cross your heart and hope to die

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Alice referme le magazine d'un geste presque automatique, le pose à sa droite, en attrape un nouveau à sa gauche : sa routine depuis maintenant une heure, assise derrière le comptoir de la boutique où son meilleur ami travaille. Lui et son patron ne sont pas là; ils ont confiés à Alice la « garde » de la boutique le temps de s'occuper de quelques affaires qui échappaient totalement à la brune. Elle avait haussé les épaules, relevant à peine les yeux de sa pile assez hallucinante de magazines en tout genre : elle n'avait rien de mieux à faire que d'être assise là, après tout. Elle n'avait qu'à encaisser les clients déjà décidés et dire aux autres de repasser plus tard – avec un sourire poli qu'elle savait si bien mettre sur son visage au travail.

Elle fait une moue de réflexion, le stylo survolant la page, avant de la tourner sans rien faire. Alice tapote le stylo contre la surface, relevant de temps en temps les yeux pour regarder par la vitrine, critiquer mentalement les quelques personnes qui passent devant la boutique. La brune pousse un petit soupire, reporte son attention sur le magazine.

« Désolée, c'est fermé. Ils devraient revenir d'ici …. une heure. » lance-t-elle d'un ton morne alors que la clochette retentit, jetant un rapide coup d'oeil à sa montre. Elle entoure une robe sur le papier glacé, comme si le client n'était pas là. « Vous pouvez toujours repasser plus tard. Si c'est important, je  peux prendre un message et je dirais que vous êtes passés. » ajoute finalement Alice, avec l'impression d'être temporairement devenue la secrétaire de Joan Saddler. Heureusement qu'elle était là – les gens seraient perdus sans elle. Elle relève les yeux, prête à afficher ce sourire commercial avant de s'arrêter. « Oh. Bonjour. » lâche-t-elle, prise de court.

Alice a envie de soupirer – ou de disparaître derrière sa pile de magazine, de courir se réfugier dans l'arrière boutique. Mais quoi qu'elle pense, elle ne laisse rien paraître ; elle rebouche le stylo, le pose et croise les bras. Elle ne va pas se laisser déstabilisée par Charlie Daniels. Pas encore une fois, se rassure Alice toute seule. La brune se redresse et se racle la gorge.

« Tu voulais voir Sad...Joan j'imagine ? Comme je disais, lui et Sid vont revenir dans peu de temps, tu peux aller faire un tour ou... attendre ici. Comme tu veux. Fais comme tu veux. » Elle baisse les yeux, évite de croiser le regard de son frère. Pourquoi finissait-elle toujours par le croiser à des moments imprévus? Maudite, voilà ce qu'elle était, se dit Alice. Elle garde les yeux rivés sur le magazine, mais finit par craquer. Elle retourne la revue pour que Charlie puisse voir. « Bon. Puisque tu es là, tu vas m'aider. La deux, la cinq ou bien la huit ? » fait-elle en pointant les trois différentes robes.

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Charlie lance un énième regard en direction de la porte avant de se lever. Encore une journée normale – voire banale – et il n'en peut plus de passer des heures assis derrière le comptoir en espérant que quelque chose changera, que quelqu'un viendra l'aider à tuer l'ennui qui le ronge depuis quelques heures. L'anglais a terminé son livre, et bien qu'étant dans une librairie, il n'a pas l'envie d'en chercher un autre. Chose rare – s'il est aussi bien capable de conseiller ses clients, c'est sûrement grâce aux heures qu'il passe plonger dans tous les ouvrages présents dans cet endroit. Il quitte donc la boutique, prévenant Peeter qu'il prend sa pause. Leur relation a toujours été bonne, et dans ce genre d'après-midi un peu vide, son patron ne rechigne pas à le laisser se balader. Il n'est jamais loin, il peut toujours accourir en cas de soucis – ou si par hasard Automne le prévient qu'elle compte passer récupérer un livre à la librairie. C'est ce qu'il se dit en se laissant tomber contre un mur, dans une ruelle adjacente. Charlie fume et tout semble aller beaucoup mieux. Adieu les soucis, la lourdeur du quotidien. Son visage se fait plus détendu, plus habituel pour toutes ces personnes qui le voient dans cet état de semi-défonce constante.

Son regard se pose sur l'enseigne au loin, Saddler, prêt-à-porter. C'est peut-être l'heure d'aller passer le bonjour à Joan, se dit-il soudainement. Ça fait bien quelques jours qu'il n'est pas passé voir son ami – entre le travail, ses obligations à l'Ordre et le livre qu'il tente tant bien que mal de terminer, il a parfois du mal à tout concilier. Il prend le chemin de vêtements après quelques instants d'hésitation – il sait qu'il va y croiser le colocataire de sa sœur, et il n'en a pas spécialement envie, surtout que depuis sa pseudo-réconciliation avec celle-ci l'employé de Joan fait preuve d'encore plus de méchanceté en sa présence. Mais il ressent quand même le besoin de parler à son ami, de quelque chose qu'il se voit mal expliquer dans une lettre. Il pousse la porte à moitié dans les vapes.

La voix le ramène un peu à la réalité. Il la connaît trop bien, il n'est pas surpris quand ses yeux se posent sur Alice derrière le comptoir, Alice derrière une pile de magazines qui lui demande d'un ton monotone de repasser plus tard. Il est étonné Charlie, il se demande ce qu'elle fait là. Elle doit simplement rendre service au patron de son meilleur ami, se dit-il soudainement – quel hasard, il est finalement bien heureux d'être passé. Ils ne se sont pas vus depuis qu'elle est venu récupérer ses chiens et il avait au fond de lui la crainte qu'elle ne disparaisse encore, qu'elle refuse une nouvelle fois de lui laisser la moindre place dans sa vie.

— Bonjour Alice, dit-il peu sûr de lui. Il ne sait pas si c'est dû à l'étonnement – elle lui propose vraiment de rester ? – ou à ce qu'il a fumé, mais il reste sceptique. Il peut vraiment rester ? Lui, Charlie Daniels, celui qui l'a abandonné ? Je vois. Je vais l'attendre ici du coup, si ça te gêne pas. Il ne l'aurait jamais fait en temps normal. Si Sidney aurait gardé la boutique, il aurait fui, fatigué d'entendre les reproches d'une personne qui n'a rien à voir dans la relation qu'il entretient avec sa sœur.

Il vient s'asseoir sur la chaise haute à côté du comptoir, prenant place à côté de la chaise d'Alice. Il ne sait pas trop quoi dire – cette situation est des plus gênantes – jusqu'à ce qu'elle le sorte de ses pensées par une question qu'il n'aurait jamais cru réentendre un jour.

— Quoi ? Charlie regarde sa sœur sans comprendre. Je croyais que tu avais passé l'âge de jouer à ce genre de jeu, mais je dirais la huit. Elle est jolie je trouve. Il répond sans comprendre. Pour lui, Alice était désormais une adulte qui avait mieux à faire de son temps que de s'imaginer en robe de mariage. Il jette un coup d’œil aux deux piles qui cernent le corps de sa petite sœur – des mariages, des mariages partout. Euh, Alice, quelqu'un de ton entourage se marie bientôt ?, demande-t-il un peu inquiet par ce que sa sœur peut encore avoir inventé.

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La jambe d'Alice tressaille nerveusement contre la chaise – heureusement, dissimulée par le comptoir, elle à l'air presque sereine, alors qu'elle fixe Charlie. Sereine, une bien belle illusion ! Elle lève les yeux au ciel, grince des dents quand il ajoute ce « si ça te gêne pas » si poli, si gentil. Il ne pouvait vraiment pas s'empêcher d'être ainsi, d'être son parfait opposé, tout le temps.

« Bien sûr que ça ne me gêne pas. » fait Alice, cassante. Elle secoue la tête, dépassée par le comportement de son frère. « Si ça me gênais, tu crois vraiment que je t'aurais proposé ? » Il n'allait quand même pas la faire changer d'avis ! Si elle n'avait pas voulu un minimum que Charlie reste là, elle lui aurait clairement fait comprendre et il n'aurait même pas voulu rester une seconde de plus dans la boutique. Mais si une toute petite part d'elle-même appréciait la présence de l'aîné, Alice se rassure en se disant que c'est uniquement parce qu'il est ami avec Joan qu'elle le laisse s'installer à côté d'elle. Pas sûr que le propriétaire apprécie qu'Alice mette les gens à la porte, encore moins ses amis.

De l'extérieur, songe Alice, ils doivent presque avoir l'air normaux ; en regardant par la vitrine, il doit être si simple de les imaginer comme un frère et une sœur normaux. On ne pourrait pas être plus loin de la réalité – quoique, les quelques secondes où Alice tends le magazine à Charlie, attends son choix, elle-même y croit presque. L'illusion est facile à réaliser, au fond – il suffirait qu'elle retienne ses piques et ses regards dédaigneux et un semblant de relation fraternelle apparaîtrait, presque crédible. Mais c'est bien trop inhabituel pour qu'Alice se laisse avoir si facilement.

« On dit pas quoi, on dit « comment ». » Le ton naturel cache presque qu'Alice est la personne la plus mal placé pour faire un pareil commentaire ; surtout quand on sait que le mot « merci » est absent du vocabulaire de la brune, remplacé par un « c'est tout? » hautain. Elle jette un regard à Charlie. « C'est pas un jeu. » déclare-t-elle, sérieusement. Elle fronce les sourcils en observant la robe choisie : Alice ne dira pas qu'il s'agit de sa robe préférée des trois proposées, bien trop de fierté pour admettre qu'ils ont des goûts similaires. La jeune femme hausse les épaules. « Pas mal. La trois est un peu plus mon style, quand même. » Bien sûr, Charlie aurait dû connaître son style – même Alice voit la stupidité de ses attaques envers son grand frère. C'était juste un prétexte pour redire quelque chose, de toute manière. Elle souligne néanmoins la numéro huit. « Tu me verrais dans cette robe, alors ? » ajoute-t-elle avant de refermer le catalogue.

Si quelqu'un va se marier – Alice se rends compte qu'elle ne l'a pas encore dit à Charlie, bien sûr. Elle a conscience qu'elle est sur le point de faire un énorme choc à son grand frère – Alice ne s'était pas attendu à être la première mariée des deux, à vrai dire, elle ne s'était même pas attendu à être marié tout cours. Alors Alice garde les yeux vissés sur les pages de la revue.

« C'est moi qui vais me marier. » dit-elle simplement au détour d'une page. La bombe est lâchée. Elle glisse un regard à la dérobée pour observer la réaction du brun ; toutefois sans lui faire face. Elle le lance ainsi, comme si ce n'était pas une grande importance. Alice tapote son doigt contre la feuille. « Oh. Elle est vraiment jolie celle-là. Je me demande si Léandre pourrait me l'offrir – ou je peux peut-être demander à Sid de la faire... » Alice réfléchit à voix haute. « Ou à Joan. Tu penses que Joan ferait ça ? » Elle pose son menton contre la paume de sa main, balance ses jambes dans le vide, tout en pensant.

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Pour une fois, Charlie ne baisse pas les yeux, il ne contemple pas ce sol face d'intérêt. Il préfère observer sa sœur – il ne la fixe pas, il se contente de regarder calmement ses gestes avec un naturel qui lui rappelle qu'une situation aussi normale a déjà eu lieu dans un passé lointain. Il ne manquerait plus qu'elle arrête ses piques – ses remarques qui semblent avoir pour unique but de le déstabiliser – et Charlie vivrait le plus beau des rêves. La situation est inespéré – légère, moins glaciale que ce jour où il a vidé son sac, où il s'est excusé de ses erreurs autour d'un café, leurs seuls chiens comme témoins de ce moment bien trop émouvant.

— Je sais pas, dit-il sans réfléchir. Il y a des centaines de raisons qui pousseraient Alice à faire quelque chose d'illogique. Charlie comprend finalement plus sa sœur qu'il n'en a l'impression, il se doute qu'elle fait des choses sans forcément le vouloir, qu'elle le regrette ensuite. En deux entrevues rapides, elle n'a pas arrêté. Elle accumule les contradictions comme si elle les aimait plus que la vie. Comme au moment où elle le reprend. Alice parle mal, il le sait, on lui a dit. Il lui lance un regard étonné. Excuse-moi. Comment alors. Il ne veut pas être dérangeant Charlie, il espère chaque jour que les choses iront mieux, qu'elle lui pardonnera et qu'ils pourront à nouveau s'aimer, comme avant.

Quand Charlie regarde sa sœur, il comprend ce que ça fait d'aimer quelqu'un – ce sentiment bizarre, qui le force à continuer ses tentatives désespérées pour un peu d'attention et ça bien qu'il ferait mieux d'abandonner. Ils se ressemblent plus qu'il ne veut bien l'avouer – elle a ces tatouages, partagent ces mêmes passions, elle lui semble être un reflet plus jeune et plus hargneux. Alice est autant sa copie conforme que sa parfaite opposée, et il se demande pourquoi ils ne sont pas capables de s'entendre. Il le regrette, l'idée l'obsède. Si tout avait pu être autrement, les choses seraient plus simples et Charlie serait heureux. Mais seuls les inconnus peuvent voir dans ce duo une sorte de cohésion, tous ceux qui les connaissent savent qu'il souffre de son absence et qu'elle n'accepte que trop tard de lui donner une seconde chance.

— La trois est jolie aussi. Charlie refuse de la contredire. Pas encore, pas maintenant qu'elle lui laisse un peu de place dans sa vie – bien trop peu mais pour lui c'est largement suffisant. Mais j'aurais dit que la huit serait plus ton style, ajoute-t-il sans réellement savoir où elle veut en venir. Pour lui ce n'est qu'une occupation comme ne autre – sa sœur ne peut pas vraiment chercher une robe de mariée qui lui conviendrait. Elle n'a que vingt-deux ans et la vie entière devant elle, ce serait insensé.

La nouvelle tombe. Charlie n'a pas le temps de répliquer – trop choqué par ce qu'elle vient de lui annoncer comme si elle parlait d'une chose banale. Alice – sa petite sœur, le bébé qu'il a vu grandir, celle à qui il racontait merveilleuses qui tranchaient avec le côté austère de la maison des Daniels, celle avec qui il jouait petit pendant des heures, sa Alice quoi – va se marier. Avec un garçon. Sa Alice. La même qui était célibataire aux dernières nouvelles – c'est-à-dire il y a à peu près un mois et demi.

— Tu vas te marier ? Il aurait aimer le dire plus calmement, il aurait ne pas lui donner l'impression de l'accuser de la plus horrible des fautes, mais Charlie en est tout bonnement incapable. Mais Alice, pourquoi ? Je veux dire, je croyais que tu étais célibataire, tu peux pas précipiter une chose pareille. Les idées de Charlie sur le mariage sont délicates, il n'y croit pas. Lui serait bien incapable de franchir ce pas, il ne l'aime pas. Vivre avec quelqu'un est une chose, l'aimer à jamais revient au même, mais se marier est trop conventionnelle pour une vie qui a perdu la valeur des traditions. Attend, je le connais?, demande-t-il sans quitter sa sœur des yeux. Il craint la réponse, il a peur que le nom lui dise quelque chose, qu'il puisse mettre un visage sur la personne. Charlie ne connaît pas grand monde finalement, sauf les noms de mangemorts présumés. Il n'ose à peine imaginer si c'est l'un d'eux – il ne s'en remettra pas, et il devra annoncer à sa sœur qu'elle compte épouser un tueur, le cauchemar. Alors il espère, il aimerait que ça soit ce Léandre dont elle parle, et qu'elle soit heureuse, que Joan lui fasse la robe qu'elle souhaite.

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« Je ne sais pas » répète Alice sans bruit, imitant son frère dans une parodie exagérée, dissimulée derrière sa main comme une enfant moqueuse. Quand est-ce que Charlie saura quelque chose à propos d'elle, hein ? Voilà ce qu'elle se demande, Alice, avant de lever les yeux. Mais elle reste silencieuse – petit miracle en soi – et se contente d'afficher un air satisfait et fière d'elle quand Charlie se reprends, ravie d'avoir un semblant de contrôle sur cette conversation.

« Bien sûr que la trois est jolie. Je l'ai sélectionné pour ça. » fait Alice en fixant Charlie. Elle se racle la gorge. Plutôt crever que d'avouer que Charlie avait vu juste. « Mouais. On peut dire ça. De toute façon je peux encore changer d'avis. » Lance-t-elle. Elle a encore de bons mois avant le mariage – même si les jours passent bien plus vite qu'elle ne pense, elle a encore largement le temps de choisir sa robe. Et choisir la huit – en espérant que Charlie ait oublié, d'ici là, cette conversation.

La brune croise les bras avec un petit sourire aux lèvres, se délecte de la réaction de Charlie. C'était une réaction bien plus satisfaisante – mais en même temps, avec des accents agaçants – que ce qu'elle avait imaginé. Elle fait claquer son langue contre son palais, secouant la tête. « Mon pauvre Charlie » a-t-elle envie de dire avec tout son poison habituel. Alice se contente de refermer la revue et la ranger dans sa pile, se tourne sur sa chaise pour faire face à Charlie.

« Premièrement. » dit Alice en agitant un doigt sous le né de l’aîné. « Je n'ai plus six ans, je suis assez grande pour savoir comment gérer ma vie. Si j'ai envie de me marier, où est le problème ? » Elle a la sensation d'être une adolescente dont le grand frère vient de découvrir le petit ami, devant se justifier. Alice lève un deuxième doigt. « Deuxièmement. Ce n'est pas précipité. Le mariage aura lieu dans quelques mois et je connais mon futur mari depuis longtemps. Troisièmement, je suis célibataire. » Alice est parfaitement de la contradiction qu'elle représente – mais Charlie ne pourrait pas comprendre comment fonctionne Alice, alors elle ne cherche même pas à se perdre dans des explications ou justifications de sa sexualité ou de son mode de vie. Elle repose ses mains sur le comptoir. « Oh mon dieu, Charlie, c'est quoi cet interrogatoire?! » s'exclame-t-elle avant de reprendre calmement. « Mais oui, tu le connais. » Son sourire s'élargit – parce qu'elle est impatiente de voir le visage de Charlie se décomposer quand elle prononcera le nom de son fiancé et aussi parce que se marier avec lui la rends particulièrement joyeuse. Elle croise les mains. « C'est Sid mon fiancé. » Elle laisse la nouvelle s'ancrer chez Charlie, posant ses yeux sombres sur lui. « Il m'a fait sa demande quand on était en Australie. » ajoute-t-elle pour parfaire le tableau. Elle lui épargne, bien sûr, que les raisons de ce mariage sont, à l'origine, totalement délirantes et absolument pas réalistes et que la demande en mariage était bien loin des clichés romantiques – elle préfère que Charlie s'imagine un scénario où Sid et elle seraient des amants passionnés et fous amoureux. Alice ne peut s'empêcher d'avoir un petit rire en imaginant une situation pareille.

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Charlie hésite. Il regarde sa sœur sans savoir exactement comment réagir, il est face à une situation qu'il ne connaît que trop bien et pourtant il ne sait toujours pas quelle est exactement la marche à suivre. Ses yeux n'osent plus croiser ceux de sa cadette – il a peur qu'elle voie la déception et la souffrance dans ses yeux. Il est blessé – blessé qu'elle ne lui en parle que maintenant, blessé qu'elle ne semble pas le penser assez important pour se confier au sujet de cet événement qui va révolutionner sa vie, blessé de ne pas être invité. Il a beau ne pas être favorable à ce genre de cérémonie – et pourtant il en a fait Charlie, des mariages, tous différents les uns des autres, les cultures qui diffèrent, les nombres de personnes, les chants, les danses – l'idée de ne pas assister à celui-ci lui fait plus de mal qu'une balle dans le cœur. Ses craintes les plus profondes sont fondées, sa sœur n'a définitivement pas besoin de lui dans sa vie. Tous les efforts qu'il pourra faire dans sa vie seront toujours vain juste parce qu'un jour, il a flanché, il a décidé de quitter sa petite vie posée pour aller au-devant des aventures, pour trouver la beauté qu'il reste à l'humanité au lieu de se contenter des teints gris si caractéristiques de la population anglaise.

Il n'est pas certain de comprendre ce qu'elle veut dire – il se demande si c'est ce qu'il a fumé avant de venir qui l'empêche de comprendre réellement ce qui se passe dans la boutique. Elle va se marier – ça il en est sûr, c'est une vérité qui est bien inscrite dans son cerveau depuis le moment où elle lui a annoncé – mais pourtant elle est célibataire. Il n'y a aucune logique à ça, vraiment aucune. Il finit presque par se demander si tout ça n'est pas qu'une blague, si Alice n'a pas invité ce mariage de toutes pièces pour se moquer de lui. Et pourtant, il est incapable de penser sa sœur si méchante – pour lui, elle reste la petite fille souriante qui venait lui faire des câlins quand il lisait tranquillement allongé sur le tapis de sa chambre.

— Tu peux pas être fiancée et célibataire en même temps, parvient-il à articuler. Bien sûr qu'elle peut, Alice peut tout faire et il ne le comprendra que quelques secondes plus tard au moment où elle lui annonce le prénom de son futur mari. Charlie reste bouche bée alors que son esprit assimile le nom à la personne. Sidney – l'espèce de gamin stupide qui travaille pour Joan, qui est trop souvent défoncé, trop souvent méchant. Il ne l'aime pas, pas du tout. Il le sait depuis la première fois qu'il l'a vu, quand l'australien l'a accusé de choses qu'il ne comprenait alors pas. Mais je croyais que c'était ton meilleur ami ?, demande-t-il un peu perdu. C'est ce qu'il avait cru comprendre depuis ces années. Mais il faut croire que tout s'effondre. Charlie la regarde inquiet – qu'est-ce que sa petite sœur adorée est en train de faire sa vie ? – mais il ne peut s'empêcher de chercher le bon côté des choses, au moins ce n'est pas un mangemort.

Charlie baisse les yeux. Il est incapable de savoir où est la vérité – il prie pour que ça soit une énorme blague. L'idée que sa sœur puisse être réellement avec Sidney le tue de l'intérieur. Il ne la mérite pas – et pour la première fois de sa vie, l'anglais se voit dans le rôle du grand frère protecteur qui désapprouve le copain de sa sœur. Une grande avancée dans sa vie en soi. Sauf que là, c'est trop tard et elle va déjà l'épouser.

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Elle est allé trop loin – c'est ce qu'Alice se dit en observant l'air blessé de Charlie après avoir lâché la nouvelle. Peut-être qu'elle exagère vraiment, que Charlie ne mérite vraiment pas tout ce qu'elle lui fait subir. Elle pince les lèvres pour s'empêcher de parler, mais sa volonté de faire regretter à son frère ses années d'absence vacille un peu plus. Alice se force à rester silencieuse plutôt que de – encore – dévoiler au grand jour ce qu'elle a sur le cœur. Et puis, qu'est-ce qu'elle aurait dit ? « Désolée, Charlie, j'ai songé à te le dire plus tôt, mais je crois que je ne suis pas émotionnellement capable de tout à fait tourner la page et d'avoir une relation de frère et sœur normal alors je préfère continuer à être méchante sans raison. Ce n'est pas ta faute, il faut juste que je m'habitue. » Non, vraiment, il valait mieux rester silencieuse, garder encore un peu de dignité. Dignité qui lui fait relever le menton.

« Eh bien comme tu vois, si, je peux. » Elle se doute bien que Charlie ne porte pas Sid dans son cœur – le dernier fait tout son possible pour que cela n'arrive pas, de toute manière – et elle ne peux pas s'empêcher de remarquer le regard inquiet de son grand frère. Elle marque une pause, regrette ses paroles. Alice se racle la gorge, pour reprendre un peu d'assurance. « C'est en effet mon meilleur ami et mon futur mari. Tu sais combien de gens rêveraient d'épouser quelqu'un qui serait aussi leur meilleur ami ? C'est un peu le rêve de beaucoup de gens, et pour moi, ça va être une réalité. » La brune affiche un air fier d'elle, comme si elle avait réussi là où le commun des mortels avait échoué – les gens en rêvaient, et elle, Alice Poppy Daniels, future Alice Fawkes, avait réussi. « Ne fais pas cette tête ! Tu pourrais au moins faire semblant d'être heureux pour moi, ne serais-ce qu'un minimum, tu sais, un petit félicitations ou quelque chose du genre.  » Elle soupire un peu. « Enfin, c'est pas très grave. Je t'en veux pas. » Du moins, pas à propos de ça.

Alice secoue la tête, se retourne vers le comptoir en reprenant un magazine. Elle avait tout dis – elle laisse donc le temps à son frère d'avaler toutes les informations qu'elle lui avait balancé à la figure sans le ménager. Elle retourne à son repérage de robes, pendant quelques longues minutes.

« Je devrais peut-être inviter Sid à la maison, pour Noël. Pour le présenter. Tu crois pas? » Alice avait souvent de « mauvaises » idées, mais celle-là aurait vraiment se trouver sur le podium des mauvaises idées.

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Alice est une sorcière, dirait n'importe qui en voyant la scène qui se déroule dans la boutique du styliste – pas parce qu'elle possède les pouvoirs magiques nécessaires pour passer ses journées au Chemin de Traverse, mais parce qu'elle tue son frère petit à petit. Elle le plonge dans un état de déprime toujours plus profond, elle le fait culpabiliser de ne pas être assez heureux pour elle, de s'inquiéter des choix discutables d'une gamine de vingt-deux ans. Il aimerait s'y opposer, lui dire d'arrêter ses conneries. C'est lui l'aîné, lui qui sait ce qui est mieux pour elle – parce qu'il veut la protéger, faire en sorte qu'elle soit heureuse là où elle a échoué. Mais il est parti à un moment, il l'a abandonné et maintenant il n'a plus son mot à dire. Il n'est qu'une connaissance sans grande importance à qui on annonce la nouvelle – une connaissance qu'on n'invite même pas à participer aux événements.

Il baisse les yeux, la honte lisible sur son visage. Elle a raison. Qui est-il pour juger ses décisions, pour se donner le droit ne de pas être heureux pour sa petite sœur ? Il devrait s'extasier, la féliciter. Pas la prendre dans ses bras parce qu'il n'en a pas le droit mais lui adresser un sourire. Mais Charlie reste bloqué face à l'annonce. Qui il est pour haïr la nouvelle avec autant ? La personne qui l'aime le plus sur terre, sûrement. Mais elle ne lui donne pas ce droit, elle lui retire même ça.

— Je vois, dit simplement le brun face à l'explication un peu illogique qu'accepte de lui donner sa sœur. Il ne fait partie de ces personnes qui ont voulu épouser leur meilleure amie – peut-être parce qu'il n'a jamais eu la chance d'en avoir, ou parce qu'il est contre le concept du mariage. Du coup, vous vous mariez. Sa voix se meurt sur la fin de la phrase. Pourquoi lui, pourquoi ce garçon un peu con et pas forcément stable ? Félicitation alors, oui. Je suis content pour toi. Pas vraiment. Il aimerait, il voudrait pouvoir être le frère dont elle rêverait, celui présent, celui qui l'encourage dans ses choix. Il en est incapable à ce moment précis

Il soupire – cette situation devient trop compliquée pour lui, il n'est pas prêt pour ça, pas prêt pour assumer une sœur qui semble ne pas être sortie de sa crise d'adolescence. Il s'imagine déjà en parler à Joan qui semble être assez proche du futur mari – ou peut-être même à Automne. I n'est pas sûr que la française l'écoute mais il ne risque rien à l'interroger lors d'une de ses prochaines visites à la librairie.

— L'inviter à la maison ? Charlie grimace, pas persuadé que ça soit une bonne idée. Leur mère est spéciale, très spéciale. Il n'est pas sûr que Sidney soit le genre de personne qu'elle soit capable d'aimer – il en est même sûr – et le fait que sa fille adorée se marie avec n'est peut-être pas l'annonce qu'il faudrait à Noël. Je suis pas persuadé que ça soit une bonne idée Alice, pas du tout même. De toute façon, ça ne devrait pas le gêner plus que ça, il n'a pas prévu d'y aller une fois de plus.

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Alice pousse un long soupir. Bien sûr, il n'est pas réellement heureux pour elle – comment-est ce qu'il pourrait ? Ça s’entend dans sa voix. Il est persuadé que Sidney est une des pires personnes sur terre, probablement une très mauvaise influence pour elle, que c'est une décision illogique et irréfléchie. De toute manière, n'importe quel être humain un tant soit peu logique aurait désapprouvé le choix d'Alice – elle n'était pas bête au point de ne pas réalisé ça depuis longtemps, elle était loin de se faire des illusions. Pourtant... Elle aurait préféré qu'il se réjouisse pour de vrai – dans un autre monde, peut-être, un autre univers.

« Déso... » Alice s’interrompt en réalisant les mots qui franchissent ses lèvres, s'arrête brusquement. Ah non – elle ne voulait pas s'excuser tout à l'heure, elle n'allait pas se laisser attendrir par l'air blessé et honteux de son frère, comme elle ne pourrait pas résister devant la bouille d'un chiot ou d'un animal. Il faut qu'elle se reprenne – c'est ce qu'elle se dit après avoir prononcé deux syllabes et fixé Charlie, surprise par elle-même. C'est trop tard pour essayer de couvrir ce qu'elle voulait dire : elle a beau chercher des yeux un moyen de s'en sortir, Alice n'en trouve pas. « … Lée. » finit-elle en marmonnant presque de manière inaudible. En espérant que Charlie ne relève pas et ne s'attarde pas sur ce semblant d'excuse minable. Elle détourne rapidement les yeux, comme si rien ne venait de se passer.

Alice referme le magazine et forme une petite pile qu'elle laisse tomber dans son sac à main, lassée de faire semblant de chercher encore des robes pour ignorer Charlie. La brune jette un regard à la porte, comme si Sid allait surgir pour l'aider. Mais rien. Elle tapote ses ongles contre le bois du comptoir, le regard rivé sur les passants dans la rue.  

« Mais j'ai déjà rencontré les parents de Sidney. Ça serait normal qu'il rencontre ma mère, au moins ne serais-ce que par principe. C'est comme ça que ça se passe, normalement. Je ne vais pas la mettre devant le fait accompli après le mariage, ça serait vraiment malpoli. » Même à Charlie, elle ne lui a pas infligé ça – à croire qu'elle avait encore quelques limites, aussi surprenant que cela puisse paraître. « Et au pire quoi ? Elle ne l'aime pas ? C'est ni la première ni la dernière, qu'est-ce que ça peut bien faire ? » Alice hausse les épaules. C'est loin d'être la fin du monde.

Elle jette un coup d’œil à sa montre, descends de sa chaise. Elle prends la pile de magazines qui ne rentre pas dans son sac à main dans ses bras, dans un équilibre un peu précaire, avant de se tourner vers Charlie, rejetant ses cheveux par dessus son épaule.

« Bref, tu sais quoi ? Tu n'as qu'à rester là, et attendre Joan et Sid, parce que moi j'ai des choses à faire. Tu diras à Sid que je le vois à l'appart ce soir. Tu peux bien t'occuper de la boutique pour moi le temps qu'ils arrivent. » fait Alice de manière pressée en se dirigeant vers la porte, au cas où Charlie la retienne ou qu'elle se sente obligée de rester plus longtemps. «En fait, je vais prendre la robe numéro huit. Celle que t'as choisi, oui. » lance-t-elle sans se retourner, en poussant la porte de l'épaule. Pourquoi est-ce que ses mots avaient une telle tendance à lui échapper quand Charlie était dans les parages ? Cette manie commençait à devenir agaçante – Alice fronce les sourcils avant de partir rapidement.

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So you can drag me through Hell

If it meant I could hold your hand, I will follow you

Désolé – un mot qu'il n'a pas entendu de la bouche de sa sœur depuis un semblant d'éternité. Il allait même jusqu'à douter qu'elle en connaisse l'existence. Ça fait bien longtemps qu'Alice ne s'excuse plus, qu'elle a bien trop d'orgueil pour prononcer ce mot pourtant si simple. Lui qui peut arranger tant de chose, qui peut parfois être le début vers une amélioration durable d'un problème longtemps enfui, elle l'a renié. Il ressort aujourd'hui, au plein milieu d'une conversation irréelle. Charlie la regarde étonné, il se demande s'il n'a pas rêvé dans le fond, s'il n'entend pas ce qu'il aimerait. Désolé est si spécial dans leur relation – c'est son mot, le sien, lui s'excuse un milliard de fois et Alice les rejette, toujours fidèle à elle-même.

Et pourquoi maintenant ? Pourquoi à cet instant précis ? Pourquoi tout simplement ? Elle n'a aucune raison de s'excuser. C'est encore à lui de le faire. Il devrait être heureux pour elle, la soutenir. Lui dire qu'il ne va pas aller chez sa tante cette année mais qu'il passera les fêtes avec eux, qu'il l'aidera à présenter Sidney à leur mère. Il ne le fait pas pourtant, il l'abandonne une fois de plus. Dehors, le temps est toujours doux, les feuilles tombent. On est en octobre, il a toujours le temps de changer d'avis.

Il ne relève pas. Il sait qu'elle n'a pas envie qu'il le fasse, que la moindre remarque serait prise comme une moquerie, comme un jugement. Alice peut redevenir méchante très rapidement, et il a envie de conserver cette lueur d'espoir, se dire que les choses peuvent s'arranger, qu'il y a une chance aussi infime soit-elle qu'un jour elle lui pardonne sa trahison et qu'elle l'accepte comme grand-frère. Il aimerait ça – pouvoir l'inviter à boire le thé, parler de tout et rien, de voyages, de la simplicité du quotidien. Entretenir une relation frère – sœur normale, pouvoir une fois dans sa vie se dire qu'il n'est pas nul dans ce rôle. Qu'elle lui laisse une place dans sa vie – peut-être pas immense, juste suffisante pour qu'il ait l'impression de ne pas avoir perdu l'une des personnes qu'il aime le plus dans ce monde.

— Parce que tu te soucies encore de ce qui est malpoli ?, dit-il sans vraiment le vouloir. Il n'aurait pas dû, Alice lui fera payer pendant des décennies et il le sait très bien. Mais il est parfois étonné par ce qu'elle peut dire, par ce qu'elle peut faire. Sa sœur manque de logique parfois – voire souvent – elle peut être la personne la plus irrationnelle de la terre à ses yeux et elle manque de constance. Charlie ne critique pas, il serait bien incapable de dire une chose méchante sur elle. Il tient trop à elle pour ça. Tu as raison. Au pire, elle ne l'aime pas. Et il sait que ça risque d'arriver. Le plus important c'est que tu sois heureuse de toute façon.

Il n'espère que ça, que Alice fasse sa vie comme elle l'entend. Tristement, il sait que cela correspond également à une vie sans lui, une vie dans une maison avec cette chose qu'elle ose qualifier de meilleur ami et ses adorables chiens. Sauf que c'est son rôle de la supporter dans cette décision, de faire ne sorte qu'elle soit capable d'assumer ses actes sans regret. Il la regarde partir trop réagir – il aurait aimé qu'elle reste mais à quoi bon lui dire, elle ne l'aurait pas fait.

— À la prochaine alors, lance-t-il alors qu'elle a franchi la porte. Il ne peut s'empêcher de sourire un peu bêtement. Alice prend la numéro huit, celle qu'il a choisie. Il connaît un minimum les goûts de sa sœur, il n'est pas si stupide.

electric bird.