Le bruit léger d'un main toquant à sa porte sortit Natanael de ses corrections. Laissant sans regret les copies de 7ème année qu'il couvrait de commentaires plus ou moins déçus, le professeur se leva pour aller ouvrir. Une fois n'était pas coutume, il attendait bien de la visite. Disons qu'il ne s'agissait pas d'un énième personne venant lui ramener un Jotünn parti errer à son insu dans les couloirs de l'école - car soyons honnêtes, les occasions n'étaient pas légion pour que quelqu'un grimpe tout en haut de la tour d'astronomie et vienne frapper chez lui par erreur. Non, cette fois il avait bel et bien invité quelqu'un chez lui. Ce quelqu'un se trouvait être Aghna Madigan, professeur de divination de son état. Ce qui aurait paru absurde quelques mois plus tôt était en fait devenu une habitude : il ne comptait plus les soirées qu'il avait passé en compagnie de sa collègue. Rien de bien palpitant : le silence occupait la majeure partie de leur temps ensembles, ce qui convenait autant à l'un qu'à l'autre.

« Bonsoir » accueillit-il la jeune femme en lui ouvrant la porte. Il s'effaça pour la laisser entrer, et déplaça un tas de copies en désordre et de livres pour libérer un fauteuil. Il en profita d'ailleurs pour récupérer un des ouvrages. Un traité qui, une fois n'était pas coutume, n'avait rien à voir avec l'astronomie ; il s'attardait plutôt sur diverses potions médicinales. Car s'ils discutaient si peu lors de leurs soirées ensembles, c'est qu'ils les occupaient à la lecture, échangeant juste quelques mots à l'occasion. Difficile d'ailleurs de savoir ce qui avait rapproché les deux professeurs : peut-être étaient-ce simplement leur affection partagée pour la discrétion et leur passion envers la matière qu'ils enseignaient chacun. Tandis qu'Aghna s'installait, Natanael repoussa du pied une bûche dans la cheminée, tout en tirant vers lui un des fauteuils - et nota au passage à quel point son appartement de fonction pouvait paraître petit dès qu'il était debout dedans.

Il se laissa tomber dans le fauteuil plus qu'il s'y assit, ignorant le léger vertige qui l'avait saisit suite à cet insignifiant effort - il le mit sur le compte de ses corrections de l'après-midi. « Comment se passent tes cours ? » se renseigna-t-il poliment auprès de sa collègue. Il n'était pas plus curieux qu'en temps normal ; en vérité, il s'était juste pris d'un certain goût à partager leurs expériences d'enseignants - chose qu'il n'avait pas beaucoup eu l'occasion de faire auparavant, vu le peu d'affection qu'il entretenait envers le reste de l'équipe enseignante. « Mes élèves ne sont pas subitement devenus brillants en tout cas » soupira-t-il avec un geste de menton en direction du tas de copies à corriger.

La jeune femme frappa trois coups avant d’entendre une réponse, signe qu’elle pouvait pousser la porte de l’antre de Natanael Greyjoy sans craindre de le déranger. Aghna avait pris l’habitude de ces visites à l’heure où la nuit pointait le bout de son nez ; elles étaient l’occasion la plupart du temps de décompresser et de principalement dévorer quelques lectures qu’ils se conseillaient l’un et l’autre. Ni l’irlandaise ni le finlandais n’étaient réputés pour être de grands bavards ou des individus véritablement sociables. Néanmoins leur entente avait été aussi progressive que naturelle et sans qu’elle n’ait la sensation d’être une intruse aux yeux du professeur d’astronomie, elle avait apprécié son calme réservé et surtout le fait qu’il soit au moins aussi investi qu’elle dans la matière qu’il enseignait.

« Bonsoir Natanael ! » salua la jeune directrice des Serpentards, s’arrêtant au passage pour chercher un Jotünn aux abonnés absents – il était très certainement parti quémander les caresses qui lui manquaient ailleurs. Les élèves étaient sans doute bien plus friands du Maine Coon que de son maître, et ce n’était pas Betty qui allait contredire son homologue félin. Elle était parfois aussi attirée par l’agitation des élèves et se promenait souvent dans le château librement.

Souvent interrogée au sujet de ses cours par ses pairs, c’était en général au point de vue de Nat qu’elle se ralliait. Comme lui elle était en charge d’une discipline plutôt complexe, et comme lui elle avait sans doute à faire face le plus souvent au scepticisme ou à l’incompréhension de son auditoire. Ce qui n’en rendait pas ses objectifs et sa motivation d’autant plus intéressantes. « Plutôt bien. J’ai comme l’impression que les cinquièmes années seront meilleurs que la plupart de leurs aînés … » réfléchit à voix haute Aghna, qui se remémorait le cours de l’après-midi. Les premiers mois d’initiation étaient toujours laborieux, la plupart des élèves classiques n’étant guère prédisposés à appréhender facilement la divination et les arts associés. Néanmoins il y avait toujours l’espoir d’avoir affaire à des classes plus ouvertes d’esprit et plus vives de curiosité. Ce n’était pas forcément difficile quand on comparait avec certains élèves de dernière année comme Lynch ou Risenfield. Le pire restait néanmoins le jeune Owen, doté d’un potentiel énorme mais incapable de le réaliser et de l’exploiter. Une véritable frustration pour la professeur.

La pile de copies que désigna Nat lui arracha un léger mouvement de tête. La correction des devoirs n’était franchement pas le genre de tâches dont elle raffolait, pas plus que tout être humain normal. Cette tendance s’intensifiait avec l’exigence que tous deux pouvaient imposer dans leur domaine – Aghna avait parfois bien des difficultés à comprendre qu’on pouvait, à quinze ans, ne pas connaître sur le bout des doigts les subtilités de la tasséomancie. « Ha. Dure fin de journée, apparemment. Tu t’en occuperas demain, allez. » relativisa la demoiselle. Elle lui adressa un petit sourire courtois avant de s’asseoir dans le moelleux fauteuil le plus proche de la cheminée et de s’intéresser avec plus d’attention à son interlocuteur et ami. « Alors, quelle est ta lecture pour ce soir ? »

Natanael eut une grimace sceptique. De son côté, il ne lui avait pas semblé que les cinquième années étaient beaucoup plus brillants que leurs camarades. A sa décharge, il n'était pas évident de les récupérer après l'enseignement que leur délivrait Crow. S'il était loin de questionner ses méthodes, le contenu en revanche que donnait de sa collègue lui paraissaient plus qu'insuffisants. Le désaccord qui régnait entre les deux professeurs n'était d'ailleurs un secret pour personne. Mais, heureusement pour les élèves des premières années, Natanael devait pour le moment se contenter des étudiants les plus âgés. « Tu as bien de la chance. De mon côté, à part quelques élèves plus intéressés que les autres ... C'est toujours le même combat. » Un combat qu'il menait avec acharnement, à l'encre rouge et de la pointe acérée de sa plume. Mais qu'il était heureux de laisser de côté ce soir pour passer du temps avec Aghna.

A la demande de la jeune femme, il referma son livre en bloquant la page d'un index et lui montra la couverture. « Rien de bien original, je dois l'avouer. Un traité sur les potions que j'ai trouvé à la bibliothèque. » Même s'il persistait à vouloir ignorer les problèmes de santé dont l'avaient accablé les médecins moldus, il ne pouvait s'empêcher, parfois, de faire quelques recherches sur les potions médicinales et autres remèdes sorciers. Il se gardait toutefois d'en parler à quiconque. Ce n'était même pas parce qu'il voulait leur éviter du souci, ou qu'il craignait qu'on l'emmène de force à Sainte-Mangouste ... Il n'aimait juste pas dévoiler ses faiblesses. Il rouvrit donc rapidement son livre à la page qu'il avait entamé et changea de sujet.

« Mais j'imagine que ta lecture est plus captivante que la mienne » enchaîna-t-il avec un petit sourire. Il était si habitué à détourner les gens de ses petits secrets que sa diversion ne le fit même pas ciller. « De quoi s'agit-il ? » Sa question n'était pas motivée que par l'envie de changer de sujet ; Aghna et lui partageaient souvent leurs lectures et il s'était pris d'affection pour les goûts littéraires de sa collègue. « Mais au fait, je ne t'ai même pas proposé quelque chose à boire ... » Natanael n'ayant jamais été très sociable, il en oubliait facilement les bonnes manières. « Est-ce que tu veux un thé ? Je vais faire chauffer de l'eau. » Joignant le geste à la parole, il posa son livre et se leva. Un nouveau vertige le saisit. Un pli inquiet apparu sur son front et il attrapa le bras du fauteuil pour se stabiliser. Un instant plus tard, il secouait la tête avec un sourire qu'il voulait rassurant et s'éloignait en direction de sa cuisine.