il est sûr de ce qu'il affirme Jessie, mais ce ne sera sûrement plus le cas demain, quand la réalité les aura rattrapé, quand ils se rendront compte qu'ils ne quitteront sûrement jamais ces cartons sales. Mais il ne lui reste plus que ça, des rêves plein la tête dans un moment de défonce.

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Voir des phoques – Inga l'ajoute sur sa liste de choses à réaliser, liste qui se rempli de choses aussi surprenantes qu’irréalisables, mais qui – sur l'instant, lorsque son esprit se perd – lui semblent parfaitement réalisables. Elle rêve naïvement à ces phoques que Max lui fera voir. Savoir quand n'est pas très important : c'est simplement l'idée d'avoir un but, quelque chose à faire plutôt qu'errer sans grande ambition. C'est simplement le fait de rêver, quelques instants.

Elle arrête de caresser le visage de Max, attrape son sac à dos en bazar dans lequel elle fouille – sans grande raison, au premier abord . La blonde attrape le lecteur cassette, en ressort sa cassette préférée qu'elle tends à Max.

« Tiens. C'est un cadeau, pour toi. » Inga lui offre un grand sourire. « Je t'aime bien. » fait-elle en s'appuyant contre le mur, terminant sa cigarette.

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Jessie pourrait être étonné, honoré, intrigué. Jessie pourrait ne pas comprendre la raison de ce cadeau soudain, de cette cassette qu'elle lui tend. Mais il est ici chez lui, dans une atmosphère bizarre qu'il côtoie depuis trop longtemps. Alors il sait, il pense savoir. Lucy lui donne parce qu'elle est gentille, qu'elle ressent sa détresse au plus profond de lui quand lui ressent la sienne. Ils sont pareils, deux enfants rejetés, un monde de violence s'ouvre devant eux. Ils y préfèrent la douceur, les contacts enfantins d'une main sur la joue.

— Merci. Il lui renvoie son sourire, un air trop enfantin, celui de quelqu'un qui entrevoit à nouveau le bonheur. Il sort de sa poche le sac en plastique – celui qui résume sa vie, où s'accumule des lettres et une seule photo. Il regarde sans comprendre le souvenir de cette époque passée avant de le tendre à sa nouvelle amie. C'est ton cadeau. Ce n'est pas grand-chose et pourtant il a l'impression de lui offrir toute sa vie. Il n'avait que ça, il s'en sépare de bon cœur. Moi aussi je t'aime Lucy. Il n'a pas besoin de bien. Bien c'est pour ceux qui nuance, ceux qui ne vivent pas à fond. Et Jessie a oublié comment on fait aujourd'hui, il ne ressent plus que les sentiments à leur paroxysme. Il aime ou il n'aime pas, c'est plus simple, binaire.

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Le geste d'offrir sa cassette préférée lui semble parfaitement naturel : il ne veut pas dire grand chose, il veut dire beaucoup. Inga en est sûre – Max peut voir toutes les intentions dans ce geste apparemment anodin. De même qu'elle comprends, quand il lui tends ce qui semble être un bout de sa vie, de ce qu'il est et était en dehors de cette ruelle, en dehors de cet espace hors du temps. Elle l'observe, essaye de comprendre quelle genre de personne il pouvait bien être avant, avant de réaliser que cela lui était bien égal. Elle range soigneusement les lettres et la photo dans la poche intérieure de son manteau – c'est bien trop précieux pour qu'elle le jette au fond de son sac.

« Merci. » Inga dépose un baiser sur la joue de Max pour le remercier. Merci pour ce cadeau, merci d'être là, par hasard, de combler la solitude d'Inga et de la comprendre. « Dis, tu restes, hein? » fait-elle, une légère pointe d'inquiétude dans la voix et dans le regard, comme s'il allait s'en aller d'un moment à un autre.

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Il ne sait pas trop quoi répondre Jessie, il aimerait dire oui, il sait qu'il doit dire non. Sa vie est un bordel sans fin, il ignore s'il sera encore vivant demain – si, il le sera, son esprit confus lui rappelle qu'il a fait une promesse à quelqu'un qu'il aime. Il se redresse, mauvaise idée. Le monde tourne trop vite, les couleurs bougent encore. Assis contre le mur à côté d'elle, il lui prend la main, la serre contre la sienne. C'est chaud, réconfortant, ça se repend dans tout son être. Il est bien avec cette fille, il se sent moins seul.

— Je reste pour toujours. Un toujours qui sonne comme quelques minutes, quelques heures tout au plus. Pourtant Jessie ne ment pas – pas à elle, pas à Lucy – il le pense vraiment. Il est incapable de se projeter plus loin, demain lui semble être dans une éternité. Il pose sa tête sur l'épaule de la russe, cette proximité l'attire – sûrement à cause de la drogue, ou de sa facilité.

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Toujours, toujours, c'est bien beau les toujours – sauf quand ils ont une date de préemption, comme les toujours de Inga. C'est elle la spécialiste des ruptures de promesses, mais elle y tiens beaucoup, à celles des autres. La blonde glisse ses doigts entre ceux de Max, les serre doucement.

« C'est long, toujours, quand même. » note-t-elle, elle appuie sa tête contre celle du garçon. Elle dessine du bout des doigts des formes abstraites sur le dos de sa main. « Ça te fait pas peur, les « toujours » toi ? » Inga jette un regard en coin au brun, soupire. « Personne reste toujours, en plus. » Elle parle plus d'elle-même, pour elle-même, fronçant légèrement les sourcils.

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Bien sûr que c'est long, meurt-il d'envie de répondre. Tellement que ça l'effraye, qu'il serait capable d'en faire des cauchemars. Depuis qu'il est ici, il en développe de nouvelles peurs, elle se multiplie comme la vermine qui peuple ces lieux. La drogue y est pour quelque chose – c'est ce qu'il se dit pour se rassurer dans ses rares moments de lucidité, même s'il sait que c'est faux.

— Si, finit-il par avouer comme si c'était la chose la plus difficile de la terre – plus que toutes ses erreurs, tous ses péchés ou tous ses mensonges. Il me fait peur ce mot Lucy. Il pensait rester avec Basile pour toujours, et si tout ne lui paraissait pas plus beau grâce à la drogue, il serait sûrement en train de pleurer. Mais Jessie sourit, parce que c'est comme ça, parce qu'aujourd'hui il a décidé d'oublier un peu plus. On peut le redéfinir. Toujours c'est jusqu'à demain matin. C'est bien ça non ? Lui, ça lui va. Il trouve ça facile, beaucoup plus. Et comme ça, on pourra rester plusieurs fois pour toujours.

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Elle frissonne Inga à l'idée d'un toujours trop permanent – elle n'est pas faite pour les choses permanentes, elle préfère de loin les choses vaporeuses, éphémères, mais qui lui tiennent compagnie tant qu'elle en a besoin.

« Bien sûr que ça fait peur. Toujours, tu t'enfermes, c'est oppressant. » Inga ramène ses jambes contre elle. Demain matin, c'est déjà mieux. Elle renifle. « Demain, ça va. C'est déjà moins effrayant. » Demain, elle ne pensera peut-être plus à cette conversation décousue, à ses promesses qui semblent très importantes maintenant, mais beaucoup moins plus tard. C'est beaucoup moins effrayant de faire des promesses insouciantes où personne ne vous blâme si vous ne les tenez pas. « Va pour plusieurs toujours. Avec toi, c'est pas si désagréable. »

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— Je préfère ça moi aussi, parvient-il finalement à articuler. Plusieurs toujours, l'idée du siècle, celle qui permet à la fois d'éviter la phobie de l'abandon tout en partageant des moments de pur bonheur avec un autre. Parce que c'est c'est ce que c'est, cet instant avec Lucy. Le vrai bonheur, celui que d'après les philosophes, tout le monde recherche, celui qui n'est pas accessible. Mais la drogue a un pouvoir merveilleux – elle le permet. Il suffit de tendre la main et il est là. Avec toi non plus, c'est pas désagréable.

Une nouvelle cigarette échoue au coin de ses lèvres. D'un geste de la main, Jessie jette son paquet sur les jambes de Lucy – ce qui est à lui est à elle, il n'a plus que ça de toute façon, du tabac et des cachets plein les poches. Ça fait combien de temps qu'ils sont comme ça – des secondes ou des heures ? Le temps lui paraît infirme alors qu'il regarde la fumée comme si c'était la plus belle chose sur terre.

— Ça fait longtemps que je n'ai plus eu d'amis. Il avoue ce qui lui pèse sur le cœur et tout paraît soudainement plus simple.

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Elle fait tourner le paquet de cigarettes entre ses mains, perdue dans des pensées qu'elle a à peine le temps de réaliser, sans réaliser les minutes qui passent, qui se transforment peut-être en heures, ou qui sont peut-être seulement des secondes. Elle le repose avec un soupir, observe alors les volutes de fumée. Des amis. Inga jette un regard à Max – ce n'est pas une phrase si anodine, si innocente. Elle passe sa langue sur ses lèvres avant de répondre.

« J'avais pas d'amis. Avant toi. » dit-elle. Ou peut-être est-ce qu'elle avait des amis, avant ? Le nom de Wendy lui revient en tête – mais Wendy, ce n'est pas son amie, c'est autre chose, elle n'arrive pas à mettre un mot dessus. Des amis, peut-être qu'elle en avait en Russie, là-bas. « Tes anciens amis. Ils te manquent ? » Elle se tourne un peu pour regarder Max, joue distraitement avec une de ses mains.

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Jessie reste con, il ne sait pas quoi dire. Parce que des amis, il n'en a plus – il ne le mérite pas après tout. Il les a trahi, abandonné. Il mérite cette solitude, il n'a pas le droit à mieux finalement. Mais pour une fois ils ne lui manquent pas, il n'y pense même pas. Il est pleinement heureux, comme jamais. Basile n'est plus qu'un souvenir flou qu'il évite. Il n'a pas envie de se rappeler, il refuse de pleurer.

— Je sais pas. Jessie murmure. Sa main serre un peu plus celle de Lucy, il a soudainement peur. Elle est la seule qu'il lui reste – c'est bizarre, inattendu mais il ne doute pas un seul instant qu'ils soient amis finalement, ça lui paraît naturel. La vie est définitivement plus facile entourée de misère, se dit-il, les gens sont moins compliqués. J'ai peur d'avoir besoin d'eux, je crois que j'ai fait des conneries Lucy. On dirait un animal apeuré, une créature qui cherche avec assiduité un peu de chaleur humaine pour ne pas tomber plus bas. Il fait tomber la cendre sur le sol – c'est beau, drôle et d'une tristesse affligeante.

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Inga passe son bras autour de Max, le berce doucement comme on berce un enfant. Elle ne sait pas qu'est-ce qui s'est passé dans sa vie pour qu'il ait l'air si perdu, si seul, mais elle n'a pas besoin de savoir ; elle sait ce que c'est, et se contente d'être là. Elle glisse ses doigts entre ceux de Max.

« C'est pas grave de faire des conneries. Tout le monde en fait. » Tout le monde, à commencer par elle-même – personne n'y échappe, même avec de la poudre de fée, des cachets, ou peu importe quoi d'autres. « Il faut pas que t'aie peur. C'est normal d'avoir besoin de quelqu'un. Et puis... » Elle observe la cendre sur le sol, laisse un blanc s'installer. « Ils ont peut-être aussi peur que toi ? Tout le monde a peur de ce genre de choses. » Inga hausse les épaules.

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Elle a raison Lucy, se répète-t-il en boucle, tout le monde en fait. Et même s'il a la certitude que les siennes sont pires – pas vraiment réparables, elles le destinent à la solitude – il a envie de la croire, réussir à accepter que ce n'est pas grave grâce à cette chaleur qui émane du corps de la russe. Il se sent bien avec elle, pas un monstre, pas un être perdu. Ils sont juste Max et Lucy, deux inconnus qui se cachent, qui fuient le monde réel comme on cherche un peu d'oxygène. Et Jessie lui sourit.

— Je préfère me dire que non, qu'ils vont bien. J'ai envie qu'ils soient heureux, c'est pour ça que j'ai disparu de leur vie. Pour leur laisser cette possibilité. C'est ce qu'il aime se dire, que son départ est son dernier cadeau, qu'il leur laisse la liberté de vivre sans lui et ses erreurs. Mais c'est aussi qu'il a peur Jessie, peur de les affronter à nouveau. Et la drogue n'arrange rien, elle lui crie régulièrement qu'il a raison, que la vie est plus belle quand ils sont chacun de leur côté. Nous aussi, on sera heureux un jour Lucy. Il ne promet pas, il lance juste ça comme ça, un peu pour se persuader lui-même. On sera heureux, répète-t-il en posant sa tête contre l'épaule de sa nouvelle amie.

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Elle veut y croire aussi – elle veut se laisser convaincre par les paroles de Max, comme quoi le bonheur n'est pas un rêve inaccessible, quelque chose qui serait pour tout les autres, sauf elle et lui. Inga aimerait au moins que ce soit possible pour Max – elle se dit que lui, il mérite bien d'être heureux, au même titre que le reste du monde.

« Je peux te dire un secret ? » Inga se redresse un peu. Elle ne sait pas trop pourquoi elle lui dit ça. « Tu le gardes pour toi, hein. » Inga inspire profondément, ferme les yeux. Elle ne songe même pas qu'il pourrait la trouver bizarre, non. « J'ai des dons de divination. » La russe jette un regard à Max, observe sa réaction avant de continuer. « Et je suis sûre que tu seras heureux – je l'ai vu. Tu peux me croire. » Elle lui adresse un sourire aussi rassurant et sincère que possible ; alors qu'elle invente une vision qu'elle n'a jamais eu.

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Jessie ouvre ses yeux qu'il ne se souvient même pas avoir fermés. Il lance un regard étonné à Lucy comme pour chercher sur ce visage presque inconnu une once de vérité. Il doute ses propos, la possibilité qu'elle mente à plusieurs niveaux est flagrante. Elle n'a peut-être pas de dons de divination – ce serait le plus logique, son cerveau brumeux tente de lui rappeler que c'est quelque chose de rare. Elle n'a peut-être rien vu, ou elle affirme peut-être le contraire de la réalité. Il ignore où s'arrête la réalité et ça lui va finalement très bien.

— Je te crois, dit-il naturellement. Un mensonge qu'il prononce sans savoir pourquoi – peut-être pour ne pas blesser la seule personne dont il tolère la présence à ses côtés depuis qu'il a fui le monde magique. Et peut-être qu'il la croit finalement, peut-être à cause de la drogue, ou peut-être pas. Il ne lui dit pas que c'est au bonheur qu'il ne croit plus. Je veux que tu le sois avec moi. Et pourtant, rien n'est si simple.

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