Les joues sales et sa chemise déchirée, il montait comme il pouvait les escaliers de l’immeuble, espérant un jour arrivé en haut. Il loupa plusieurs fois les marches et fit tomber six fois son téléphone, ce qui l’obligeait à redescendre plusieurs fois les marches qu’il venait de gravir avec courage. Il ne marchait absolument pas droit et pour dire vrai, il ne percevait même plus les reliefs des escaliers. Cela faisait plusieurs jours que Roméo avait disparu de la circulation, comme il le faisait bien trop souvent aux yeux de ses proches. La plupart du temps, il revenait comme si de rien n’était, après avoir passé des jours dans un état second, sûrement très loin. Seulement, parfois revenir était un peu compliqué, surtout quand le week-end c’était extrêmement mal passé. Déjà, son père lui avait téléphoné, lui annonçant qu’ils avaient avec sa mère trouvé un nouveau centre pour le soigner et pour changer, il n’avait pas vraiment envie d’y aller. Ce coup de téléphone était d’ailleurs la raison de sa disparition, mais comme si ce n’était pas suffisant, il fallait qu’il se fasse voler son portefeuille avec tout son argent et ses papiers.

Après peut-être une demi heure de galère, il arriva enfin à la porte du studio de sa petite soeur et frappa, dans l’espoir que cette dernière soit là -dans le cas contraire, il attendra sur le paillasson. Heureusement pour lui, la plus jeune ne tarda pas à lui ouvrir et lui lança un regard étonné. Dans un premier temps, il trouva sa logique étant donné l’heure assez avancée, puis finalement, il se souvint de l’oeil au beurre noir qu’il se tapait depuis de jour à cause d’une certaine personne qui comptait bien récupérer une certaine somme d’argent. « Evounette ! Je te dérange pas j’espère ? Je ne sais pas trop l’heure qu’il est. » Il passa sa main dans sa nuque un peu gêné, essayant de rendre la situation parfaitement normale. Le problème de Roméo, à part la drogue, c’était qu’il ne réalisait même pas à quel point il était dans la merde.

Allongée sur son lit, Eve se résignait à envoyer le dernier texto de sa nuit à Léo avant d’aller dormir. La jeune femme, qui d’habitude ne se montrait guère adepte de ce type de rituels cérémoniaux qu’elle qualifiait « poliment » d’absurde, n’en disait plus grand-chose depuis quelques temps. Plus d’un se serait moqué d’elle pour ça mais Eve Bannerman restait elle-même : ses messages à l’adresse de son petit ami restaient malgré tout souvent marqués de sa verve subtile et délicate et étaient loin de déborder de niaiseries.

Il était déjà plutôt tard et la jeune femme travaillait demain, elle étouffa un bâillement et se jeta sous sa couette, envoyant valser chaussettes, ordinateur portable qui traînait sur le bord du canapé-lit et coussins par terre pour s’enrouler et éteindre la lumière. Ses yeux fixèrent pensivement les chiffres rouges du radio-réveil à moitié déglingué à force d’être jeté au travers de la pièce jusqu’à ce que ceux-ci deviennent flous, petit à petit.

Alors que le sommeil s’apprêtait à la rejoindre, une série de coups retentit à la porte, ce qui chassa brusquement Morphée. La brune rouvrit un œil, alerte, attendant quelques secondes en retenant son souffle. Les coups se répétèrent ; cependant ils n’étaient ni forts ni accompagnés de menaces particulières. Quasi sûre et certaine qu’il devait donc s’agir soit d’un voisin à moitié somnambule ou d’une erreur, l’italienne se leva de son lit, clairement de mauvaise humeur et prête à râler, et ouvrit la porte brusquement.

Son frère, planté devant elle, avait l’allure d’un type vraiment mal en point. Si elle ne s’était pas attendue à le voir débarquer à un tel moment de la nuit, elle oublia vite la colère passée. Sa chemise déchirée de part et d’autre ainsi que le magnifique œil au beurre noir qui ornait son visage apparemment fatigué la firent froncer des sourcils, bien que sa voix n’était pas aussi tendue que cela. « Il est une heure du mat’, Romy. » Elle s’appuya contre l’entrée, le dévisageant de pied en cap. « Qu’est-ce qui t’est arrivé au juste ? » Un mauvais pressentiment lui suggérait qu’il devait encore être en plein trip mais qu’il n’avait sans doute pas du que rentrer par accident dans quelques poubelles pour être dans un tel état.

« Rentre. » La brune lui fit signe de la tête et attendit qu’il ait franchi le seuil pour refermer la porte à clé et le laissa s’asseoir sur son lit fraîchement défait. « T’es défoncé ? » Abrupte et pas franchement adepte de tourner autour du pot, la jeune femme se dirigea vers le mini-frigo pour en sortir une bière – qu’elle se réservait d’office, vu que Roméo avait déjà attaqué depuis quelques heures à bien plus fort – et servit un verre d’eau à son aîné. Elle sentait qu’elle n’était pas prête de dormir de suite.

Sa main se posa sur le mur, histoire de trouver un appui plus stable que ses deux jambes, tandis que sa soeur le dévisagea avec une certaine froideur. Roméo se doutait bien que leur ne plaisait pas et aurait préféré ne pas la réveiller, mais il avait vraiment envie de voir quelqu’un de vraiment familier. Le garçon ne parlait pas souvent de lui ou de ses problèmes et pour dire vrai il cachait finalement beaucoup de choses aux gens de son entourage. Par exemple hors sa soeur et sûrement Aurore, personne ne savait qu’il se retrouvait souvent à l'hôpital pour gérer ses overdoses et encore moins le nombre de cures qu’il avait pu faire sans aucun succès. « Une heure ? Ah ouais, je pensais qu’il était plus tard pour le coup. » En même temps, il revenait de loin et pas mal de choses s’étaient en très peu de temps -ce que lui demandait justement sa petite soeur. « Euh, des trucs ? » Un vague sourire en direction de sa soeur, tandis qu’il s’alluma sa dernière clope qu’il avait conservé dans la poche de sa chemise, ainsi qu’un briquet qu’il avait sûrement emprunté à quelqu’un.

Après un petit silence, elle se décida enfin a le faire rentrer chez elle, ce qu’il accepta volontiers, se dirigeant automatiquement dans le lit encore chaud et s’allonger dedans en retirant au passage ses chaussures. Le chemin bien que court, fut extrêmement laborieux et il manqua par plusieurs reprises de finir par terre. La question de la plus jeune l’étonna presque à tel point elle était obvious. « Ouais, désolé. » L’italien avait toujours eu la fâcheuse manie de s’excuser continuellement pour à peu près tout, ce qui pouvait agacé, surtout au sujet de la drogue. La plus jeune lui apporta tout de même un verre d’eau. « Merci. » Il retira sa chemise et regarda son torse pleins de bleus, ainsi qu’une plaid au niveau de son ventre. Mécaniquement, il posa sa main dessus, avant de regarder sa soeur un peu gêné et surtout complètement stone « Un chat sauvage. » Honnêtement, il avait honte d’être le genre de frère qu’il était et préférait voir de la fierté dans les yeux de Eve plutôt que cet air blasé.

Comme prévu son frère n’avait aucune notion du temps et il échoua donc dans son appartement, aussi mort que fatigué. Parfois Eve se demandait comment il pouvait réussir à être aussi peu lucide et pourtant trouver le chemin jusqu’à chez elle. Romy avait ses petits secrets et ils étaient sans doute bien plus nombreux et sources de danger que ce qu’elle pouvait imaginer. Mais même si elle tenait à respecter son intimité parce qu’elle n’était pas comme leurs parents, elle ne pouvait pas non plus le laisser faire n’importe quoi de sa vie – et la drogue faisait donc partie de ces interdits.

Il avait beau être peiné de ressembler grosso modo à un déchet, ça n’était pas lui qui avait l’air le plus affecté à ce moment-même. « Et moi donc. » marmonna la brune en reposant le décapsuleur sur le plan de travail.

Si son visage était incroyablement fermé et morose, celui de son frère transpirait la douleur mal contenue. Comme s’il s’était pris une sérieuse trempe. Une fois sa chemise ôtée, l’italienne ne put réprimer un haussement de sourcils et elle crut qu’elle allait envoyer sa bière à la tête de Romy. « Un chat ? Putain mais t’es sérieux Romy ? » Le mot réveilla littéralement Marie qui se mit à grogner tout en se redressant sur ses courtes pattes. Le chien cligna des yeux plusieurs fois, observant Eve se mettre à tempêter devant son frère. « Quel mec complètement taré te vend sa merde et t’ouvre le bide en cadeau ? » Son regard, oblique, scruta le visage de Romy sans le lâcher jusqu’à pousser u profond soupir et boire une longue gorgée de bière.

Le bouledog avait l’habitude des colères de sa maîtresse ; de toute façon, y avait-il au moins u jour où elle ne s’énervait pas un tant soit peu sur quoi que ce soit ? Le canidé s’ébroua avant de se diriger vers la proie de toutes les attentions de la jeune fille, Roméo, et se hissa sur le lit défait et déplié pour s’y étaler juste à côté du junkie. Eve considéra d’un air parfaitement blasé les deux tas qui gisaient sur le matelas : il n’y aurait rien de bon à tirer de Roméo ce soir mais la situation ne pourrait pas durer éternellement. « T’es dans un état pitoyable. » finit par décréter la brune qui poussa un peu Marie pour s’asseoir à côté de son aîné et le regarder, toujours avec ce soupçon de reproche à peine déguisé. « Il faut que t’ailles faire soigner ça. A l’hosto magique ou non, je m’en fous, mais tu dois y aller. » Comme dans une sorte d’approbation presque comique, Marie se leva pour aller s’installer juste à côté de la tête de Roméo dans un petit ronflement caractéristique. « Qui est-ce qui t’a fait ça ? » S’il n’avait pas de nom à lui filer, il valait mieux qu’il lui dise tout ce qu’il pouvait dès maintenant – Eve n’avait pas la patience de jouer au « Qui est-ce ».

Sa main sur sa blessure retenait à peine le sang qui coulait sur le bas de son ventre, tandis qu’il peinait à faire bonne figure devant sa petite soeur. L’alcool et la drogue permettait d’atténuer la douleur, ce qui lui permettait de jouer un peu la comédie devant elle, histoire de dédramatiser le fait qu’il se soit fait tabassé et planté par des gens mauvais et dangereux. « Bon c’était un gros chat, genre presque un tigre ou un lion… Un ligre ! » Faire de l’humour dans un moment pareil était parfaitement déplacé, mais il ne voyait pas trop quoi dire d’autre, préférant ne pas l’inquiéter et la décevoir plus que ce n’était déjà le cas. La question de la jeune femme tomber sous le sens, mais Roméo ne chercha même pas à donner une réponse, restant comme toujours très secret. Le chien de la plus jeune grognait un peu contre lui, mais il se contenta de lui lui tendre sa main libre pour le caresser doucement. Une morsure de chien irait avec le thème de sa journée, mais heureusement Marie n’était pas dangereuse pour lui, surtout qu’elle commençait à le connaître.

Sa soeur dégagea un peu le chien pour se poser proche de lui, le regard lourd de sens et une réplique sanglante. « Je sais... » Il baissa les yeux, parfaitement au courant de l’état dans lequel il se trouvait et ce qu’il faisait subir à sa petite soeur sept ans plus jeune que lui. Bien qu’il était totalement totalement fait, il pouvait tout de même ressentir une certaine honte et culpabilité à faire vivre un enfer pareil à ses proches, raisons pour laquelle qu’il n’en touchait pas un mot à Félix, Ondine, Thyme ou Aiden. Vivre dans un secret lui semblait pour le moment plus simple et c’était la raison qui le poussait à toujours refusé l'hôpital, du moment qu’il était conscient. « Non, je peux pas y aller, mais si tu as des compresses, du désinfectant et de la glace, ça devrait suffire. » La réponse n’allait certainement pas plaire à Eve, mais il était majeur et pouvait décider d’aller à l'hôpital ou pas, surtout qu’il se doutait bien que son agresseur n’avait pas touché des organes important étant donné qu’il comptait bien toucher une grosse somme.

Roméo n’avait pas que des bonnes fréquentations et surtout pour se qui concernait la drogue. Cela faisait de nombreuses années qu’il s’alimentait chez le même mec, qui avec le temps était devenu à ses yeux un pote sympa. Seulement, ce fameux mec avait découvert que le sympathique Junkie qui lui devait de l’argent était finalement le fils d’un des plus riches PDG d’Ecosse, ce qui voulait dire dans le milieu une mine à argent. Les intérêts étaient montés et la pression aussi. Alors que Roméo avait prévu de passer un bon petit week-end, cela avait tourné au drame etant donné qu’il avait expliqué qu’il n’avait pas l’argent. Seulement, il ne voulait pas en parler, préférant assumer seul tout ça. « Je peux rien dire, mais t’en fais pas, je vais arranger ça… Promis ? » La jeune femme devait en avoir marre de toutes ses promesses qu’il ne tenait jamais, à commencer par la très célèbre : “je vais arrêter la drogue”.

Dans la tête de son grand frère, sa réponse devait engendrer des tas de fous rires et créer une ambiance joyeuse et festive. Dans la réalité, on était bien loin de se fendre la poire. L’assistante affichait même un air plutôt proche de l’écoeurement et se passa la main sur la figure, désemparée par la bêtise de haute voltige dont faisait preuve son frangin. « Romy, ta gueule. » coupa la jeune femme, au comble de la lassitude. Sans vouloir le blesser émotionnellement, la benjamine n’en pouvait plus d’entendre son frère continuer contre vents et marées à essayer de la mener en bateau – en plus elle avait l’horrible impression d’être prise pour une imbécile, à son plus grand désarroi.

La brune se pencha sur la blessure de son aîné et il ne fallut que quelques secondes pour reconnaître la précision et la lacération faite par l’arme blanche qui avait touché Roméo. Roméo qui refusait tout net l’hôpital et Sainte Mangouste, Roméo qui préférait de très loin se réfugier chez elle, Roméo qui devait croire qu’elle avait un diplôme de Médicomage, Roméo qui commençait sérieusement à l’épuiser avec ses visites à l’improviste et ses mésaventures de drogué. « C’est un coup de couteau. Je sais pas si tu réalises mais t’es peut-être en train de faire une hémorragie interne chez moi. » Plus vraiment détendue ni en capacité de prendre à la légère ses dérapages, Eve aurait aimé savoir ce qui passait par la tête de Romy quand il était perdu entre deux étages de son inconscient complètement planant pour avoir des solutions aussi manichéennes et débiles. Comme si elle n’y avait pas pensé par elle-même. « Des compresses, de la glace et du désinfectant. Ben voyons. Tu veux savoir si j’ai un bloc opératoire aussi ? Du con. » bougonna la jeune fille qui était néanmoins en train de chercher et de sortir de ses tiroirs divers outils pouvant lui servir – de la gaze, une paire de ciseaux, et un bac à glaçons plein avec un torchon.

Elle revint vers lui les bras chargés et posa le tout sur la petite table basse qui faisait face au lit déplié pour remplir le linge de glaçons, le tendant à son invité surprise sans la moindre joie. « Arrête de promettre quand tu peux pas tenir. » La colère claqua dans l’air comme un coup de fouet sans appel. C’était normalement à lui d’être responsable et de la surveiller elle si elle commettait des erreurs de jeunesse. C’est lui qui aurait du la sermonner et lui expliquer que dans la vie on ne doit pas faire tout et n’importe quoi et qu’on doit rendre fier ses proches. Au lieu de ça, il décuvait, effondré sur son lit qu’il allait bientôt tâcher de sang et caressait distraitement Marie comme un veilliard sur son lit de mort en maison de retraite. « Dis-moi au moins ce que tu dois à ces types. Ca ne peut pas être insoluble. Je vais t’aider, moi. » avait l’air d’exiger une Eve soucieuse qui commençait à dérouler la gaze et à la découper en longues bandes.

La colère se lisait comme un panneau publicitaire de Las Vegas sur le visage de sa petite soeur et elle ne semblait pas du tout d’humeur à faire de l’humour. Elle savait mieux que personne que Roméo se comportait ainsi, simplement pour faire semblant que ce n’était pas très grave, seulement plus il mentait plus c’était grave. La blague féline ne passa donc pas du tout et sa soeur lui demanda très rapidement de la fermer, ce qu’il fit sans ronchonner. « D’accord. » Roméo faisait des erreurs, beaucoup d’erreurs, mais il n’était pas un mauvais bougre pour autant et aimait beaucoup sa soeur. Un jour, il aimerait la voir fier de lui et surtout qu’elle puisse arrêter de vivre dans l’inquiétude constante d’apprendre que son grand frère a été retrouvé sous un pont après une overdose. L’écossais se mordillait un peu la lèvre histoire de passer un petit peu la douleur qui commençait à apparaître -sûrement parce que les effets de la déchéance s’estompaient.

Si lui ne s’inquiétait pas vraiment pour sa blessure, ce n’était le cas de la plus jeune qui le voyait déjà dans un cercueil avant la fin de la nuit. « Non, ils comptent bien me revoir en vie. » L’ancien serpentard n’était pas certain que cela rassure vraiment l’autre, mais au moins elle pouvait souffler quelques secondes ce dont il avait lui-même besoin. Les cris de sa soeur dans ses oreilles ne l’aidaient pas vraiment à réfléchir à une solution, mais il se voyait mal lui demander de parler moi fort. « Ca va, je demande juste... » Un petit soupire tandis qu’il la regarda revenir avec un kit de soin de fortune. Il ne se plaignait pas du tout, étant donné que s’il était rentré chez lui, il se serait sûrement versé de l’alcool sur le lui étant donné qu’il n’y avait rien d’autre qui aurait pu faire l’affaire.

Sa promesse fit l’effet d’une bombe et Roméo se sentait réellement coupable. « Pardon... » S’excuser ne servait certainement à rien, mais c’était au moins sincère. Bien sûr, ce n’était pas pour ça qu’il arrêtait de consommer, qu’il replongeait après chaque détox ou qu’il s’en allait pendant des jours sans rien dire à personne. Il était la honte de sa famille, il était le frère le plus nulle du pays et un piètre ami -ce qui ne l’aidait pas à ce regarder tous les matins dans le miroir. Il colla la glace sur son oeil, histoire de limiter le magnifique coquard qu’il aura demain. Sa soeur s’occupait avec des bandes, avant de lui demander combien il devait exactement. Roméo ne savait pas trop s’il devait lui cacher la vérité ou si c’était mieux de lui dire maintenant. La peur que sa soeur lui colle une baffe était grande, mais il supposa qu’après tout ce qu’il lui faisait subir, lui parler n’était pas une mauvaise idée. « 50 000 Livres. » La somme laissa un silence pomblant, même lui avait du mal à l’accepter et surtout à réaliser qu’il devait autant d’argent. D’ailleurs, ce n’était pas la somme qu’il devait à la base, mais plutôt celle qu’on lui avait annoncé dans la journée et qui n’avait rien de réaliste pour un simple libraire comme lui. « Je devais pas autant, mais ils ont su pour nos parents et on augmenté les intérêts où je ne sais pas trop quoi, mais je vais trouver une solution. Tu sais quoi ? Je vais rendre visite à papa. » Rendre visite aux parents ne l’enchantait pas, surtout que si ces derniers acceptaient -ce qui était très loin d’être fait- il ne pourra sûrement retourner à sa petite vie anglaise.

Bien sûr, il pourrait parler à la police, mais il savait bien que cela se retournerait contre lui ou contre les membres de sa famille. Autrement dit, il devait absolument trouver cette somme dans les prochains mois. « Ca peut rester entre nous ça, s’il te plaît ? » Il ne voulait pas que les autres soient au courant pour l’argent, ni pour son agression. Il réglera ça rapidement, même si pour cela il doit finir sa vie derrière un bureau dans l’entreprise de son père ou même dans un monastère en plein milieu de l’Italie. Il s’essuya une joue qui était déjà bien humide à cause des quelques larmes qui coulaient le long de sa joue.

Eve avait commencé à essuyer le sang autour de la plaie et enroulait le ventre de son frère qu’elle avait fait se redresser doucement avec la gaze. Elle s’en sortait jusque là et aurait même pu se nommer meilleure Médicomage de la semaine jusqu’à ce que son interlocuteur lui réponde de but en blanc et sans plus de détours sur la dette qu’il avait accumulée. Dieu merci, l’écossaise était déjà assise. Ses yeux s’écarquillèrent et elle en laissa tomber le rouleau de gaze. « Cinquante mille- » Eve marmonna quelque chose qui ressemblait à un concentré d’insultes avant de ramasser la bande et d’observer avec une attention accrue l’expression facile de son grand frère. Elle avait peut d’entendre la réponse qu’elle pressentait fortement négative, mais elle demanda quand même, au cas où elle pouvait s’épargner un deuxième mini-choc cardiaque en se rappelant de la somme astronomique que venait de lui annoncer Romy. « Tu déconnes ? » Si son aîné avait un goût prononcé pour les blagues bizarres et pas forcément amusantes, là, ce n’était même plus de son niveau – c’était hors compétition.

Les options pour se sortir d’un tel merdier se restreignaient à vue d’œil. Ils n’avaient absolument pas cet argent sur leurs livrets à Gringotts ou en banque moldue – d’ailleurs elle n’était pas certaine que Romy ait encore un compte en banque. Un beau paradoxe pour deux personnes nées Bannerman. Son frère, lui, avait déjà pensé bien faire mais il se trompait sur toute la ligne. Interloquée, Eve hocha aussitôt la tête en signe de dénégation. « Non. On va pas voir les parents. Tu sais très bien ce qu’ils vont dire et ce qu’ils vont vouloir en échange. » Hors de question de leur offrir la satisfaction et la confirmation que sans eux, leur progéniture foutait tout en l’air et faisait n’importe quoi. Roméo finirait dans un établissement de santé à vie et elle, elle signait la fin de sa tranquillité et de son indépendance chérie. Elle ne voulait pas que leurs parents reprennent leurs vies en main, c’aurait été avouer qu’ils étaient tous les deux des bons à rien. Et même si Roméo n’était pas un génie ou un aîné exemplaire, il ne méritait pas ça. « On va se débrouiller, t’inquiète. » lui assura t-elle avec une force inouïe. Sa paie avec Raph ne suffirait pas à elle seule, elle devrait songer à une autre option. Elle avait bien une idée, mais celle-ci ne lui plaisait pas beaucoup. C’était pourtant la seule lueur d’espoir possible pour Romy. « Je vais t’aider à les rembourser. Mais je te préviens qu’après ça il va falloir que t’arrêtes ces putains de conneries de merde, je te jure sur ma vie. » Eve avait quelques difficultés à retenir les relents de frustration qui émergeaient de ses paroles. Aussi gentil et doux pouvait-il être, son frère était immature et profondément enfantin. Il n’avait pas vraiment de sens commun, même sobre. C’était là son seul et plus gros défaut.

La brune fut quelque peu surprise de la demande de l’écossais néanmoins elle ne mit pas longtemps avant d’accepter. « Oui. » Il lui paraissait logique qu’elle n’allait pas se vanter de leur situation, mais si son frère pouvait s’apaiser en ayant la certitude que sa sœur ne le laisserait pas tomber de sitôt, il venait d’en avoir la preuve.

L’assistante termina son bandage de fortune et le noua trois fois avant de reculer et de jauger son travail. « Ca devrait tenir pour cette nuit. Mais demain on va à l’hôpital ensemble. » Il ne pouvait pas prendre le risque d’attraper une sale infection. Eve jeta un œil à la mine déconfite de Romy et frotta sa joue sale de son index. « T’as la même gueule qu’un mineur. Tu devrais te décrasser la tête. »

La somme était astronomique, même pour quelqu’un d’aussi peu terre à terre que Roméo. La nouvelle ne plaisait pas à sa soeur, mais après tout, il se doutait qu’elle puisse plaire à quelqu’un. Ses dettes étaient à la hauteur du danger qu’il encourait un peu plus chaque jour. L’écossais se retrouvait coincé dans un piège qui se refermait doucement sur lui et les possibilités de s’en sortir disparaissaient une à une. « Mais en vrai, je leur devais pas du tout autant... » Non, parce qu’il se souvenait parfaitement avoir déjà payer ses gars et s’il n’avait pas été le fils Bannerman, rien ne se serait terminé comme ça. Malheureusement, il n’avait pas l’argent et de demander aux parents sous-entendait beaucoup de sacrifices. La réaction de sa soeur face à cette proposition ne l’étonnait pas vraiment et il se contenta pour le coup de dire ce qu’il pensait réellement. « Je préfère finir ma vie à l'hôpital ou dans un bureau, que de te mettre en danger. » Même s’il vivait presque quotidiennement dans un monde lointain, il était loin de laisser des malheurs arriver à ses proches. S’il devait abandonner sa petite vie tranquille pour protéger Eve, il le fera sans la moindre hésitation.

S’il avait le sens du sacrifice, ce n’était pas le seul, étant donné que la plus jeune se dévoua le plus naturellement du monde pour l’aider à trouver cet argent. Pour dire vrai, il n’avait jamais douté un instant de sa loyauté, mais il ne pouvait pas accepter. « Merci, mais je vais me débrouiller tu sais... » Parce que c’était trop de risques, parce que c’était son problème et enfin parce qu’il devait être le seul à en payer les conséquences. « D’accord. » S’il refusait qu’elle agisse, il ne pouvait pas lui refuser de se rendre à l’hôpital le lendemain, surtout que pour le coup, il se douterait qu’elle le traînerait de force là-bas s’il le fallait. Sans sa soeur, Roméo serait bien perdu des fois et il aimait pouvoir compter sur elle dans les moments les plus sombres. Même après tout ce qu’il lui faisait subir, elle trouvait encore la force de lui montrer un peu de douceur en lui essuyant un peu sa joue sale. « Je sais, mais plus tard, la salle de bain est trop loin. » Un sourire timide en sa direction, avant de finalement l’attraper dans ses bras et de la serrer contre lui. Le premier contact chaleureux depuis quelques jours et sûrement le plus réconfortant du monde. « Je suis désolé Eve, je suis un frère horrible. » Sa voix montrait une certaine tristesse, tandis qu’il pouvait sentir cette présence rassurante contre lui. Après quelques instants, il la libéra et s’allongea sur le lit en retirant ses vieilles stan smith. « Bonne nuit ? Je vais trouver une solution. » Il lui laissa de la place, avant de fermer un peu les yeux, comme pour fuir la réalité.

Poussé à se justifier et à vouloir minimiser les choses, Romy fournissait des explications qui laissaient la benjamine de marbre. Elle connaissait suffisamment l’univers des créanciers et des magouilleurs pour savoir qu’une dette pouvait vite grimper quand on venait d’une famille aisée ou quand sa tête ne revenait pas au payeur. Il n’y avait aucun calcul mathématique qui expliquait ces cinquante mille livres, elle n’était pas dupe. Se contentant d’hocher la tête pour le faire comprendre à l’italien, elle but quelques gorgées d’alcool. Quelques secondes s’écoulèrent avec lenteur lorsque son frère lui avoua sans détour qu’il ne souhaitait en aucun cas la mêler à tout ça, ce qui pourtant était d’ores et déjà fait. « C’est bon à savoir. » La phrase avait les accents d’une blague un peu triste et pathétique. Eve ne voyait pas en quoi une vie aussi morne que celle d’un employé de bureau aurait pu sauver le jeune homme – il avait une faculté innée pour se mettre dans la panade.

La brune éclata d’un rire un peu sec face à sa naïveté touchante et bienveillante. « Tu m’expliques comment tu comptes t’y prendre ? Je sens qu’on va rire. » Elle tempéra sa bravoure d’un signe de la main et reprit, sérieuse. « Laisse tomber. Je vais pas te laisser seul là-dedans. Tu ferais pareil si c’était mon cas. » Têtue comme une mule et surtout accrochée plus que tout à la solidarité infaillible qui la liait à son frère Eve refusait catégoriquement de l’abandonner à son sort, même si c’était ce qu’il exigeait d’elle. Elle n’avait jamais été obéissante, ne se fiant qu’à ce que son instinct et son cœur l’encourageaient à faire. Même s’il était bourré de défauts, Romy partageait sa vie, il était le seul être qui pouvait être pour elle une famille. Il était aussi sinon plus cassé qu’elle et il était incapable de s’occuper de lui seul. Elle en avait conscience, et elle se devait de le sortir de ce mauvais pas.

Tandis qu’elle finissait sa bière, la jeune assistante fut prise au dépourvu lorsque son aîné choisit ce moment pour la prendre dans ses bras. Elle détestait cordialement les câlins et toutes ces marques d’affection dont Roméo avait tant l’habitude de couvrir ses proches. Mais comme c’était lui, Eve se contenta de se laisser faire, entourée par les bras fatigués de Roméo et par ses regrets, ses excuses qu’elle chassa tout bas. « Dis pas ça. » Elle lui tapota doucement et maladroitement le dos jusqu’à ce qu’il la relâche et se couche, au comble de l’épuisement.

« Marie, au panier. » Le bouledogue, à contrecœur, quitta la chaleur du frère Bannerman pour descendre du lit – mais se couchant à son pied. La brune jeta un regard lassé à l’adresse du chien, qu’elle ne se sentait pas de rabrouer. Ces nouvelles l’avaient exténuée mentalement. Elle se contenta de gratter la tête de son compagnon à quatre pattes avant d’abandonner la bière vide sur la table et de s’allonger à son tour dans le lit, juste à côté de son invité pour ce soir. « Bonne nuit Romy. » murmura t-elle tout bas avant d’éteindre la lumière d’un coup de baguette magique et de poser sa tête sur l’oreiller, les yeux rivés sur les chiffres du radio-réveil. Elle ne s’endormirait pas avec la même aisance que son frère, la tête bouillonnante de questions et de doutes. Cette nuit était la dernière où elle pourrait sans doute dormir en paix ; les autres allaient être plus compliquées. Eve ne savait pas encore comment ils se sortiraient de cette galère, et tant que Roméo ne serait pas hors de danger, elle n’allait pas se reposer.