Never look away — Kendra (terminé)

**Joy C. Jackson-Powell** ~ ID du thug ~ Messages : 36

Never Look Away

Detect my sudden existence on your sonar. You feel the echo, electrify the resistance in your broken heart.

C'est elle, réalisa-t-elle soudain. Comme l'œil enregistre à la dernière seconde un éclair dans la nuit, elle l'avait repérée alors que son travail s'achevait bientôt — encore un peu plus, et elle l'aurait loupée. Si proche. Elle avait la sensation qu'il lui suffisait de tendre les doigts pour effleurer sa joue. Savourer sa présence. Mais sans doute, non, bien sûr que ce n'était qu'une illusion. Vaine et futile, trompeuse et traîtresse, elle achevait de convaincre Joy que rien ne pouvait les séparer. Ni un océan de membres enchevêtrés. Ni sa fierté blessée.

Ses yeux glissèrent, impudiques, sur la silhouette douloureusement familière de Kendra, son ex-petite amie. Elle dansait. Pour une raison qu'elle refusait d'éclaircir, mais qui paraissait pourtant évidente, ce terme lui faisait horreur. Il avait le don de faire naître des frissons sur sa peau. Tiens — voilà ses poils de bras qui s'hérissaient à cette simple pensée. Des images défilèrent sous son crâne. Un seul bol posé négligemment sur la table du petit-déjeuner. Le grand lit déserté. La salle de bain qui semblait étrangement vide. La vie sans Kendra.

En bannissant la jeune asiatique de sa vie, Joy ressentait la cruelle impression d'avoir commis la pire erreur de sa vie. Pourtant, elle était également certaine d'avoir fait le bon choix, le plus rationnel. Mais il était inutile de nier qu'elle avait créé de ses propres mains un manque dans son quotidien, un trou quelque part dans son cœur qu'elle continuait de creuser en jouant au boomerang humain.

Troublée, elle caressa du regard le corps de Kendra, drapé d'une tenue outrageusement ambigüe. Son mini-short noir soulignait la longueur vertigineuse de ses jambes, son T-shirt lui remontait jusqu'au cou, privant son partenaire de danse de la vision de son décolleté, mais sa transparence trahissait la présence d'un soutien-gorge de dentelle. Comme pour ne rien gâcher, elle était perchée au sommet de bottines à talons mais se mouvait avec une sorte de grâce naturelle qui aurait pu rendre Joy jalouse si elle n'était pas autant hypnotisée par le moindre de ses gestes. Les projecteurs du club illuminaient sa peau d'or et de mystères, mettaient en valeur ses courbes discrètes qui laissaient une place confortable au doute. Homme ou femme ? Oui ! aurait répondu Kendra d'une voix si enthousiaste qu'elle aurait su lui arracher un sourire attendri.

Comme brûlée par la vision de son ex-petite amie se déhanchant sur la piste de danse, Joy détourna le regard. Mille fois elle l'avait étreinte, mille fois elle l'avait aimée. Elle n'était, après tout, pas là pour s'amuser mais pour travailler. Elle avait mieux à faire que de laisser distraire par la beauté frappante de Kendra. Mais son image semblait ancrée derrière ses paupières, lui apparaissant à chaque fois qu'elle clignait les yeux. Elle n'ignorait pas qu'elle avait suffisamment torturé Kendra. Cependant —
Elle ne pouvait pas s'en empêcher.
Elle l'aimait. De la manière la plus égoïste, la plus ridicule possible.

Alors, sans même attendre que son collègue daigne venir la remplace, elle se mêla aux corps qui sautaient dans les airs, cherchaient à atteindre le ciel, son regard observant Kendra avec une fixité troublante. Elle était comme une phare, et elle un bateau ébloui dans la tempête. « Kendra, appela-t-elle. » Elle se rendit compte un peu tard que la jeune femme était accompagnée mais cela suffit à peine à la ralentir. Au contraire, la jalousie qui menaça tout à coup de la submerger comme une vague à la puissance phénoménale semblait lui donner des ailes. Elle continua sa lente avancée au milieu des danseurs. Lorsqu'elle la rejoint enfin, elle posa instinctivement une main prudente sur son bras. Ce simple contact l'électrisa. « Kendra, répéta-t-elle, son nom prononcé sur le ton d'une formule magique. Il faut qu'on parle. »

Il fallait parler, oui, malgré le timing catastrophique, le regard agacé de l'homme qui leur faisait face et le brouillard confus qui régnait dans sa tête. Il fallait parler, les yeux dans les yeux, et détacher son regard de la silhouette avantageuse, ensorcelante. Ne pas céder au chant des sirènes et se noyer dans l'instant pour finalement regretter le lendemain et leur faire subir à toutes les deux une torture supplémentaire — ou peut-être qu'elle n'était pas encore prête et que cette solution-là lui conviendrait mieux.
Comment savoir, alors que la musique battait dans ses oreilles et que Kendra lui avait rarement paru aussi belle.

do you recall, not long ago
All we did was care for each other
La musique est assourdissante, Kendra n'entends ni sa respiration, ni son cœur qui bats à tout rompre, ni les pensées qui pourraient l’assaillir. Kendra se sent légère. Elle ne pense pas, elle n'entends rien, elle se laisse porter par les intonations de la musique, Kendra danse sans se soucier du reste du monde. Elle s'oublie – elle n'est plus Kendra, elle est juste là, elle se fonds dans la masse, contre la fille qui vient danser contre elle, contre l'homme qui lui attrape la taille et à qui Kendra adresse un sourire.

Elle est venue pour oublier, Kendra. Oublier les regards pleins de pitié, oublier ses peines, oublier le vide profond qu'elle a à la place du cœur depuis que Joy n'est plus là. A cause d'elle. Mais à cette seconde, elle n'y pense pas – envolés les souvenirs, quand Kendra s'est perché sur ses talons hauts en rêvant une tenue à la fois révélatrice et en même temps, en montrant si peu. Kendra avait souligné son regard d'un trait doré qui capte les rayons de lumière colorées à chaque fois qu'elle bouge, cligne des yeux. Les regards sont sur elle, Kendra en est consciente. Un sourire léger apparaît sur ses lèvres – Kendra se retrouve en même temps qu'elle s'oublie. Elle se sent vivante, à nouveau, une petite victoire qu'elle savoure comme le verre qu'elle avait porté à ses lèvres quelques instants plus tôt.

Elle voulait oublier Joy, oui. Mais Kendra est un paradoxe vivant, elle en est consciente, elle cherche Joy dans tout ce qu'elle fait. Chacun de ses gestes, chacun de ses choix la ramènent vers Joy, toujours Joy, encore Joy. Joy revient, Joy repart, tue Kendra petit à petit, Kendra se lasse, mais ne dit toujours rien. Elle sait bien qu'elle travaille ici, et pourtant, la voilà, au milieu de la boîte, son regard détaillant les gens comme si elle s'attendait à voir surgir Joy. Joy, Joy, Joy, Joy, le prénom résonne en boucle dans les oreilles de Kendra au rythme de la musique. Obsession. Elle est là, sans être là, Kendra traîne son fantôme dans son sillage.

Elle croirai presque qu'elle entends la voix de Joy, qui répondrai à son appel silencieux. Kendra ferme les yeux, fait taire son imagination, se concentre sur les basses de la musique, qui atténuent tout le reste. Elle ne sent qu'elle, son partenaire de danse, sa main quelque part sur son corps – ça n'avait pas vraiment d'importance.

« Kendra. »

Cette fois, elle ne rêve pas, la voix familière qui se fraye un chemin jusqu'à elle, c'est bien celle de Joy, et c'est bien elle qu'on appelle – Kendra tourne la tête, comme dans un rêve, lentement, perdue entre la réalité et ses divagations. Le contact de la main de Joy contre elle lui fait l'effet d'une onde électrique, tout son corps réagit, comme attiré par un aimant. « Il faut qu'on parle. » Kendra fronce les sourcils, en fixant Joy comme si elle voyait une apparition. Parler, à quoi bon. Parler de quoi. Avaient-elles encore des choses à se dire ? Kendra se perds, regarde le visage de son ex-petite amie. Elle cligne des yeux, se défait de l'étreinte de l'homme, qui d'un coup ne l'intéresse plus le moins du monde. Elle s'écarte, attrape Joy par le poignet. Le geste lui paraît étrange, déplacé, mais tant pis.

Le son s'atténue quand Kendra s'éloigne, mais le bourdonnement dans ses oreilles est encore là. Le souffle court, Kendra s'appuie contre un pilier, lâche finalement le poignet de la brune. Elle inspire.

— Tu voulais qu'on parle. Tu avais des choses à me dire ? Kendra se redresse, croise les bras. Attends, j'ai des choses à dire, avant. J'espère que tu ne vas pas encore … faire comme si on était ensemble. Alors que c'est plus le cas. Elle s'arrête, ferme les yeux. Les mots lui échappent, elle ne cherche même pas à les contrôler. D'accord ? On peut parler de tout ce que tu veux, maintenant.
electric bird.

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Quelque chose éclate dans la poitrine de Joy — tel un sentiment d'euphorie qui percerait à la surface de sa mélancolie. Tout ça, l'homme qui s'éloigne comme s'il n'avait jamais existé, jamais compté, les doigts fins de Kendra enroulés autour de son poignet, ce n'est jamais rien qu'une vague concession à ses caprices. Ça ne veut pas dire grand-chose mais ça suffit déjà à lui insuffler de l'espoir à nouveau. Peut-être qu'il n'est pas encore trop tard, peut-être que son égoïsme, ses changements d'humeur incessants n'ont pas tout gâché. Elle aime se plaindre gentiment à ses amis de l'hyperactivité de Kendra mais c'est sans avouer qu'elle-même lui donne parfois du fil à retordre. Elles ont toutes les deux leurs défauts. Sans doute que leurs fêlures s'accordent. Sans doute qu'elles peuvent y travailler ensembles, reconstruire quelque chose des cendres qui jalonnent leurs parcours. Sans doute —

Merde, elle songe, commençant à ressentir les premiers effets de la panique alors que Kendra la confronte à ses actes d'avant. Comment je suis censée lui dire tout ça ? Elle a perdu les mots, Joy. Enlevés par les Détraqueurs puis par la brûlante sensation de la trahison. Soufflés par la découverte de la cavale solitaire de sa meilleure amie. L'impression de ne plus suffire. De ne servir à personne.
C'était purement égoïste, elle le savait, mais ça lui manquait d'être la numéro un dans le cœur de quelqu'un, et le fait que Kendra occupe cette place dans le sien la torturait. C'était comme éprouver le lien qu'on a construit avec quelqu'un sans rien avoir en retour, une corde dans le vide et le néant au bout. Être au bord du vide, sur le point de tomber à tout instant.
Comment exprimer ça ?
Comment dire à une personne qui vous déteste sûrement que son existence est devenue la chose la plus importante au monde ? Qu'elle n'a plus à s'inquiéter, que vous avez compris, que vous allez tout faire maintenant pour l'aimer comme elle le mérite.

« Je... »
Je t'aime, je ne peux pas vivre sans toi, reviens s'il te plaît, je me moque de ce foutu article, il ne vaut rien face à ta présence quotidienne, solaire et optimiste. J'ai besoin de quelqu'un comme toi à mes côtés, quelqu'un qui sème la couleur derrière elle, qui me rappelle que je suis en vie et qu'il reste quelque chose à sauver, quelque chose qui en vaut encore la peine... Qu'Azkaban ne m'a pas tout arraché.

« J'ai lu les journaux. C'est vrai ce qu'il raconte, CQS ? Que tu as tenté de te suicider déjà trois fois ? » Trop franche, Joy. Ou peut-être pas assez, dans ce cas précis. La limite était tenue mais c'était Kendra, et avec elle, rien n'était simple. Elle inspire profondément, figée dans l'attente.

Spoiler:

do you recall, not long ago
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Est-ce que c'est vrai ? La question, entendue mille fois, la question qui effraie tant Kendra, qui lui donne envie de s'enfuir, d'oublier. La réponse qu'elle aimerait dire « Non, bien sûr que non, ce n'est pas vrai » est un simple mensonge, la vraie réponse reste coincée dans sa gorge. Elle ne peut pas dire « Oui, tout ça, c'est vrai. », parce que les gens le savent bien, mais elle ne peut pas voir leurs regards peinés, douloureux, le regard qu'ils lui portent qui change, doucement. Aucune réponse n'est la bonne, aucune réponse ne la satisfait.

Alors Joy lui demande, c'est vrai, Kendra, est-ce que c'est vrai, dis moi ? La question coupe le souffle à Kendra, la sort de son état un peu irréel dans lequel l'ambiance du Deus l'avait plongée. Elle mords sa joue, ferme les yeux, cherche ses mots. Les gens n'avaient pas besoin de savoir, mais Celui-Qui-Sait, oh, lui se faisait un malin plaisir de tout balancer et s'enfuir. Ce n'était pas lui qui devait essuyer les dégâts, survivre, affronter le quotidien. Elle n'avait plus rien à cacher, non, mais elle aurait préférer – à elle de payer les pots cassés.

« Joy. Est-ce qu'une fois CQS a dit quelque chose qui n'était pas vrai ? Bien sûr que non. Il dit tout le temps la vérité, Joy, tu le sais. Pourquoi tu me poses cette question ? » Kendra est directe – aussi directe que Joy, un peu brute. Elle mordille sa lèvre, reprends plus doucement. « Oui, c'est vrai, désolée. » S'excuser. Comme si la plus grande offense était pour les autres. Désolée de vous décevoir. Désolée de n'avoir rien dis. Désolée d'être ainsi. Elle aurait voulu ne pas avoir à être désolée.

Elle ferme les yeux, inspire profondément. Elle aurait voulu une autre conversation, d'autres mots. Elle aurait voulu que Joy lui dise autre chose, pour qu'elle réponde- s'il te plaît, reviens, j'ai besoin de toi. J'ai besoin de toi, Joy, quelqu'un pour me rappeler de ralentir, de profiter des choses qui valent vraiment la peine. J'ai besoin de toi pour me dire qu'il y a des choses qui valent vraiment la peine. Quelqu'un qui par sa présence me rappelle que je ne suis pas une erreur. Je ne veux personne d'autre que toi.

« Tu voulais seulement parler de ça ? » Kendra fixe Joy. Pitié, dis non. Elle a envie de se blottir contre elle – même pour une nuit, une simple nuit, car elle sait que dans les bras de Joy, rien n'a d'importance. Encore une nuit. Une nuit qui durerait une éternité – pour une fois, Kendra veut prendre le temps. « J'aurais préféré qu'on en parle pas. » avoue-t-elle à mi-voix.
electric bird.

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Elle s'excuse — Kendra s'excuse et Joy sent monter en elle une colère indéfinissable. Elle peine à contenir l'envie soudaine d'agripper la main de la jeune femme et de l'entraîner loin, loin de la piste de danse, du bâtiment glauque, des regards méprisants et du jugement des autres. Joy connaît leur acidité et leur violence ; ils ne pardonnent pas. Elle rêve de s'enterrer, elle et Kendra, sous une montagne de couvertures, une radio invisible jouant des morceaux chaleureux comme si elles étaient à la maison et que rien, aucune malédiction, aucune tempête, ne peut les atteindre. « Ça va. C'est pas grave. Je m'en moque. » Les mots lui viennent plus naturellement qu'elle ne l'aurait cru. C'est parce qu'elle y croit avec une ardeur étonnante. Elle s'en moque, ou presque. Elle s'en veut. Elle n'a rien vu. Elle serre les poings et exhale un soupir.

« Tu voulais seulement parler de ça ? » Non, a-t-elle envie de crier. « Pas seulement, elle murmure simplement en se tordant les mains par réflexe. » Elle contemple le visage de son ancienne amante. L'entendre vouloir préférer le silence aux aveux provoque chez elle une étincelle de révolte qu'elle n'aurait jamais cru pouvoir ressentir à nouveau un jour. C'était la sensation qu'elle expérimentait face à un combat proche et c'est exactement ça : un combat. Pour ne pas perdre Kendra encore comme on perd un territoire chéri. Elle connaît par cœur le grain de sa peau, les courbes de son corps. Ses yeux glissent comme par hasard sur ses avants-bras et elle se demande si elle n'a pas remarqué ou si Kendra est passée experte dans l'art de se dissimuler, tel un caméléon.

Alors elle rétorque : « Moi je veux en parler. » Elle plante ses yeux dans ceux de Kendra, les épaules étonnamment raides. « Ce n'est pas de la curiosité malsaine ou je ne sais quoi. Je pourrais dire que je m'en moque, parce que c'est vrai, mais plus j'y pense, plus je me rends compte qu'en fait, je ne m'en fiche pas car c'est de toi dont il s'agit. Et je te veux toi entière, merde, Kendra, pas juste une belle image. Pas une illusion sympa qu'on peut exhiber devant les copains. Je — » Elle s'arrête brutalement en réalisant que ses mains tremblent, respire à fond avant de reprendre : « Je voulais simplement que tu le saches. Je trouvais ça important. Parce qu'on a sacrément merdé et que s'il faut qu'on recommence tout, je veux que ça soit sur de bonnes bases. » Voilà, c'est dit. Maintenant elle a la douloureuse impression d'être vide à l'intérieur, car si Kendra choisit de la repousser, elle aura tout perdu.

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Tell me, I need to know where do you want to go? Les mots des autres, Kendra ne veut pas les entendre. Les « tu aurais pu m'en parler », les « pourquoi », les « j'aurais dû être là », ils sont inutiles, pense Kendra quand elle leur affiche un sourire et qu'elle balaie d'un geste de la main « c'est rien » - elle dit aux autres. Mais Joy ne dit pas ça – alors Kendra n'as pas besoin de prétendre que ce n'est rien. Elle aimerait prétendre Kendra, qu'elle n'a besoin de personne, qu'elle vit sa vie à cent à l'heure parce qu'elle est comme ça – et il y aurait une part de vérité – mais Joy est honnête, Kendra aurait dû être honnête dès le début, et c'était le moment de se rattraper. « Je te veux toi entière » - Kendra relève les yeux, observe les gestes de Joy, ses mains, ses lèvres, sa peau, elle réalise combien elle lui manque. Il suffirait de tendre une main pour la toucher, réparer ce qui a été brisé. « s'il faut qu'on recommence tout, je veux que ça soit sur de bonnes bases. » Elle retient son souffle.

La musique, les lumières, tout cela lui semble bien loin. Elle a l'impression d'être dans un univers où seul Joy et elle existent. Une distance entre elles, insurmontables et minuscules à la fois – un pas, un geste, voilà, c'est ce qu'il suffirait pour réduire à néant leur séparation. Kendra ne veux pas – plus – être sans Joy.

« C'est pas beau à savoir, Joy. » fait Kendra, la voix trop douce pour les mots durs qu'elle dit. « Je sais que tu penses bien faire. Mais, moi, je ne veux pas que tu sois triste, que tu t'inquiètes pour moi, alors que tu pourrais avoir quelqu'un de plus stable dans ta vie. Tu n'as pas besoin de t’embarrasser de choses comme ça, Joy. Tu n'as pas besoin d'un fardeau comme ça, je t'assure. » Elle dit ça, mais au fond, Kendra aimerait que Joy balaie ses propres paroles, qu'elle n'y croit pas un mot. Ne crois pas ce que je dis..

Kendra s'avance, elle glisse ses doigts entre ceux de Joy – un geste qu'elle avait tellement l'habitude de faire, il lui semble tellement naturel, et l'embrasse. C'est tout ce qu'elle trouve pour s'exprimer, embrasser Joy, le cœur battant. Elle n'est pas logique, elle recule quand elle s'en rends compte.

« J'ai besoin de toi. » souffle-t-elle, elle l'ose l'avouer. « Si on recommence, ne baisse pas les bras, ne me laisses pas. Je te promets que je ne referais plus la même connerie. » C'est un murmure, comme si elle avait peur que d'autres que Joy l'entende.
electric bird.

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La voix de Kendra est différente. Son timbre, sa sonorité. Elle est douloureusement douce, comme de la soie que l'on appliquerait d'une main pourtant prudente sur une plaie ouverte. Il suffirait de l'effleurer pour récolter en guise de récompense un cri de douleur. Joy le sait bien, elle l'a deviné à l'instant même où leurs regards se sont croisés, que Kendra veut la réconforter. Effacer l'inquiétude. Chasser le spectre de ses cauchemars, celui qui l'a poussé un jour, et puis un deuxième, à faire couler son propre sang. Mais il ne parvient à éveiller au fond de sa poitrine qu'un instinct qu'elle croyait endormi depuis leur rupture. Protection, protection qui mène à une colère légitime. Joy se mord les lèvres pour ne pas laisser échapper un rire rauque. Cependant, elle ne fait rien pour empêcher sa bouche de se tordre en un rictus cynique, presque nostalgique : « Beau ou pas, je m'en fiche, Kendra. J'ai été Auror. J'ai vécu Azkaban. Je sais ce que c'est, la laideur. » Et ce n'est pas toi, non, elle meurt d'envie de rajouter. Toi, tu es la plus belle chose qui me sois arrivée depuis une éternité. Mais elle se tait, incertaine. Se contente simplement de renifler d'un air indifférent avant de répéter, faussement incrédule, dans une vague tentative pour la rassurer : « Stable ? S'il te plaît, Kendra. Tu ne connais pas encore assez bien mes amis, ma famille. » Son frère psychorigide, sa petite sœur à la fausse bouille d'ange qui s'amuse à dealer de la drogue dans son dos, son meilleur ami aux tendances autodestructrices nouvellement découvertes, son autre meilleure amie à l'obsession maladive, sans oublier Victory ou Jessie, damn, il semblerait que la personne la plus normale de son entourage soit sa jumelle et elle ne l'apprécie pas tant que ça. Cette fois, elle s'autorise à rire. Mais c'est d'elle-même qu'elle se moque. Mener une vie normale, hein ?
Cela faisait longtemps qu'elle n'avait pas été aussi lucide envers elle-même.

« Peut-être que la stabilité n'est pas ce qu'il y a de mieux pour moi. Peut-être que tu m'as permis de le réaliser. » Sa voix tremble un peu mais elle s'en fiche. Plus que tout au monde, elle souhaite que Kendra voit comme elle la voit, un peu cassée, un peu fêlée, un merveilleux désastre humain, si belle dans ses imperfections, comme les pièces d'un puzzle qu'un enfant capricieux aurait éparpillé et mélangé avec les siennes. Mais les mots finissent par lui manquer lorsque Kendra se penche, emmêle ses doigts avec les siens, et Joy serre sa main si fort, parce qu'elle ne veut pas la laisser partir. Elle se sent enfin à sa place, puis la jeune femme l'embrasse et cette fois, elle est réellement rentrée à la maison. Elle est là, plus vulnérable que jamais, et pourtant, alors qu'elle peut sentir les lèvres chaudes de Kendra sur les siennes, elle a la saisissante impression d'être invincible.
Plus rien ne nous arrête.

« Tu m'as manqué, elle souffle en réponse à l'inattendu J'ai besoin de toi. Je ne te lâche pas. Plus de mensonges, plus de caprices, plus rien. Juste nous. » Plus qu'une promesse, c'est un serment. Alors elle sourit et l'embrasse à nouveau, oublie la foule, la musique, tout ce qui n'est pas les yeux noirs, la peau brune, les cheveux soyeux de Kendra. Elle est bien. Enfin en équilibre.
Enfin quelque chose qui tourne rond dans sa vie.

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Un faible sourire étire les lèvres de Kendra – au fond d'elle-même, elle a envie d'y croire, croire aux paroles de Joy. Que ce n'est pas grave si tout chez elle n'est pas beau, stable, parfait, que ce n'est pas ce que Joy recherche. Au fond d'elle-même, elle y croit même déjà. Mais elle aurait quand même voulu lui offrir un semblant de ça, faire taire ses imperfections, son instabilité, pour se présenter sous son meilleur jour. Mais Kendra sait bien – elle ne voudrait pas d'une Joy idéalisée, parfaite, lisse et sans défaut. Elle aime Joy aussi imparfaite soit-elle, et se doute que si Joy l'aime, c'est de la même façon. Alors pourquoi chercher l'impossible, quand la simplicité est là, devant ses yeux ?

« J'aurais essayé. » dit-elle faiblement. Essayer de convaincre Joy qu'elle n'était pas la personne pour elle, alors qu'elle-même n'y croyait pas une seconde. Heureusement que Joy ne l'avait pas cru. « Tu ne pourras pas dire que je ne t'avais pas prévenu. » ajoute Kendra d'une voix à peine audible, si contraire à ce qu'elle est d'habitude.

La voix de Joy qui tremble. Les mèches brunes qui bouclent, qui tombent sur son visage, sa peau contre la sienne – Kendra revit quand elle regarde, touche Joy. Un petit miracle à chaque fois. Comment avait-elle pu penser une seconde qu'elle aurait pu vivre une vie sans elle ? Une vie sans Joy ? Elle avait été bien stupide, de nombreuses fois. Mais elles avaient une seconde chance – et par Kendra n'allait pas la laisser s'échapper si facilement.

« Juste nous. » répète-t-elle sur le ton d'une promesse. Juste elles ; c'est bien plus que ce que Kendra espérait. Elle se perds dans ce baiser, s'accroche à ces instants qui lui semblent comme un rêve. Elle pose son front contre celui de Joy, avec un sourire, un vrai. « Merci, Joy. » D'exister. D'être là. D'offrir une seconde chance.
electric bird.

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