Trois jours avant la pleine Lune et déjà ses humeurs jouaient aux montagnes russes. Willow haïssait ces périodes récurrentes de l’année où elle savait que son moral ne dépendait plus que de la part bestiale qui vivait en elle. Les années passaient et malgré tout l’entraînement, toutes les séances avec Lupin et la quantité de bonne volonté qu’elle y mettait, la tatoueuse ne mattait jamais vraiment la bête qui sommeillait en elle.

Cela faisait à peine dix minutes que Will faisait la queue pour avoir sa commande mais c’était déjà bie trop pour elle aujourd’hui. Son impatience, neuve et rudement mise à l’épreuve, la faisait soupirer toutes les trois secondes quand elle ne balançait pas des regards assassins au type derrière elle dont elle sentait les yeux traîner un peu trop. Les clients attablés dans le café faisaient un tel bruit qu’elle aurait pu leur hurler de la fermer d’une minute à l’autre. Et en plus, quelqu’un était en train de faire brûler des toasts en cuisine, et ça sentait affreusement mauvais, elle le reniflait d’ici. Ses sens tourbillonnaient, tous surexcités, et quand ce fut enfin à son tour de récupérer son latte fumant, Willow crut bien qu’elle allait broyer le gobelet en le prenant. A peine eut-elle payé qu’elle se retourna, faisant sèchement volte-face pour quitter le café avec sa boisson toute chaude quand elle rentra de plein fouet dans quelqu’un qui avait décidé de croiser son chemin envers et contre tout, sans se soucier de ce qu’il pourrait bien occasionner comme désagrément. « Merde, merde, merde ! » L’entièreté de son café se renversa sur son tee-shirt et sa pochette contenant les multiples dessins et croquis tomba à terre, s’ouvrant pour éparpiller dans un capharnaüm soigneusement voulu par le hasard son contenu. Décidément cette journée suivait à la règle la loi de Murphy et le sang de Willow bouillonnait dans ses veines bien plus qu’en temps normal.

Elle devait faire un effort colossal pour ne pas attraper par le col l’imbécile qui venait de ruiner un de ses hauts favoris et de l’obliger à ramasser tout son travail sali au sol. Sans même lui adresser un regard elle s’était d’ailleurs agenouillée pour ramasser d’un geste brutal et énervé chaque feuille. Dans ses tempes la colère battait mais elle s’empêchait d’y céder – mieux valait éviter un incident en public. Maudite Lune. « Ca vous dit pas de faire attention par hasard ?! » Sa voix avait des râles de colère mal maîtrisée et on sentait clairement qu’elle n’était pas le genre d’individu à énerver un peu plus. Le feu qui faisait écho dans son ventre s’était à peine calmée qu’une odeur familière l’avait assaillie – un effluve qu’elle avait senti sans faire attention depuis la collision, qu’elle identifiait finalement comme celle du responsable de ce menu accident. Elle releva le menton tout en continuant à regrouper ses croquis, jetant un regard mitigé et franchement pas ravi à l’ancien joueur de Quidditch, Némo. « Ha. C’est toi. » Elle avait dit ça comme si c’était une mauvaise blague supplémentaire à additionner à toutes celles qu’elle avait déjà essuyées aujourd’hui. Willow Silverstein n’avait pas envie d’une confrontation avec Némo Desario, et pourtant si ça continuait ça allait bien finir par arriver.

Une migraine insoutenable et une patiente de plus en plus critique, Némo était heureux d’avoir terminé son dernier cours de la journée pour enfin rentrer chez lui. sur la route, il en avait profité pour acheter de la bonne viande pour se faire un repas conséquent le soir. La pleine lune s’annonçait et il savait qu’il aurait besoin de viande rouge pour ne pas avoir envie de frapper quiconque lui adressant la parole. Gérer ses émotions en période lunaire n’était pas toujours facile, mais après autant d’année, il avait finalement pris certaines habitude pour contrôler un peu ses émotions -sans quoi il aurait collé toute sa classe quelques heures plutôt. Marchant à bon rythme en direction de chez lui, il heurta soudainement une personne qu’il reconnu très rapidement. S’il l’avait déjà reconnu, cela n’était pas être le cas Willow qui semblait aussi sensible, voir plus que lui à la lune approchant. Il lisait sans difficulté l’agacement de la plus jeune, si bien qu’il imaginait déjà l’autre lui foutre un poing dans la gueule.

Après quelques exclamations, la jeune femme lui porta enfin un regard. Elle ne semblait pas du tout ravi de le voir et Némo se demandait bien ce qui pouvait la mettre de si mauvaise humeur. « Ouais c’est moi. » Il répondait à la tatoueuse sur le même ton qu’elle, comme une sorte de provocation ultime comme il le faisait à son petit frère quand ce dernier lui parlait mal. Heureusement, il se calma un peu en soupirant. « Ca va depuis la dernière fois ? » Son mal de tête ne se calmait définitivement pas et il avait vraiment hâte de se poser chez lui au calme et de se mettre en position latérale de sécurité en attendant que la lune passe. Bon la réalité était bien loin, puisqu’il devrai sûrement faire une tonne de chose durant le week-end, mais c’était ça la vie d’un loup. « Tu veux boire un verre à l’appartement ? » Le brun vivait à deux pas d’ici et en moins de temps qu’il en faut pour dire quidditch, il pourrait bien être au chaud avec une bonne bière, loin de la foule.

La colère pulsait encore dans ses veines pendant que le membre de l’Ordre la dévisageait, lui répondant sur le même ton passif-agressif qu’elle avait employé. Will, contrairement à ce que bon nombre de jeunes femmes normalement constituées auraient fait, ne se mit même pas en tête de l’incriminer sur sa façon de s’adresser au sexe opposé. Elle s’en moquait pas mal, et la galanterie n’était pas dans les priorités de son esprit de louve. Néanmoins, ça n’empêchait pas son regard d’être expressément communicatif – et ce furent donc ses deux yeux d’ambre qui firent tout le travail pour faire comprendre à Némo que ce jour n’était pas bon. Et qu’il ne fallait pas chercher à savoir pourquoi.

Les dessins tous ramassés, la brune les fourra à la hâte dans sa pochette qu’elle referma d’un coup sec. Elle releva le menton en direction de son tee-shirt et de sa veste, copieusement tâchés, avant d’afficher une moue qui ne mentait pas du tout sur la morosité qui l’habitait. « Comme tu peux le voir, j’ai connu mieux. » Inutile de s’étendre, il avait l’air d’avoir compris. Et puis elle n’était pas du genre à se plaindre pendant trois heures pour une boisson bouillante renversée, un vêtement de foutu et de la monnaie gâchée. Non, il fallait plus que ça pour énerver vraiment Willow – une proie volée pendant une chasse ou un garage plein d’armes par exemple. « Et toi ? » Tentant de décrypter les traits de son visage, la tatoueuse fut prise d’une impression de déjà-vu, un exercice qui lui arrivait souvent quand il s’agissait de Némo. Il n’était visiblement pas dans son état normal si tant était qu’il en avait un, mais impossible d’en deviner plus. Au mieux, Will flairait un parfum d’irritation et de fatigue, un mélange de sentiments qu’elle comprenait largement à cette heure-ci. Ce qui rendait la chose encore plus troublante.

La proposition de quitter cet endroit bruyant fourmillant d’individus qui émanaient des tas d’odeurs différentes et dérangeantes n’était pas pour lui déplaire et elle approuva vigoureusement. « De toute façon j’ai plus rien à boire alors allons-y. » Prenant sa suite, ils quittèrent le café rempli pour se retrouver dans la rue, toute aussi riche en signaux sensoriels, et se mirent en marche vers l’appartement du brun.

Pendant un moment, ni l’un ni l’autre ne parlèrent. Willow était trop occupée à essayer d’ignorer chaque perturbation qui venait parasiter son esprit et à peine calmée, elle décida de parler pour ne pas avoir l’air d’une ingrate qui ne le suivait que pour avoir une boisson gratis. « Désolée. C’est la fatigue. J’ai pas mal de trucs sur les bras en ce moment. Enfin rien de grave. Enfin bref. » Son intervention, quoiqu’un peu confuse, voulait juste expliquer, sinon dédramatiser son léger accès d’énervement. Ses sens, cette fois-ci titillés par des odeurs plus primaires qu’elle identifiait mais qui n’avaient rien à faire là, attirèrent brusquement son attention et son regard suivit instinctivement ce que son odorat lui indiquait – le sac que tenait Némo. Un paquet de viande rouge pour un homme qui n’avait peut-être pas besoin d’autant de protéines pour enrichir sa musculature déjà bien définie. « Dis donc, t’as une faim de loup à ce que je vois. » Ses yeux allèrent du sachet au visage du mexicain pour revenir vers le contenu de sa curiosité. Elle n’avait bien sûr pas volontairement fait ce stupide jeu de mots, mais Willow continuait, et ce depuis leur première rencontre, à être agitée par un tourbillon de questions sans réponses au sujet de l’aîné Desario.

La jeune femme avait cet air sur le visage qui semblait crier au monde entier une sorte de haine vénal, comme celle que certains adolescents pas du matin arboraient au petit déjeuner. Pas besoin d’être médecin pour voir qu’elle ne pétait pas la forme, ce que se confirmait au vu de la fréquence à laquelle battait son coeur -un rythme presque aussi rapide que le sien, ce qui n’était pas vraiment très bon pour un être humain. Cela dit, il se voyait mal lui conseiller de but en blanc de consulter un cardiologue. Surtout qu’elle ne semblait pas vraiment en condition pour parler de sa santé avec lui. « Effectivement. » Pour dire vrai, elle n’aurait même pas eu besoin de répondre à sa question, mais lui plus obligé de la posé étant donner qu’il était en général bien vu de demander comment se sentent les gens quand tu les croises. Si la jeune fille n’était pas en forme, ce n’était pas la seule et Némo répondu le plus naturellement du monde. « Grosse migraine et des envies de meurtres, mais sinon tout va parfaitement bien. » Son coeur ne changea pas un instant de rythme, prouvant qu’il disait parfatement la vérité, heureusement pour l’humanité, il avait appris à se contrôler et ne mangeait pas tous les gens un peu désagrèable.

Non sans une certaine surprise, elle accepta cordialement l’invitation du mexicain qui ne tarda pas une seule seconde dans le café, avant de marcher en direction du café ou il vivait. « Puis je passerais un t-shirt. » Avec tout ça, il en avait pressé oublié comment la jeune femme avait pu se retrouvé avec une énorme tâche de café sur le haut et il jugea que cela ne devait pas être très agréable au moins de février. « Ouais, non mais pareil, sans parler de la pleine lune qui approche. Je peux affirmer que ça affecte les gosses. » Heureux de voir qu’il n’était pas le seul à vivre une période horrible, il lui adressa un sourire de soutien avant de tourner dans une allée du chemin de traverse. Soudainement, la plus jeune remarqua le sac de viande et ne manqua pas de faire une remarque extrêmement drôle et ironnique. « T’imagines même pas à quel point ! Je rigole, en fait… J’ai commencé un régime hyper protéiné. » Bien qu’il cachait son secret depuis très longtemps à la plupart des gens, il lui arrivait encore de faire des gaffes qui face à des gens avertis pourraient très bien mal finir. Heureusement, il se rattrapa avec une excuse bateau, mais heureusement pour lui ils arrivèrent rapidement en bas de son immeuble.

Rapidement, ils entrèrent dans l’appartement des deus frères et le plus âgé rangea la viande, avant de retirer sa veste, sortir de bière, partir dans sa chambre et de finalement revenir vers Willow. « Voilà, un t-shirt et une bière, au moins ta journée n’est pas complètement ruinée. » Un petit sourire avant d’ouvrir à son tour sa bière et de sortir la boîte de dolipranes d’un tiroir et de s’en prendre un -accompagné de bière, cela ne le dérangeait absolument pas. « Tu en veux un ? Non parce que tu n’as vraiment pas bonne mine. » A l’aide d’une main, il lui indiqua la boîte sentant bien qu’elle était elle aussi en pleine souffrance interne, bien qu’il n’était pas certain que cela fasse vraiment effet.

Si l’humeur massacrante du mexicain se résumait à avoir envie d’arracher quelques cœurs et de s’ouvrir la tête pour se débarrasser de son mal de crâne, la jeune femme pouvait comprendre son état d’esprit et avait presque envie d’en rire, mais ça ne sortait pas. « C’est rassurant de savoir qu’il y a pire pour toi. » souligna la tatoueuse avec ce premier degré caractéristique alors qu’ils arrivaient à l’appartement de l’ancien joueur de Quidditch dans lequel elle entra pour la première fois.

Une multitude de signaux sensoriels la prit à la gorge et Will crut qu’elle allait se retrouver avec la respiration coupée. Tout était parfaitement nouveau pour la louve et malgré tout, une sorte d’aura persistante et tenace habitait les lieux. Will aurait pu mettre ses deux mains à couper, il y avait quelqu’un comme elle qui vivait ici – peut-être plus maintenant, peut-être que c’était un ancien locataire resté ici pendant des années. Chaque pièce embaumait d’une odeur qu’elle identifiait sans problème et qui se mêlait à celle de Némo et même celle d’Elias. Une tierce personne avait aussi sa place ici mais ce n’était pas le plus flagrant pour l’odorat de la jeune femme qui tempéra son flair pour ne pas avoir l’air un peu trop suspecte. D’ailleurs, il suffisait qu’elle se laisse un peu aller pour que son interlocuteur l’alerte. « La pleine Lune ? C’est quoi le rapport ? » l’interrogea t-elle, le sourcil légèrement relevé et l’air un peu trop interloqué. Après tout même les humains étaient parfois impactés par l’astre nocturne, mais tout de même, cette façon d’amener la discussion à ce point de détail était troublant.

Némo partit ranger ses courses tandis que l’anglaise commentait son choix d’alimentation non sans une petite pointe de provocation. « Eh bien j’espère que c’est pas à cause de notre combat de la dernière fois que tu fais ça. » La tatoueuse se rappelait parfaitement de leur dernière entrevue qui s’était déroulée à l’improviste sur le ring du QG de l’Ordre. Les hommes étaient souvent revanchards et n’appréciaient que rarement la résistante physique d’un partenaire féminin ; cela dit Némo ne semblait pas être ce genre de personnes et s’il avait choisi de s’enfiler des quantités astronomiques de viande saignante, ça ne devait regarder que lui – lui et un sérieux déficit en fer ou un hémoglobine, commenta son ami le scepticisme.

« Merci. » répondit-elle automatiquement en serrant la bière froide dans sa main. Cette fraîcheur lui faisait du bien, mais pas assez pour dissiper la tête affreuse qu’elle devait avoir et qui inquiétait apparemment son ami. « Ca va. C’est … » Une seconde, juste le temps qu’il fallait pour maîtriser les battements de son cœur et ne pas paraître suspicieuse au cas où. Elle ne savait pas exactement pourquoi elle prenait ses précautions mais avait la certitude que si elle ne le faisait pas, elle le mettrait sur le chemin. « C’est juste que je suis un peu barbouillée. Ca va passer. Je vais pas faire un malaise, t’en fais pas. » voulut le rassurer une Willow un peu perturbée tandis qu’elle buvait une grosse gorgée de bière pour faire passer le tout – ce qui lui arracha une petite quinte de toux. Ce n’était pas le moment pour s’étouffer avec sa boisson, et encore moins pour faire la fine bouche en dépit de l’amertume décuplée qui envahissait ses papilles jusqu’à la nausée.

Voilà, maintenant elle avait envie de vomir et en plus elle supportait de moins en moins cette affreuse tâche humide qui lui collait au ventre. Némo lui avait donné un vêtement, elle ne pouvait plus attendre. « Où est ta salle de bains ? » demanda t-elle brusquement, tee-shirt en main alors qu’elle se levait pour suivre ses indications. Future nuit de pleine Lune ou non, elle restait cette fille qui ne se changeait pas devant un garçon – même Némo – et ce ne serait pas à son instinct d’animal d’en décider autrement pour elle.

Son mal de tête lui donnait envie de hurler et de frapper dans quelque chose, mais la retenue était une habitude chez le brun. La jeune femme semblait presque dans le même état que lui, ce qui d’une certaine manière était compatissant, mais à la fois très étrange étant donné ce qui lui arrivait à lui. « J’échangerai bien ma place, j’avoue. » Jugeant que la jeune femme ne pouvait définitivement pas être dans le même état que lui pour des raisons évidentes, il se contenta de supposer qu’elle devait couvrir une grippe ou un truc dans le genre, très en vogue en cette période de l’année. Cela dit, la manière de répondre de la jeune femme à propos de la lune était presque étrange et alerta les sens du mexicain. « Bah il paraît que ça joue sûr les humeurs, raison pour laquelle on parle de personnes lunatiques. Tu pensais à quoi ? » Un sourire à peine lisible, tandis qu’il tentait de cacher sa curiosté naissante et son intérêt poussé pour la jeune femme. Elle mentait, elle cachait quelque chose, il l’avait toujours su et il avait comme l’impression que cela était parfaitement lié à la lune. L’espace d’un instant, il se demanda s’il était possible que Willow soit comme lui, l’ennui c’était qu’il ne pouvait pas le prouver sans risquer dévoiler son secret.

La jeune femme semblait intriguée par le viande, ce qui lui donnait un autre soupçon à son sujet. Il peinait à cacher son interrogation et si elle était vraiment comme lui, elle devrait rapidement comprendre que quelque chose s’était déclenchée chez lui. « Ahah, non je n’ai pas besoin de ça pour te foutre gagner. » Une petite boutade histoire de cacher tout ça et surtout de détendre un peu l’atmosphère. En attendant, louve ou pas louve, la jeune femme ne semblait pas au top de sa forme et comme Némo restait une bonne personne il s’inquiéta un peu, bien que son était n’était pas beaucoup mieux. « Ok, sinon tu me dis. » Il avala son doliprane et attrapa un paquet de biscuits au chocolat, avant de se poser dans le canapé. « Juste au bout du couloir, mais tu devrais connaître depuis l’anniversaire de Elias. » Un sourire, avant de la regarder partir en direction de la salle de bain et de regarder rapidement son téléphone en attendant son retour.

Mauvaise réponse, grinça son inconscient. Plus que la fille à côté de ses pompes, elle devait passer pour une paranoïaque de première et ça, ce n’était pas franchement ce que Will espérait. « Ah. » Elle n’avait pas de meilleure réponse à lui fournir, tout simplement parce qu’il avait raison – elle voyait des signes là où il n’y en avait aucun. « A rien. J’ai pas vraiment la tête à penser là. » Pas le temps de se justifier et de se mettre encore plus dans la panade, la jeune femme quitta le salon et courut presque pour s’enfermer dans la salle de bains.

Enfin et plus ou moins seule, Will se débarrassa de son tee-shirt tâché, pestant contre le goût persistant de la bière sur ses papilles. Elle ne savait même pas pourquoi elle avait bu ça, elle détestait ce truc et d’ailleurs elle avait vraiment envie de rentrer chez elle, là tout de suite, ou plutôt non, aller courir dans la forêt jusqu’à ce que ses poumons rompent sa cage thoracique, ça c’était une idée intéressante pour qu’elle arrête une bonne fois pour toutes ce chaos dans sa tête. « Calme-toi. » s’ordonna t-elle tout bas, mains agrippées au rebord du lavabo, les yeux face au reflet des siens dans le miroir. Un éclair orangé passa dangereusement dans son iris et la brune ouvrit le robinet fébrilement pour s’asperger le visage d’eau froide. A défaut de totalement effacer son irritabilité, le geste apaisa durant quelques secondes son malaise et elle essuya les dernières gouttes qui ruisselaient sur ses joues avant d’enfiler le tee-shirt deux fois trop large que Némo lui avait prêté. Aucune surprise puisqu’il appartenait au mexicain et que d’ailleurs il aurait été étonnant qu’elle ait la même carrure d’épaule et de buste que lui. Will rentra en partie le vêtement dans son jean pour ne pas avoir l’impression d’être ridicule et elle remit ses cheveux en place pour ne pas avoir une tête de folle plus longtemps. Quelques secondes après, la jeune femme sortait enfin de la salle d’eau, à peu près calmée et surtout plus détendue.

« Encore merci. Je te le ramènerai la prochaine fois. » répéta Willow en désignant du pouce son haut. Elle se rassit dans le canapé, son dos s’enfonçant dans celui-ci avec un peu moins de retenue. Après la frustration et la colère, le calme. Pour combien de temps, ça elle n’en savait rien, mais autant en profiter au vu du changement quasi-constant de ses humeurs.

Avec un temps de retard, la demoiselle repensa à la fête d’Halloween qui avait eu lieu ici et qui, à l’époque, avait compté dans ses rangs la louve. « J’avais oublié que j’étais déjà venue ici en fait. » pensa t-elle à haute voix avant de poursuivre, un peu amusée. « Faut dire que la dernière fois, c’était rempli de gamins déguisés. » Se sentir comme la chaperonne d’une fête clandestine ne lui avait jamais paru aussi perturbant, d’autant plus quand elle avait dénombré pas moins d’une moitié d’invités mineurs en train de boire et qu’il y avait eu pas mal de grabuge – principalement des histoires d’adolescents qui lui échappaient littéralement. « T’y étais ? Non parce que si ça se trouve je t’ai croisé sans te reconnaître. J’étais la citrouille de deux mètres de large. » précisa t-elle avec un tel sérieux que le comique de l’imaginaire s’en trouvé accentué – Willow Silverstein grimée en courge, franchement, personne n’y avait cru et Elias avait d’ailleurs tellement adoré le déguisement qu’il avait du prendre des dizaines de photos d’elle affreuses. Mais bon, tant que ça lui faisait plaisir, Will ne se sentait pas de l’envoyer bouler. Le frère de Némo déclenchait en elle une certaine tolérance qu’elle n’avait pas avec grand-monde. Cette fratrie Desario regorgeait de surprises pour elle.

Après quelques minutes de solitude et de souffrance dans la canapé de son salon à essayer de se calmer, le brun adressa un vague sourire à la jeune femme qui regagnait le salon. Ils avaient tous deux l’air de sortir d’une énorme soirée ou de vivre la plus méchante grippe de l’année -autrement dit, leurs mines ne faisaient pas très fraîches. « Ouais, pas de soucis, c’est pas comme si j’en avais qu’un. » Il ne bougea pas et la laissa s'asseoir avant de poser les pieds sur la table basse et s’enfonçant dans le canapé. Némo allait sûrement passer beaucoup de temps dans ce canapé à supporter les petites blagues canines de son frère. Un spectacle affligeant qu’il supportait à chaque fois sans montrer les crocs. Alors qu’ils se retrouvaient tous les deux dans une galère silencieuse, le sujet de la soirée d’anniversaire du plus jeune occupa un peu le silence. « J’imagine pas l’horreur. » Pour rien au monde il n’aurait foutu un orteil dans une soirée pareille, surtout qu’il aurait été collé par une horde de fans. Surtout que le lendemain, son frère lui avait raconté quelques mésaventures, qu’il était bien content de ne pas avoir vu.

Willow lui demanda s’il avait été présent pour les vingt ans de son frère et il lui sourit rapidement. « Non, j’étais chez Raph. Je voulais vraiment pas y aller, mais maintenant je regrette presque d’avoir loupé le spectacle. » Il imaginait parfaitement la jeune femme dans son déguisement orange et il aurait bien rigolé un peu, si cela ne lui faisait pas trop mal à la tête. Némo s’étira un peu, faisant craquer son épaule. Son corps tout entier le démangeait et il savait déjà qu’il aurait besoin de se défouler un peu dans la nuit ou dans les jours qui pourraient suivre. Néanmoins, l’odeur de la viande qu’il venait d’acheter le titillait encore et il avait hâte de manger. « Tu veux manger ici ce soir ? Je peux faire des steaks tartares. J’ai assez de viande pour une meute entière. » La cuire serait un sacrilège, mais si la jeune femme préférait la cuire il pourrait toujours sortir une poêle.

La brune fit une grimace un peu amère avant de rassurer Némo d’un regard. « Oh, j’imagine qu’Elias doit encore avoir quelques photos à te montrer. Ca en ferait rire un dépressif. » Au moins Willow avait le recul nécessaire pour apprécier les mérites de ses efforts : si elle s’était trouvée particulièrement ridicule, elle avait donné un peu de gaieté à la soirée d’autres invités.

Mais c’était sans doute bien une des dernières faveurs de ce genre qu’elle accordait à Elias. Il en avait d’ailleurs un peu trop bénéficié ces derniers temps : son aide à chaque soirée surprise qu’il voulait organiser, son soutien pendant des manifestations dont l’anglaise ignorait tous les tenants et aboutissants et qui ne l’intéressaient parfois même pas. Un de ces quatre matins elle se retrouverait à militer pour la protection des lapins et des animaux de la forêt – et ce jour-là, Will devrait admettre qu’en plus d’être particulièrement paradoxale, sa présence n’aurait rien de sincère pour une loup-garou.

La jeune Silverstein s’apprêtait à reprendre sa bière en main mais la reposa presque sur le champ en se souvenant du goût plutôt âpre de la boisson. Inutile de rajouter à son état de fébrilité maximale une nausée désagréable. Surtout maintenant que la tatoueuse pressentait qu’elle pouvait maîtriser sa respiration, son pouls et surtout les appels incessants que l’environnement adressait à ses cinq sens.

Dire que Willow ne s’attendait pas à cette proposition était un léger euphémisme. Elle qui pensait juste faire un arrêt chez le mexicain avant de se jeter à nouveau dans la folie de l’extérieur haussa les sourcils, répondant par un silence plutôt gênant et caractéristique d’elle à cette main tendue et avenante, en toute amitié – ils en étaient au moins là à ce stade, imaginait la jeune fille. « Ah, ben, c’est. C’est gentil, mais – » En manque d’excuses et tout simplement encombrée par son incapacité chronique à ne jamais savoir répondre correctement à la politesse des autres, la jeune femme finit par bégayer, un peu bête. « Je veux pas déranger. » Personne n’invitait quelqu’un si ça l’ennuyait, et vraiment pas quelqu’un comme Némo Desario. La jeune fille, à minima perspicace, s’en doutait et elle poursuivit, un peu plus assurée dans ses arguments. « Tu dois avoir des tas de trucs à faire, et puis je suis pas la meilleure compagnie du monde en ce moment. » Lui non plus, fit remarquer une petite voix en elle qui ne manquait pas de toupet.

C’était cela dit tellement bizarre et rare pour elle de se retrouver avec quelqu’un même pour manger un morceau qu’elle ne pouvait s’empêcher de faire le lien aux rares fois où c’était arrivé. La plupart du temps, le peu de rendez-vous de ce genre qu’elle avait déjà eu avec d’autres garçons n’avaient même pas vu la fin du repas – sa maladresse légendaire en était majoritairement responsable. Même si elle appréciait Némo, elle trouvait étrange de se sentir aussi proche de lui alors qu’au final ils se connaissaient vraiment peu. Et qu’elle avait toujours ce sentiment persistant qu’elle passait à côté de quelque chose chez lui. Et puis franchement, qui invitait une fille à déjeuner un steak tartare pour la calmer d’une crise d’on-ne-savait-pas-quoi ?

Personne ; parce qu’on ne faisait pas ça habituellement et puis parce qu’à bien y réfléchir et maintenant qu’il employait lui-même le mot de « meute », les choses commençaient sérieusement à devenir louches. Trop de coïncidences, comme s’il la provoquait ou que d’une curieuse manière, elle remarquait chacune de ses formulations hasardeuses. Jusqu’ici elle les avait toujours écartés par réflexe, parce que ca n’était que des abus de langage ou des faits anodins. Mais à force de cumuler tous ces instants bizarres où elle avait eu une sensation de déjà-vu, à compter toutes les fois où il s’était retrouvé à éluder des questions ou à tout simplement agir trop curieusement pour un humain normal, même sorcier, Willow commençait à éprouver de sérieux doutes et à se demander si Némo n’était pas tout bonnement en train de lui cacher la chose la plus énorme et la plus logique qui soit à la fois. Même s’il n’avait aucune raison de lui avouer un truc pareil, elle devait au moins tenter le coup, ne serait-ce que pour évaluer sa réaction.

« Dis-moi. T’es fan de loups ? » Inflexible, elle planta son regard dans le sien, concentrée sur lui et sur sa réponse. Un soupçon de tension flottait dans l’air à moins que ce ne fut une simple impression due à la solennité de la demande de la jeune femme.

Un déguisement citrouille devait effectivement avoir un potentiel comique et il demandera à l’occasion une photo à son frère, histoire d’en rire un peu. Lui n’avait même pas fait l’effort de venir, jugeant que sa présence aurait effacé celle de Elias, ce qui n’était pas le but le jour de l’anniversaire de ce dernier. « Je lui demanderai à l’occasion. » Il ne doutait pas un instant que le plus jeune ait conservé un tel souvenir. Le lendemain de l’anniversaire, il avait d’ailleurs eu le droit à un petit débriefing des déguisement par Elias et Natali, et apparemment la jeunesse avait fait preuve d’originalité. Au fond, même s’il se doutait que Elias n’avait pas ignoré la jeune femme, il ne pouvait s’empêcher de se dire qu’elle avait dû se sentir un peu seule au milieu de tous ces adolescents. S’il avait su, il serait peut-être passé pour la sortir de là et l’inviter à la petite soirée dans l’appartement d’en face en compagnie de la rousse la plus divertissante du monde.

L’invitation à manger semblait surprendre la jeune femme et il supposa que ce n’était pas commun d’inviter aussi à l’imprévu quelqu’un à manger chez soi en Angleterre. « Ah non, ça me dérange pas du tout. Mon frère rentre pas ce soir et je ne suis pas d’humeur à corriger des copies. » Soudainement, il se demanda si ce n’était pas simplement qu’elle ne souhaite pas manger avec lui, ce qui le décida à ne pas insister plus. La proposition était là, à elle de l’accepter ou pas -quoi qu’il arrive, lui se fera sa viande et bien saignante en prime. Ce fut à ce moment qu’il réalisa son mauvais jeu de mot, ce n’était pas très malin, mais la réaction de Willow l'interpella trop pour arrêter. « Non pas spécialement, pourquoi tu en as un ? » Némo plongea son regard dans celui de la jeune fille, comme pour déceler une réaction qui la trahirait, peu importe si cela créait une certaine tension.

Comme pour marquer une pause, il descendit un peu sa bière avant de réaliser que ce n’était pas du tout le cas de la jeune femme. « J’ai du jus de fruit si tu veux. » Sans vraiment attendre de réponse, il se leva pour lui servir un verre, avant de regagner sa place en posant le verre sur la table basse juste en face d’elle. Bien qu’il voulait absolument connaître le secret de la jeune femme, il ne comptait pas faire honte à ses origines et continueras d’être un bon hôte -sans quoi Abuela lui fera passer un sale quart d’heure.

Comme souvent, il prenait la question à contre-pied, répondant par une autre ou se jouant de son sérieux avec un petit sourire amusé. Il éludait toujours, jamais ne jouait la franchise. Avait-il quelque chose à lui cacher ? Définitivement, oui. Elle en avait eu l’intime conviction au premier coup d’œil, et même si elle s’était surprise à apprécier sa conversation et sa présence, elle n’avait jamais chassé cette sensation qu’un mensonge l’enveloppait. Il n’était pas tout à fait lui, sans qu’elle ne puisse dire ce qu’il dissimulait. « Qui voudrait d’un loup en animal de compagnie ? » Sa voix trahissait l’ombre d’un mépris qu’elle savait au fond d’elle-même faux, mais qui n’aurait pas été si dissonant à une époque où elle avait eu beaucoup de peine à accepter sa part animale. Aucun loup-garou n’était en paix avec lui-même tant qu’il n’avait pas traversé cette période de doute où cette voix bestiale, cet esprit primaire le dégoûte et l’effraie.

Le bruit du verre qui cogne sur la table la sortit de la transe brumeuse dans laquelle ses réflexions l’avaient plongée. Ses yeux allèrent du jus d’orange au visage de Némo. « Merci. » murmura la brune, brutalement absorbée par le visage du mexicain.

Réclamer des explications était dangereux, mais Willow n’avait ni peur du ridicule, ni peur d’être bizarre. Elle avait toujours été vue comme la fille aux idées étranges et aux instincts inexplicables. Qu’il puisse être un de ceux à penser cela ne changerait pas grand-chose à sa vie, en quelque sorte. « Je sais pas. Quelqu’un qui croit aux influences lunaires, qui parle de meute et qui raffole autant de la viande crue, ça faisait beaucoup d’un seul coup. » s’écouta t-elle lui pointer d’un doigt invisible, comme tout autant de petits indices trop ridicules pour ne pas être suspicieux. Disséminés comme des poussières, ils n’avaient l’air de rien quand ils étaient pris séparément. Ensemble, ils formaient une curieuse association, qui traçait un chemin dont les contours se précisaient peu à peu.

Un silence épais les entourait. L’odeur de la confrontation prenait le pas sur tout le reste. Sa colère était oubliée, le besoin soudain de guetter les respirations infimes et le cœur palpitant de Némo se faisant sentir. Ses sens s’axaient sur lui, point central de toute son attention. Elle l’observa ainsi, silencieuse, pendant plusieurs secondes infinies avant de finalement reprendre, relâchant toute pression invisible sur lui. « Mais ça doit être une grosse coïncidence, j’imagine. » Ses yeux épinglèrent les siens une toute dernière fois avant qu’elle ne finisse par détourner la tête et se lever d’un coup. « Je vais y aller. Merci pour l’hospitalité. » Elle ne pouvait nier qu’il avait tout de l’hôte parfait, mais les dernières minutes de leur échange avaient quelque chose d’anormal, de trop urgent pour qu’elle puisse rester complètement sereine en sa compagnie. Elle avait besoin de réfléchir, de prendre du recul – et surtout de faire attention à son propre comportement. Certains détails commençaient à prendre une prépondérance telle qu’elle réalisait qu’elle était peut-être bien en danger, que son identité véritable risquait d’être découverte si elle continuait à avancer en terrain miné sans réfléchir. Son instinct lui dictait de battre en retraite tant qu’elle le pouvait.

La remarque de la jeune fille amusa beaucoup Némo, qui ne tarda pas à faire une réponse honnête. « Personne, un loup c’est pas un animal de compagnie. » Non, ce n’était pas un animal de compagnie, mais un prédateur, ce qui sous entendait forcément un danger. Il était le mieux placé pour le savoir, étant donné que sa capacité lycantropique lui avait déjà causé des tords et bien trop de sang avait déjà coulé. Némo ne se pardonnera jamais des morts qu’il avait pu faire, même s’il n’avait que huit ou neuf ans à l’époque. Le verre de jus d’orange semblait bien plus plaire que la bière et Némo se rappela avoir déjà entendu Willow dire qu’elle n’aimait pas l’alcool. « De rien. » Après tout, être un bon hôte était une chose importante pour tout bon mexicain qui se respectait et il n’allait pas déroger à la règle. Pourtant, conversation dérapa un peu et il pouvait sentir une tension se créer entre eux, lourde et pesante, aussi bien dans les paroles que dans les silences.

Quelque chose chez Willow l’intriguait, mettait ses sens en alertes et pourtant, elle n’avait rien d’un danger à ses yeux. Il se sentait en sécurité avec elle, même si elle lui cachait un secret, ce qui était bien une première. Un sentiment d’incertitude, tandis qu’il regardait la brune, ressentant presque sa douleur, mêlée à la sienne. Les faits énumérés par l’ancienne poufsouffle le fit presque sourire et il ne pouvait s’empêcher de se dire qu’il avait en effet un peu déconné. Pourtant, il n’était le seul et étrangement, il avait l’impression d’aller dans la bonne direction. « Comme la personne qui déplace un sac de sable avec un petit coup de poing. Après, des fois c’est qu’une question de coïncidences. » Il scruta sa réaction, attendant la moindre faille, mais rien ne vint, en fait son mal de tête avait déjà gagné la guerre et il n’arrivait plus à géré ses dons. Alors qu’il se concentrer sur le rythme cardiaque de la jeune femme, elle se leva rapidement, annonçant son départ. D’une certaine manière, aux yeux de Némo, cela la trahissait déjà, mais il ne pouvait rien faire d’autre que la raccompagner à la porte. « Oh, d’accord… Bah écoute, à la prochaine. Bonne pleine lune. » Un signe de main et un clin d’oeil, avant de refermer la porte. La bombe hasardeuse n’en n’était pas vraiment une, avec ça les suspicions étaient lancées, pour lui, ils étaient similaire, les mêmes -des loups.