somebody

Help me through this nightmare

Replié sur lui-même, les jambes serrées, le corps malmené par des sanglots de plus en plus forts, il refuse d'ouvrir les yeux. Le noir a un côté apaisant, on est incapable d'y voir la laideur qui nous entoure, on se contente d'un ensemble de sons qui – si on est suffisamment attentif – sont suffisants pour évoluer à la manière d'un robot. Sans sentiment, par réflexe – une sorte d'habitude épuisante par son côté répétitif – ou par instinct. Et lui, c'est de ça dont il a besoin. D'évoluer sans voir. La peur de tomber sur un objet capable de lui renvoyer son reflet l'effraye. L'idée de se voir le dégoûte presque autant que l'odeur de sang – son propre sang – à laquelle il ne parvient pas à réellement s'habituer. Il se sent vidé mais l'ultime promesse faite de ne pas disparaître l'attache définitivement à son monde qu'il aurait préféré quitter.

Une fois sa confrontation avec Basile terminée – une fois que celui-ci ait claqué la porte, mettant définitivement fin à leur amitié – il a transplanné. Il n'a pas supporté l'idée de rester quelques minutes de plus dans cet appartement lui rappelant trop de souvenirs. Il n'en avait pas le droit de toute façon. Il a beau passé plus d'heure dans cet espace que le réel locataire des lieux – il fait l'effort d'y dormir lui, il ne choisit pas une voiture comme lit – il n'est qu'un squatteur. Et pour la première fois depuis qu'il a rendu les clefs de son appartement, journée qui remonte tellement qu'il l'a oublié, pour partager à jamais la vie de Basile, il regrette. Il se retrouve seul, sans toit. Il y a pourtant toutes ces personnes chez qui il passe des heures, mais il n'ose pas. Dans son état, il ne se voit pas aller chez Automne qui ferait une crise en voyant son air détruit ou les coupures sur ses poignets. Il aurait peur de croiser Basile chez Victory ou de se faire rejeter par cette amie qui a déjà souffert de la trahison de Lichuan. Toquer à la porte de Joy n'était même pas envisageable car même s'il l'apprécie, c'est sûrement chez elle que Basile a élu domicile dans l'immédiat. Il connaît son meilleur ami, doute qu'il rentre. Attendre n'aurait servi à rien d'autre qu'à le blesser encore plus. Il fuit les souvenirs comme la peste désormais.

Une porte s'ouvre, la lumière s'allume mais ses yeux restent fermés, sa tête baissée. Il sait parfaitement où il est, dans cette chambre dans laquelle il a joué plusieurs fois, chez cette personne bizarre au courant depuis longtemps de sa condition mais qui s'en fiche plus que des cupcakes mignons qu'on trouve dans la pâtisserie française du bas de la rue. C'est cette raison qui l'a poussé à échouer chez Dimitri. Il a besoin d'un réconfort qu'il n'aura nul part ailleurs – loin d'être le meilleur, le plus efficace, au moins il existe malgré toutes ses erreurs – et d'un endroit où passé quelques jours. Il avisera plus tard. La possibilité de s'exiler quelque temps en Islande lui revient à l'esprit, mais ce serait fuir d'une des façons les plus lâches au monde. Rentrer chez ses parents n'est pas concevable, il n'est pas d'humeur à supporter leurs jérémiades sur l'amour et la paix dans le monde, leur joie excessive ou leur bizarrerie rassurante.

— Dimitri ? Il relève la tête, toujours replié sur lui-même dans un coin de la chambre, comme pour se protéger d'attaques venant d'ailleurs. Il a conscience de ne ressembler à rien, son visage sali par les larmes et les traces de sang, ses vêtements mouillés du liquide rouge, ses plaies toujours à moitié ouvertes. Il est loin de l'habituelle chose mignonne que Dimitri tolère. Alors c'est face au russe qu'il décide de se reprendre, il ouvre la bouche, sa voix meurt. Sa tentative se solde par un nouveau sanglot mais il n'abandonne pas. Merry n'abandonne jamais, même une fois séparé de Pippin. Je- Basile sait.

Et c'est tout ce qu'il parvient à prononcer. Pour une fois, son regard ne s'attarde pas sur les toiles, ou sur le bordel enfantin de son ami. Pour une fois, le regard qu'il lance au plus grand n'est pas rempli d'un bonheur innocent, c'est un appel à l'aide. Lui qui est du genre à ne jamais rien demander le supplie de ne pas le laisser seul. Aujourd'hui plus que chaque jour de sa vie, il a besoin d'un pilier mais ce n'est pas Dimitri, ça le sera jamais. Basile restera jusqu'à sa mort celui ayant le droit à cette place privilégiée. Il se rabat sur un énième alors choix.

electric bird.

somebody

Help me through this nightmare

Il regarde comme un enfant la bouteille qu'on lui tend avant de la prendre. L'alcool lui brûle la gorge, lui qui n'a jamais vraiment aimé le whiskey et ça malgré le nombre de bouteilles qu'il était capable d'acheter pour remplir les placards de Basile.

Basile.Tout lui fait définitivement pensé à son meilleur ami perdu. Il regrette à cet instant chaque choix – avoir suivi Lester chez les mangemorts, avoir tué pour ressentir cette euphorie quasi malsaine qu'il aime tant. Tout est condamnable, il le sait très bien. Et pourtant, il sait qu'il recommencerait à jamais. La folie ambiante de ces réunions de psychopathes est comparable à de l'oxygène. La présence de Lichuan pendant presque dix ans de sa vie aussi. Il a tué pour lui, comme il aurait tué pour chacun des membres de sa famille d'adoption – sauf Sherkan. Leur dernière mission – le regard de Zahari détruit à jamais, le traître mort – lui revient en mémoire. Plus jamais il ne pourra être heureux de cette façon à nouveau. Sa vie prend une tournure des plus sombres.

Face à Dimitri, il entrevoit un futur de tristesse. Un futur sans Basile. Il boit une autre gorgée, peut-être pour oublier, ou tout simplement pour souffrir un peu plus, effacer l'arrière-goût acre et sucré du vomi. Il fait peine à voir, Dimitri ne le verra plus comme avant. Un instant, il a peur de perdre les bonnes grâces du russe. Qu'importe, le pire est passé. Basile est parti, rien n'a jamais autant compté pour lui. Une moitié détruite, la droite sans la gauche, le blanc sans le noir, le bien sans le mal.

— Ça changera pas grand-chose. Comme en transe, il répète les mots du russe. Dimitri est intelligent, Dimitri est parfait comme il dit souvent. Moins que Basile, moins que Lichuan, mais il reste important sinon il ne serait pas là, chose informe en boule dans sa chambre. Il essuie encore une fois les larmes sur ses joues. Il a arrêté de compter il y a bien longtemps, en apprenant que Lichuan a trahi, en lisant sa lettre. Lorsque le froid du couteau est rentré en contact avec la chaleur de sa peau. T'as raison. C'est terminé, répète la voix de l'auror dans sa tête. Il lutte contre l'envie de fondre en larmes, il tente de rester fort. Tu-. Tu penses que j'ai fait les mauvais choix ? La question tourne en boucle dans son cerveau ralenti par la douleur et la perte de sang. Je veux dire, Basile est auror, moi mangemort. Trop tard d'une dizaine d'années. Il aurait dû y penser après Poudlard, quand il a dit oui, quand il a pensé pouvoir trouver une nouvelle famille dans une bande de psychopathes. La folie est belle. Cette conclusion s'ancre dans son cerveau, comme pour lui rappeler qu'il n'a jamais eu le choix, qu'il est là-bas chez lui, entouré des siens. Ça n'aurait jamais été possible. J'ai déjà de la chance que ça ait duré dix ans. Les phrases se suivent, plus pour lui que pour Dimitri. Il a conscience au fond de lui de se confier à la mauvaise personne. Mais il n'y a que lui à ce moment-là, une personne extérieure à ce jeu de pouvoir, celle qui ne jugera pas ses actions condamnables. Mais je peux pas vivre sans lui. Sa voix devient aiguë, il ferme les yeux pour bloquer ses larmes. Pauvre petite créature blessée, seule face à un monde qui devient beaucoup trop noir. Il a toujours aimé le gris. Je peux pas. Je veux pas. Peut-être qu'il devrait se reposer, s'endormir, faire quelque chose pour arrêter de penser. Il boit une troisième gorgée avant de rendre sa bouteille à son ami. Il aurait pensé qu'il le foutrait à la porte, qu'il l'abandonnerait à sa misère mais il est là. Ça ne durera pas alors il profite.

electric bird.

somebody

Help me through this nightmare

Les paroles du russe lui semblent parfaites, dénuées de toute compassion hypocrite. Des mots gentils – ou du moins pas totalement méchants – bien loin de ceux prononcés par son meilleur ami quelques heures plus tôt sans pour autant tomber dans le cliché stupide du ça va s'arranger, ne t'inquiète surtout pas, d'ici un mois tout est revenu à la normale. Il serait incapable de le croire, ça le détruirait encore plus, réaliser que son quotidien ne reviendra jamais à la normale. Mais Dimitri ne lui fait pas miroiter un futur impossible, il dit les choses clairement avec une neutralité et un raisonnement que le mangemort ne lui reprochera jamais. Ici, il n'y a pas la peur de décevoir – il sait que son existence n'a que peu d'importance aux yeux du russe – juste les paroles qui font réfléchir.

Le bazar de sa vie le submerge, comme la vague qui réveille le touriste endormi près du rivage. Il ne s'y attendait pas, il aurait préféré continuer à se relaxer dans la chaleur confortable du monde connu. Le concept de regret lui est désormais beaucoup trop familier, et ça malgré le conseil de Dimitri. Pourtant il le sait, que le russe à raison. Que ne regretter aucune des choses qu'il a faite serait la meilleure solution pour se sortir de cette galère dans laquelle il s'est fourré. Il en est incapable. Il a cette impression d'être un adolescent mal dans sa peau, responsable d'une dispute qui le sépare à jamais de sa famille. Et toutes ses pensées ne le ramènent qu'au suicide, une facilité inaccessible. Un ami plus important qu'un groupe. Un rire se meurt au fond de sa gorge alors que le russe mentionne cette vérité ridicule. Tout le monde le sait, même lui. Le problème est différent. Même si Basile est à part – son âme sœur – il a des amis importants chez les mangemorts, des frères d'armes qu'il n'a jamais été prêt à laisser tomber. Lichuan en faisait partie, bien que maintenant les choses soient différentes à ce sujet. Lester aussi.

— J'y penserais, peut-être que c'est une bonne idée, oui. Il doute Jessie, comme jamais. Quitter sa famille d'adoption n'est pas une chose à prendre à la légère. Il s'en voudrait de trahir, de rayer d'un coup cette loyauté dont il a toujours fait preuve. Il n'est pas encore assez pour ça, psychologiquement, il ne supporterait pas que toutes les bases de sa vie s'effondrent d'un coup. Il réalise avec tristesse qu'il a besoin de ce groupe – de ces fous terroristes – pour garder un semblant d'ordre et de stabilité dans son quotidien. Quelle ironie. Mais il me pardonnerait pas. C'est foutu je- Sa voix tremble, sa conscience lui dit de devenir fort, qu'il doit apprendre à vivre avec désormais. Plus rien ne changera, assume tes erreurs. Rien n'est jamais simple dans ce genre de situation. Je sais qu'il ne sera plus jamais mon ami.

Un long soupir, l'alcool bu trop vite lui tourne la tête. Le ventre vide de bonbons depuis l'épisode de la salle de bain, le corps vidé d'une partie de son sang. Il a connu meilleure forme Jessie, il serait bien incapable de sauter partout comme habituellement, il n'est qu'à moitié en vie, oscillant entre le besoin de dormir et de pleurer. La dernière solution n'est pas envisageable, pas ici, pas devant Dimitri. Il refuse de lui causer de dégoût qu'actuellement.

— C'est gentil de m'accueillir Dim. Promis, je me ferais petit et je resterais pas longtemps. C'est le moins qu'il puisse faire, des promesses. Au fond de lui, il espère que c'est vrai, qu'après cette nuit de repos il ne se retrouvera plus dans cet état, à pleurer cacher dans un coin. Je- Je vais me prendre une douche. Je pue le vomi je crois.

Il se lève, attrapant les vêtements roulés en boule qu'il a pensé à prendre chez Basile avant de partir. Perdre son ami mais aussi sa maison n'est pas simple. Même pour lui. Il revient une dizaine de minutes plus tard, le corps brûlant, les cheveux propres, des vêtements sans taches. Dimitri dort, il fallait s'y attendre. Le russe avait l'air fatigué. Jessie trouve sa place sur le canapé – son éternelle demeure, celui de Basile, de Victory ou de Dimitri.

electric bird.