I take the blue ones every time

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Son regard s'arrête sur le reflet que lui renvoie la vitre. Il a l'air perdu Charlie, une bouteille qu'on aurait rejetée à la mer pour qu'elle s'y noie mais qui survit, qui dérive, qui échoue dans des ports malfamés pour reprendre la route plus tard. Il n'a jamais ressenti ça, ce sentiment de stress intense, celui qui empêche de dormir, qui fait douter à chaque instant de ses choix. Affronter Alice lui paraît oser, se confronter, tenter de la faire passer outre des années de rancœur en espérant une amélioration dans son quotidien. Tout change trop vite ces derniers temps, le souvenir d'Automne dans son appartement la veille en est la preuve. Cette perspective devrait le réjouir, lui qui a toujours aimé la nouveauté, qu'un événement imprévu vienne bouleverser son quotidien, ne jamais s'ancrer dans une routine des plus mortelles. Il ne comprend pas pourquoi il a peur, pourquoi tout ça l'empêche de dormir. Il a passé la nuit devant un mur couvert de photos, à contempler ce qu'il a perdu. Alice lui manque encore plus maintenant qu'il l'a revu. Elle a changé. Il a l'impression d'avoir raté chaque moment important de sa vie, un échec qu'il ne peut pas supporter.

Il a hésité à faire demi-tour une centaine de fois. Seule la présence du labrador à ses côtés le motive alors qu'il se rappelle du discours de son oncle sur les animaux. Tu vois Charlie, les chiens ressentent nos émotions. Ils voient quand tu vas mal, quand tu as peur ou que tu abandonnes. La possibilité de paraître lâche devant son compagnon de vie l'oblige à aller jusqu'au bout, elle lui permet de faire preuve d'un courage inattendu. Il est en quelque sorte heureux de l'avoir amené avec lui,  se servant comme unique prétexte de lui faire faire une vraie balade à travers les rues de sa ville natale. La main qui tient la laisse lâche vient caresser l'animal entre les deux oreilles. Il ne veut pas brider ses mouvements, il n'en a pas besoin. Éole se tient à ses côtés sans broncher, fidèle animal qui ne ressent pas le besoin de courir dans tous les sens, qui reste à côté de lui dans ce moment de doute. Charlie sait qu'il la ressent, cette peur qui lui tiraille les veines. Il aperçoit le café au coin de la rue – heureusement qu'il ne vit pas loin du musée – et soupire en réalisant ce qu'il s'apprête à faire. Il n'est plus l'heure de reculer, se dit-il en s'asseyant à une table en terrasse. Il regarde les passants en sortant une écuelle de son sac qu'il remplit d'eau. L'animal heureux s'allonge alors que pour ne pas effrayer les passants, Charlie noue la laisse avec un nœud de cabestan.

Il la voit qui arrive. Elle est magnifique Alice, sa petite sœur à lui, ce qu'il y a de plus important dans sa famille. Elle lui fait peur, il craint qu'elle ne le blesse encore, qu'elle lui fasse payer cette fuite qu'elle lui reproche. Il aurait aimé que tout se passe autrement, qu'il n'y ait jamais de non-dits entre eux.

— Je t'ai récupéré ton livre à la librairie. Sa tentative désespérée de briser le silence avant qu'il s'installe est ridicule, il en a conscience. Ce n'est pas ça qu'il aurait dû dire mais il ne se sentait pas d'entrer dans le vif du sujet maintenant et il craint la réponse qu'elle pourrait apporter à un simple tu vas bien. Il sort l'exemplaire de son sac pour lui tendre, sous le regard étonné d'Éole. Deux nouvelles personnes en deux jours, le chien se demande ce qui arrive dans la vie de son maître. Je suis vraiment désolé Alice, j'aurais dû te dire la dernière fois mais- Il manque de courage, cherche ses mots. Ses yeux ne quittent pas sa cadette. Il a peur de la faire fuir, qu'elle décide finalement que tout ça était une mauvaise idée. Le serveur vient les interrompre mais il ne lui en veut pas Charlie, au contraire. Son intervention est bénéfique, elle cache le fait qu'il n'aurait pas pu continuer sa phrase, qu'il n'en avait pas la force. Quoi dire à une personne qui vous reproche depuis des années des choses fausses. Douze ans d'erreurs, il ne peut définitivement pas lui dire qu'elle s'est juste trompée sur toute la ligne. Une pinte de brune. Tu bois quoi Alice ? Il aurait aimé avoir la réponse, que sa sœur ne soit pas un mystère pour lui. Et pourtant il est là, aussi impatient – voire plus – que le serveur de connaître la réponse.

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L'heure tourne, Alice. Elle a les yeux rivés sur sa montre, Pixie sur ses genoux qui profite de l'inactivité de sa maîtresse pour dormir – la chanceuse, elle n'a pas la boule au ventre, l'angoisse en travers la gorge, elle. Elle ne sait toujours pas pourquoi elle a accepté. Quelle idée idiote – pas étonnant que Sid se soit questionné sur sa santé. Alice se surprends elle-même. Elle cogne le stylo contre la table, incapable de se concentrer sur autres choses que le tic-tac de la montre.
Elle regrette déjà ses mots de la dernière fois. Elle aurait préféré les garder pour elle, les avaler et espérer qu'ils ne la dérangent plus. C'était trop tard, bien trop tard, Alice en est consciente.

Sa main caresse doucement l'animal posé sur ses genoux, elle la réveille avec douceur, une douceur qu'elle ne réserve qu'à ses animaux et un nombre tellement restreint de personne. C'est l'heure. Tu vas être en retard, si tu ne bouges pas. En retard, en retard... Alice hausse les épaules pour elle-même. Elle n'est pas pressée – Charlie pourra bien l'attendre, s'il est déterminé à lui parler. Ou à l'écouter parler. Les deux perspectives lui retournent l'estomac.
Elle repense aux photos. Photos qu'elle avait jetés, des années avant, par égoïsme. Elle avait fixé l'Alice qui souriait, qui riait, et elle s'était demandé si cette Alice là était bien la même. Elle ne se souvenait même pas avoir autant souri en présence de Charlie – ou, plutôt, elle se forçait à ne pas se souvenir. Elle repense aux photos, soigneusement rangées derrière son carton rempli de ses photos à elle, cachées, qu'on ne tombe pas dessus.

La brune regarde avec un sourire Pixie qui s'élance dans la rue devant elle, allant et venant vers elle. Et elle aperçoit Charlie, assis là. Son cœur rate un battement, Alice s'arrête. Fais demi-tour, lui dit sa conscience, encore. Mais elle croise le regard de Charlie – elle a la bouche sèche, elle sait qu'elle ne peux pas partir maintenant. Il lui faut juste du courage – courage qu'elle ne sait pas où puiser.  Un pas après l'autre, ce n'est pas si compliqué.
Alice s'approche enfin de la table ; elle a l'impression d'avoir mi une éternité pour traverser ses quelques mètres, alors qu'elle jette un œil sur sa montre, à peine une minute s'est écoulée. Elle se racle la gorge, ses yeux se baissent sur le livre. Elle dissimule la surprise – Alice avait totalement oublié.

— Merci.

Juste merci. Ses doigts attrapent le livre qui termine bien vite dans son sac. Elle évite le regard de Charlie, s'assoit en face de lui. Elle attrape Pixie qu'elle dépose sur ses genoux – de peur que celle-ci prenne l'envie d'aller ennuyer le chien de Charlie, surexcitée comme elle est . Et pour se rassurer, se calmer.
Je suis désolé – Alice fronce les sourcils, attends la fin de la phrase qui ne vient pas. Elle relève les yeux, comme pour l'inciter à continuer, retenant ses commentaires mesquins d'un pincement de lèvres.  Que voulait-il lui dire ? Elle a déjà trop parler – elle ne veux rien dire de plus, seulement écouter.

— Un café. Noir, serré. fait-elle, sans même contempler la carte qui trône sur la table. Alice commande toujours la même chose, ici, quand elle y passe après le travail.

Elle croise les mains sur la table, fixe ses doigts, ses yeux vont et viennent entre la table, le serveur qui s'éloigne, puis elle observe Charlie à la dérobée. Alice cherche ses mots, cherche quoi dire pour briser le silence pesant qui s'installe sur eux.

— « Mais ? Tu allais dire quelque chose. Tu dois sûrement avoir pas mal de choses à dire, de toute façon. dit-elle, un peu abruptement.

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Elle ne l'aide pas. Il aurait été stupide de croire que ça se passerait bien, qu'elle tenterait d'être arrangeante. Après ce qu'elle lui a dit – ces horreurs qu'il s'est prises dans la face sans pouvoir réagir – il n'est même pas étonné qu'elle le mette si mal à l'aise, qu'elle lui rappelle sans la moindre gêne qu'il n'a rien. Seul son silence est venu faire écho aux mots de sa cadette la semaine précédente. Il s'est demandé si parler aurait pu arranger les choses – des phrases qui sortent sans la moindre réflexion, qui viennent du cœur mais qui n'auraient pas reflété toute l'importance de ses sentiments. Encore une fois, il s'est torturé des nuits entières pour savoir quoi lui dire, et encore une fois il se retrouve muet. Face à lui, son idéal, sa petite sœur revenant dans sa vie, la possibilité de pouvoir boire un verre à la sortie du travail, le bonheur de se retrouver enfin après des années de séparation. Si proche – s'il voulait, il pourrait la toucher, il pourrait lui dire qu'il mourrait pour elle, parce que c'est son rôle, parce qu'il aurait aimé être un meilleur grand frère – mais séparé par la plus douloureuse des murailles, celles des non-dits qui s'enveniment au fil des ans.

— Je sais pas trop quoi te dire. Tu m'as choqué la dernière fois Alice. Je veux dire- Oui Charlie, qu'est-ce que tu veux dire ? Il ne le sait pas lui-même, les idées en pagaille se bousculent dans son cerveau. Il y a tellement de choses qu'il aimerait qu'elle sache, mais pas aujourd'hui, des années – une décennie – plus tôt. Ne pas avoir à connaître cette situation ou l'impression d'avoir perdu ce qu'il a de plus précieux. Je savais que tu m'en voulais pour quelque chose, je m'en doutais. J'arrivais juste pas à comprendre quoi, tu as jamais voulu me le dire. Ses yeux se lèvent, il regarde sa sœur en face. Pourquoi tu me l'as pas dit plus tôt ? J'ai jamais voulu t'abandonner. J'avais même dit à notre oncle que je voulais t'amener avec nous tu sais ? Mais tu devais aller à Poudlard, et maman n'aurait jamais été d'accord. Le serveur vient poser les boissons sur la table, permettant à Charlie de faire une pause, gêné. Il a l'impression de lâcher prise, d'avouer au monde ce qu'il n'a jamais dit lui aussi. Il en veut à Alice de lui avoir caché la vérité toutes ces années pour finir par se rendre compte qu'il n'est pas mieux. Un être de vivre avec des sentiments trop forts, ils le bouffent sans qu'il n'ait le temps de réagir. Je voulais être un bon grand frère, que tu puisses être fière de moi. C'est l'une des raisons qui m'a poussé à accepter, pour devenir courageux, pour que tu vois pas seulement en moi un lâche. J'aurais été assez fort pour te protéger si tu avais eu besoin. Il boit une gorgée de sa bière pour faire disparaître la boule qui lui bloque la gorge, qui l'empêche de parler. J'avais pas réalisé que ça impliquerait de te laisser. Je suis désolé.

Il sort son paquet de tabac pour s'en rouler un. Fumer a toujours été sa solution au stress, le geste le calme et l'apaise. Face à elle il n'a pas le choix.Mais heureusement, aujourd'hui il n'est pas seul. Aujourd'hui il a Éole. L'animal qui attend patiemment à ses pieds lui donne une certaine force, il lui rappelle que dans tous les cas il n'est pas seul, qu'en rentrant il aura au moins un ami qui ne l'abandonnera jamais. Elle aussi a un chien, petit, actif, posé sur ses genoux. Vous avez peut-être encore des points communs finalement, espère-t-il soudainement. Il aimerait que ça soit le cas, qu'ils ne soient pas uniquement que deux inconnus partageant le même sang, que leur relation redevienne celle perdue il y a trop d'années. Le tabac coincé à ses lèvres, il se sent mieux.

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Alice est silencieuse, elle écoute, elle qui ne prends jamais le temps d'écouter ce que Charlie aurait pu vouloir dire. Elle écoute, les mains qui entourent Pixie pour se rassurer. Elle a peur des mots de Charlie, elle est dans l'attente.

Et finalement, les mots tombent.

Moins accusateurs que ce qu'Alice pensait. Plus gentils. Plus... Charlie. Elle fronce les sourcils : elle aurait voulu – de manière assez étrange – que Charlie s'énerve sur elle, une bonne fois pour tout. Qu'il lui dise des horreurs, qu'elle aurait parfaitement mérité d'ailleurs, mais qu'il soit un peu moins gentil. Qu'il donne de bonnes raisons à Alice d'être une mauvaise personne, une personne haineuse.
Mais non. En quelques mots, Charlie reprends à Alice toute les raisons qu'elle avait de lui en vouloir.
C'est à la fois un soulagement – ce n'était qu'un malentendu. Elle n'était pas une erreur, une nuisance – et en même temps, Alice se retrouve en terre inconnue : sans la haine, qui devenait son quotidien, elle perdait un de ses repères. Elle se retrouve sans rien. Elle ne sait plus quoi faire.

Alors elle ne dit rien. Elle baisse la tête, laisse retomber ses cheveux devant son visage en fixant la tasse de café sombre devant ses yeux. Elle repense aux mots de Charlie, qui résonnent encore dans ses oreilles. Je voulais être un bon grand frère, que tu puisses être fière de moi. Sa gorge se serre, elle toussote et relève la tête. Son regard cherche un point de sortie, une fuite. Elle ne s'était pas préparé à ça, non. Elle fait tourner la cuillère dans la tasse, remets une mèche derrière son oreille. Alice songe à ce qu'elle pourrait dire. Elle pourrait changer de sujets. Ses yeux se posent sur Eole. « Ton chien est mignon. » voilà ce qu'elle pourrait dire. Alice éviterai une conversation que ni lui, ni elle ne veulent avoir. Excellente solution, non ?

— Je. Elle inspire. Elle songe à transplaner, là, disparaître et s'enfermer dans son appartement. Charlie ne sait pas où elle habite, elle serait à l'abri dans son refuge. Elle n'aurait plus qu'à prétendre que rien de tout ça ne serais arrivé. Tu n'as pas pensé une seconde que tu aurais pu faire tout ça en restant avec moi ? Tu n'as pas pensé que je n'avais pas besoin que tu fasses tout ça pour que je sois fière de toi ? Elle posa sa main devant sa bouche, battant des cils pour chasser les larmes qui menacent de s'inviter à la discussion.

Elle a envie de retourner à la maison. D'oublier tout ça, de se défoncer avec Sid s'il le faut. Elle a envie de tout à cet instant, sauf d'être ici, en train de prononcer les mots qu'elle prononce. Alice soupire, porte la tasse à ses lèvres, se brûle la langue au passage. Ça m'apprendra, tiens. A trop parler, à trop en dire.

— Tu as une idée de ce que ça peut faire ? J'avais besoin de toi, et tu n'étais pas là. Tu avais peut-être de bonnes raisons, d'excellentes raisons, mais ça ne change rien, si ce n'est que tu es encore trop gentil, trop toi malgré tout ça.

Je voudrais t'en vouloir. Mais tu ne me donnes plus rien pour ça. Pense-t-elle. Elle repose sa tasse avec un petit bruit quand elle cogne la porcelaine un peu trop fort, trop d'émotions qui lui font trembler les mains. Elle pourrait dire qu'elle est désolée : mais ces mots là, eux, refusent encore de franchir ses lèvres.

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L'attente est pénible, elle l'effraye. Il regarde Alice incertain, à la fois pressé et terrifié à l'idée de connaître la réaction de sa sœur. Il a peur qu'elle n'explose, qu'elle lui montre une nouvelle fois qu'elle le hait pour ce qu'il a fait. Ses explications – bien que valables à ses yeux – n'excusent rien. Il a abandonné sa petite sœur au lieu de la protéger. Il l'a laissé seule au lieu de la soutenir. Et quand les mots sortent enfin de la bouche de sa cadette, il culpabilise une nouvelle fois. Il ne lui a jamais dit, il n'a jamais pensé à le faire. Pour lui, c'était évident qu'il reviendrait, le sac chargé de cadeaux pour la plus jeune et la tête plein de souvenirs, des histoires merveilleuses à lui raconter. Elle n'avait pas besoin de l'entendre, elle devait le savoir. Mais il a été stupide à l'époque Charlie, il a sous-estimé l'imagination d'un enfant se retrouvant seul, enfermé entre quatre murs alors que lui partait à la découverte de choses irréelles.

Il ne sait plus quoi dire, quoi répondre.
La vérité lui paraît bien dure, les raisons qui l'ont poussé à filer, un manque de confiance en lui qui le guette toujours aujourd'hui. Elle ne savait pas, elle ne s'en rendait pas compte, lui rappelle sa conscience, elle ne t'a jamais vu comme l'échec que tu étais.

Et là, il aimerait tout lui dire, vider lui aussi son sac une dernière fois, mettre des mots sur quelque chose qu'elle n'a pas connu. Des années de solitude où le seul réconfort qui existe est le rêve d'une vie différente. La peur d'être obligé de faire à jamais ce qu'on déteste, travailler pour un ministère dont on ne comprend à peine le fonctionnement. Et le pire de tous, voir le regard déçu sur le visage d'une personne qu'on aime quand celle-ci apprendra ce qu'on est vraiment, un raté, une personne incapable de s'adapter à la vie en société, celui qui n'a pas vraiment d'amis, celui qui reste à jamais seul cloîtré dans son monde plein de pirates, de voyages et d'aventures. Il n'aurait jamais pu être un bon grand frère avec ça, elle n'aurait jamais été fière de lui. Alors il est parti des années, chasser ses démons sans jamais en voir le bout. Il a créé par sa fuite le pire de tous, le rejet dans le regard de sa sœur.

— Non, je n'y ai pas pensé. Son ton est étonnamment ferme. En douze ans, il n'a jamais envisagé cette solution, il n'a pas pensé un seul instant qu'elle aurait pu l'aimer pour ce qu'il était. Pour lui, il devait changer, devenir plus fort, plus courageux, plus intéressant. Ne pas se contenter d'être ce garçon à qui elle reproche encore d'être lui. Je suis désolé Alice. Il s'accroche à son tabac, il s'accroche à tout ce qui est susceptible de lui donner du courage à cet instant. J'étais qu'un raté, toutes ces années les gens me parlaient que pour me demander des services ou pour me blesser. J'étais seul. Je voulais pas que tu me voies comme ça, j'étais pitoyable.

Encore plus que maintenant, se dit-il à lui-même. Il n'est pas fier de ce qu'il est devenu, il l'accepte juste enfin. Ce qu'il a appris toutes ces années c'est que ça ne sert à rien, que personne n'a fait suffisamment de bien dans ce monde pour pouvoir affirmer être pleinement satisfait de son existence. Ce que tu peux être pessimiste, réalise-t-il. Mais c'est un sentiment pleinement normal quand on contemple sa plus grande erreur, celle qu'on aimerait réparer à tout prix.

— Je sais que j'étais pas là. Crois-moi, je me le pardonnerais jamais, alors pas besoin de me le répéter. Il avale une longue gorgée de sa bière. En réalité, il aimerait quelque chose de plus fort – beaucoup plus fort – quelque chose capable de lui faire oublier ce tragique passage de sa vie, celui qui l'a éloigné de sa sœur, qu'il est incapable de regretter parce qu'il représente les plus belles années de sa vie.

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Alice essuie d'un geste rapide la larme qui coule sur sa joue, priant pour Charlie n'ai rien vu. Elle ne pleure pas – elle n'a pas pleuré pour Charlie, pas depuis sa première année à Poudlard, quand elle a réalisé qu'elle n'avait pas de grand frère pour poser des questions. Elle repense douloureusement à toutes les fois où elle aurait souhaité que Charlie soit là. Quand elle avait quinze ans, et qu'elle s'était demandé si elle était bizarre, quand tout ses camarades expérimentaient leurs premiers coups de cœurs – question qu'elle avait finalement posé à Sid, qui avait répondu avec son acidité habituelle ; bien sûr que tu es bizarre, Alice. Ou quand elle se posait des questions sur son futur, questions qu'elle n'osait pas poser aux adultes, bien trop détachés des questionnements adolescents. Charlie avait loupé beaucoup. Tout ça pour quoi ?

Être meilleur. Être digne d'elle. Parce qu'il était un « raté » il dit. « Pitoyable. »

Elle secoue la tête. Pince les lèvres, retiens des mots blessants, des mots aiguisés comme des lames.  « les gens ne me parlaient que pour me blesser » - n'était-ce pas ce qu'elle avait fais, elle aussi, pendant toutes ses années ? Blesser Charlie ? Alice avale une nouvelle gorgée de son café, en même temps que Charlie prenait une gorgée. Elle attends qu'il repose son verre, pour ne pas avoir l'air trop synchronisé.  C'était de sa faute, quelque part, si Charlie s'était senti aussi pitoyable. Chaque remarque qu'elle avait adressé à son frère avait contribué à ce sentiment. Pourtant, Alice peut se mentir comme elle le veut, elle ne peux pas effacer qu'à un moment, Charlie était dans ses yeux l'homme parfait.

— J'étais seule aussi, très seule. A une époque, j'aurais donner n'importe quoi pour te voir. Enfin, c'est passé, maintenant. On ne peux pas changer le passé. fait-elle d'un ton plus défaitiste et amer qu'elle ne l'aurait voulu – Alice est toujours plus méchante que ce qu'elle ne voudrait. L'armure de méchanceté qu'elle s'était acharné à construire était trop ancrée en elle pour qu'elle puisse s'en défaire si facilement.  

Elle pose sa main sur sa joue, ferme les paupières pour cacher ses yeux rougis. Elle aimerait que Sid débarque pour l'arracher à cette situation inconfortable – mais elle ne plonge pas sa main au fond de son sac pour attraper le mobile. Elle soupire, simplement.

— Je ne le dirais pas deux fois, Charlie – tu as intérêt à écouter attentivement.

Alice ouvre les yeux, plonge son regard dans celui de Charlie. Elle a l'impression d'être face à une sorte de miroir – elle se voit dans les yeux de Charlie, la petite sœur qu'il aime. La petite sœur qui devrait l'aimer en retour. Elle a les yeux brillants, Alice, elle abandonne de le cacher.

— Je suis désolée, Charlie.

Elle se tait, réalise la portée des trois petits mots qui ont enfin franchi ses lèvres. Elle se sent libéré d'un poids, mais étrangement vide. Elle croise les bras, fait tourner la tasse. Pixie se love contre son ventre, présence chaude et rassurante. Tu vois, le monde ne s'est pas écroulée  Alice. Tout va bien.

— C'était gentil. Les photos – je veux dire. ajoute-t-elle maladroitement, la voix un peu étranglée par des larmes coincées en travers de sa gorge.. Elle vient à se demander si la librairie comporte des livres « guide pour avoir une conversation avec son frère »  - si oui, Alice en aurait besoin. Je ne savais pas qu'on en avais autant.

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La larme sur la joue de sa sœur lui brise le cœur, une nouvelle fois. Il se déteste d'avoir provoqué cette situation, ces années à se taire dans l'attente d'un mieux sans être capable de rien dire. Il trouve ça inhumain, invivable. Il se dit soudainement qu'il ne vaut pas mieux que toutes ces personnes qu'il déteste.

Il aimerait la prendre dans ses bras, lui faire un câlin et lui dire que tout ira mieux. Être de retour plus de dix ans plus tôt, lui assurer que ce n'est qu'un cauchemar et qu'il sera là, qu'il sera toujours là. Mais il ne peut pas, il a laissé passer sa chance à la sortie de Poudlard, celle d'être enfin un bon grand frère. Il regrettera sûrement toute sa vie, il n'a pas besoin pour ça des paroles d'Alice. Il se demande pourquoi elle dit ça, pourquoi elle parle de changer le passé au moment même où il y pensait. Un acte impossible qui lui paraît désormais salvateur. Charlie tape ses doigts contre son verre à moitié vide. Sa bouche s'ouvre, comme pour dire quelque chose avant de se fermer. Il aimerait dire quelque chose, le problème est de savoir quoi. S'excuser une fois de plus ne lui paraît pas être une bonne idée. Alice donne l'impression de ne pas en vouloir, de ses pardons. Pourtant, il donnerait tout pour qu'elle comprenne à quel point il s'en veut, pour qu'elle réalise combien il souffre de lui avoir causé de la peine.

Il relève la tête en l'entendant. Il a l'impression de se noyer dans les yeux de sa cadette, il y cherche une forme d'espoir, celui d'un renouveau, d'une situation qui évolue. Il doute pourtant Charlie, tout semble annoncer le contraire – tout ce qu'elle lui a sorti avant, les reproches, les accusations spécialement conçues pour le blesser.

Je suis désolée, Charlie.
Les mots le choquent, il ne s'y attendait pas. Il la regarde, étonné. Parce que c'est Alice qui est en face de lui, Alice qui depuis dix ans ne s'est jamais excusé de tout ce qu'elle lui a fait subir alors que lui ne faisait que ça. Il s'excusait sans savoir à Noël, sans comprendre pourquoi elle lui en voulait, persuadé que c'était la solution à tout. Il ne sait pas quoi dire, pas quoi répondre.

— Je t'en voudrai jamais, choisit-il finalement. Il est incapable de faire de grandes phrases, il se sent juste enfin soulagé. Ce n'est pas la fin de son calvaire, il le sait. Il faudra du temps pour que les choses s'arrangent mais il choisit de voir cette phrase – celle qui semble avoir été si dure à dire pour sa petite sœur – comme un début rassurant, la perspective que les choses peuvent finalement évoluer en quelque chose de mieux. Une chose inespérée.

Il se sent heureux comme jamais, il se sent bien. Un poids en moins, un souvenir qu'il n'oubliera jamais. Il aimerait la remercier, lui faire comprendre à quel point il lui est reconnaissant pour cette phrase qui a tant d'importance. Il ne le fait pas pourtant, il se dit que ça serait sûrement bizarre. On ne remercie pas quelqu'un juste parce qu'il s'excuse, ce n'est pas logique.

— J'en ai retrouvé beaucoup chez oncle Arthur en fait. Je crois qu'en fait, c'est lui qui en avait le plus de nous. Il a peur, peur qu'elle crie en l'entendant parler de cet oncle qu'elle ne semble pas aimer, contrairement à lui. Il aimait beaucoup la photo, ça doit être pour ça.

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I've been so evil with my constant invasions. Alice se sent un peu gauche. Elle a l'impression d'avoir déposer une partie d'elle, et de se retrouver démunie. Alice se rappelle qu'elle doit respirer. Après s'être excusée, elle avait retenu sa respiration, inconsciemment – comme si elle s'attendait que quelque chose se passe, que le monde change radicalement après ça. Mais rien. Le monde reste intact, il y a juste la surprise de Charlie pour lui rappeler les mots qu'elle vient de prononcer. Cette petite phrase de rien du tout, qui représente un effort monstrueux pour la jeune femme.

La réponse de Charlie ne l'étonnes pas : il est égal à lui-même. Bien sûr, il ne lui en veux pas. Comment Charlie pourrait lui en vouloir ? Elle aurait pu commettre les pires des atrocités, Charlie n'en voudrait toujours pas Alice. Il aurait fallu être aveugle pour ne pas voir à quel point Charlie aimait Alice – et par Morgane, Alice est définitivement aveugle à ça.

— Non, bien sûr, évidemment. C'est pas ton genre à toi, d'en vouloir. C'est moi la spécialiste. La remarque est plus pour elle que pour Charlie, mais assez audible pour qu'il l'entende. Elle passe une main dans ses cheveux, lève les yeux au ciel comme si une sortie de secours l'attendait là haut. Mais non, seul le ciel bleu-gris de Londres, le soleil qui lui fait plisser les yeux. Elle rebaisse la tête verre la table.

Arthur. Elle se souvient bien de lui. Parce qu'il lui avait volé son Charlie – du moins, c'est ce qu'elle pensait, au début. Après, elle avait oublié. Oublié pour elle s'était enlisé dans un rejet permanent de cet homme qui passionnait Charlie, qui aurait pu la passionner aussi, si elle avait été un peu moins bornée, si elle avait vu plus loin que le bout de son nez.
Elle pince les lèvres – elle a eu l'impression d'avoir raté quelque chose à cause de son mauvais caractère. Elle pose sa main contre son menton. Il aimait la photographie. Combien de chose ignorait-elle sur Charlie et d'autres personnes de sa famille qui avaient gravité autour de lui ? Alice tapote contre la tasse de café, humecte ses lèvres en choisissant ses mots.

— Je savais pas. Enfin, je pensais pas. Je m'en souvenais pas. Je pensais qu'elles  étaient plutôt à la maison. marmonna Alice. Elles sont jolies, les photos. Il avait du talent. Ajouta-t-elle. Alice savait reconnaître les gens qui avaient un don, surtout en photographie – même si parfois, elle avait bien trop d'orgueil pour le dire. La brune avale le fond de sa tasse de café, caresse Pixie. Bref. Je... Elle cherche ses mots. Puis finalement ne dit rien, jette un regard à Charie à travers sa frange.

Alice réalise qu'elle est pleine de regrets. Qu'elle aurait pu apprécié beaucoup plus de chose – mais le mal est fait. Et sa vie actuelle lui convient ; c'est ce qu'elle se l'affirme mentalement, pour se rassurer. Elle aime son quotidien, même si ce sont des erreurs qui l'ont menées jusque là, se dit-elle pour se convaincre.

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La remarque lui donne envie de pleurer. Les larmes perlent à ses yeux, l'air blessé ne quitte pas son visage. Pourtant il sait qu'elle n'est que partiellement pour lui, que sa sœur choisit de s'accuser elle-même à ce moment-là. C'est peut-être ça qui lui fait le plus mal. Il préfère qu'elle lui en veuille, qu'elle le tienne pour responsable de tous leurs problèmes familiaux. Il le mérite après tout, il est celui qui a abandonné, celui qui n'a pas été capable de mener à bien son rôle de grand frère. Et il aimerait lui – que c'est pas grave, qu'elle n'y ait pour rien, qu'elle est parfaite à ses yeux – mais il choisit de rester silencieux. Il entend déjà la voix de la cadette lui rappelait qu'il est trop gentil, qu'il devrait arrêter. Il en est incapable, elle est celle avec qui il ne pourra jamais se montrer méchant, même si elle commet toutes les erreurs au monde, même si elle le pousse vers un état de mal être certain. Il lui pardonnerait le pire des crimes pour ses grands yeux si semblables aux siens – et intérieurement, il espère qu'il n'aura jamais à le faire.

Il baisse les yeux, contemple sa bière presque vide. Il ne trouve rien à dire. Juste la honte pulse dans ses veines à cet instant. Il n'ose même pas se rouler un second tabac. Le paquet posé sur la table lui fait de l'œil mais il n'ose pas le prendre. Il craint ce qu'elle pourrait penser – que son frère se fiche d'elle, qu'il ne l'aime pas. Des choses tellement éloignées de la réalité.

— Dis pas ça, trouve-t-il finalement le courage de prononcer. Il évite son regard, comme s'il serait capable de transformer en marbre. Un seul coup d'œil vers sa sœur et il perdrait à jamais le courage de parler, de finir cette phrase. Tu avais raison, j'aurais pas dû te laisser comme ça. Il joue avec le ourlet de son tee-shirt. J'aimerais pouvoir me rattraper. Mais il ne sait pas comment bien sûr. Il n'y a pas de réponse miracle, pas de modes d'emploi. Le pardon lui semble être au bout d'une longue route sinueuse, le genre qui ne donne pas envie de s'y aventurer. Rares sont les moments où il n'a pas peur Charlie, là il ferait un effort. Pour sa sœur, il est prêt à tout.

Penser à son oncle lui donne toujours envie de pleurer, même trois ans après. Habituellement, il évite de trop y penser, mais pour la deuxième fois en deux jours, les souvenirs douloureux qu'il pensait avoir enfui au fond de lui refont surface. Il aimerait qu'Alice puisse connaître Arthur comme lui, qu'elle puisse voir à quel point cet homme était merveilleux. Leur oncle n'était pas uniquement un modèle à ses yeux, mais un père et un ami. Elle n'a jamais eu l'occasion de voir à quel point c'était un homme merveilleux. Elle a préféré le détester que le connaître et il se sent également responsable pour ça Charlie.

— Il y en a aussi à la maison mais- Il soupire. C'est les photos des parents quoi. Je les trouve moins joyeuses. Il trouve qu'il n'aurait pas pu mieux choisir le mot utilisé. Il aime cette idée, les souvenirs qu'il garde de ces moments sont particulièrement heureux. Il regarde sa petite sœur cachée sous sa frange, il soupire. Alice, on- Une question lui brûle les lèvres, il hésite à la poser. Il a peur de risquer ce semblant d'améliorations. On se reverra ? On va pas s'ignorer pendant trois ans comme la dernière fois ? La réponse le terrorise. Et si Alice le prend mal, qu'elle décide de partir à nouveau. Sa petite sœur lui manque au quotidien.

electric bird.

I said too much, it overflowed

God, I wish I never spoke; now I gotta wash my mouth out with soap

L'expression blessée sur le visage de son grand frère, c'est encore de sa faute. Elle se mords la lèvre Alice, réalise que ses mots ne sont que des armes, en permanence – elle ne sait pas parler sans attaquer de pleins fouets et c'est Charlie qui en fait les frais. Il est trop gentil, c'est vrai : mais c'est à lui que ça fait le plus de tort. Instinct naturel de protection, Alice ne supporte pas de voir Charlie si gentil et de se laisser blesser ainsi. Mais elle est bien trop fière pour le dire, se contente de pincer fermement les lèvres plutôt que de laisser encore les mots s'échapper.

Ses yeux parcourent le dessin du bois de la table alors que les mots se glissent sous son crâne borné. Bien sûr qu'il aimerait se rattraper – une part d'Alice se réjouit d'entendre ça, et elle relève doucement les yeux. Heureusement, elle ne croise pas son regard – elle aurait détourné les yeux à nouveau, comme un animal apeuré.

« C'est pas ... » Grave, manque-t-elle de dire, sauf que c'est faux. Elle s'arrête, fixe sa tasse vide. Elle inspire. « Il y a encore le temps. » Le temps de rattraper. D'essayer d'arranger les choses. Ils sont encore jeunes, ce n'est pas comme s'ils avaient soixante ans et qu'ils avaient vraiment gâchés toute leur vie. Elle croise les doigts, nerveusement. Elle ne veux pas donner de faux espoirs à Charlie – Alice se connaît trop bien – mais elle ne veux pas non plus balayer d'un geste de main négligent la possibilité de faire un effort.

Alice sait bien combien Charlie aimait Arthur. Elle le sait que trop bien – étrange sentiment qu'elle a du mal à comprendre, encore maintenant, Alice ne s'est jamais senti très proche des adultes, quels qu'ils soient. Sa vie ne tournait et ne tourne qu'autour d'elle et les adultes n'avaient jamais été assez intéressés pour qu'Alice ne daigne leur prêter de l'attention – trop occupés à d'autres choses, à la comparer à Charlie, etc. Peut-être qu'Arthur n'aurait pas été comme ça si Alice l'avait autorisé. Mais c'était trop tard pour ça.

« Hm, oui, j'imagine. » Joyeuses. C'est vrai qu'elle se souvient du sourire de la petite Alice sur les photos, et joie est un bon mot pour décrire cette photo. C'était triste mais Alice ne se souvenait même pas avoir été aussi heureuse – avec Charlie. Elle retint son souffle, panique intérieurement. Est-ce qu'ils se reverront ? C'est beaucoup lui demander. Elle cherche à droite à gauche un signe, pour lui indiquer quelle est la réponse idéale. « Je ne sais pas. » dit-elle d'un coup. Elle rajoute rapidement. « Je vais faire un effort. » Ce n'est pas mieux, soupire-t-elle. Elle a envie de s'occuper les mains, attrape distraitement le paquet de tabac de Charlie, commence à en rouler un pendant qu'elle parle. « C'est un peu bizarre. Pour moi. Mais on pourra se voir, de temps en temps... Progressivement. » Elle a du mal à imaginer qu'un jour elle puisse voir Charlie aussi souvent que certains voient leurs frères et sœurs. « Je ne peux rien promettre. » Elle ne veut pas promettre – ça lui fait trop peur. S'attacher. « Mais si tu veux qu'on se voit... Tu pourras passer. Ou appeler. Envoyer une lettre. Des trucs comme ça. »

electric bird.

I take the blue ones every time

walk me down your broken line
all you have to do is cry

Peut-être que ce n'était pas la réponse qu'il attendait. Peut-être aurait-il voulu qu'elle soit plus enthousiaste à l'idée de passer du temps en sa présence – quel doux rêve, Alice ne dira jamais oui, elle ne l'aimera jamais autant qu'il le fait. Peut-être aurait-il même préféré un non, une réponse négative et dure, une réponse qui l'aurait bouffé encore un peu plus, mais une réponse quand même. Je ne sais pas, ça fait plus mal qu'on le penserait. Son existence a si peu d'importance aux yeux de sa sœur qu'elle ignore même si elle veut lui faire une place dans sa vie, dans son quotidien qui semble si bien rouler sans lui. Et Charlie en serait presque jaloux finalement s'il n'était pas si heureux qu'elle ait pu trouver un semblant de bonheur dans ce monde trop rapide. Elle a réussi sans lui, elle a trouvé de nouvelles personnes pour l'accompagner dans cette grande aventure. Lui avance toujours à reculons, il tâtonne les bornes du raisonnable, tente de fuir.

Il s'est rarement senti aussi perdu qu'à ce moment. La réaction de sa sœur est comme la plus violente des tempêtes, elle le perd, lui fait peur. Peut-être qu'il s'est trompé, que si elle lui manque autant, ce n'est pas parce qu'il pense avoir raté. Ce n'est pas elle qui a besoin de lui parfois, c'est le contraire. Charlie n'est rien sans ses amis pour le soutenir – ces mêmes amis qu'il a perdu au fil du temps, tous morts, son oncle, Clément et tant d'autres qui ont laissé leur vie pour leurs convictions.

— Je vois, dit-il faiblement. Il aurait dû s'en douter, ne pas espérer stupidement que tout irait mieux après si peu de temps. Il aurait dû se contenter du peu qu'elle accepte de lui donner, de sa présence à ses côtés actuellement. Il a toujours été nul pour se projeter dans le futur Charlie, son oncle lui a toujours appris à vivre sur le moment. On peut mourir à tout instant, disait-il sans savoir à quel point il avait raison. Je t'enverrais des lettres. C'est peut-être le plus simple, il n'aura pas à la voir, pas à contempler à quel point elle lui ressemble dans ses gestes, dans son attitude. Dans les tatouages qui ornent son corps. Je passerais peut-être aussi. Plus tard, je vais peut-être partir en vacances.

Il ne sait pas pourquoi il a rajouté ce mot – ce peut-être. Bien sûr qu'il part, qu'il fuit Londres comme à son habitude. Il fuit toujours, dirait Alice et il se rend compte qu'elle n'a pas tort. Trop d'événements chamboulent sa vie et même si habituellement il apprécie ce genre de situation, il n'est pas sûr que ceux-ci soient réellement une bonne chose – que ce soit la mort de Clément, les retrouvailles avec sa sœur ou la présence d'Automne dans son appartement la veille.

— Tu sais Alice, malgré tout ça, je t'aimerais toujours. Rien ne pourra enlever ce qu'elle est à ses yeux, la petite sœur qu'il a toujours voulue, celle qu'il chérit depuis la naissance. Mais il n'aurait pas dû lui dire, non. Il aurait dû garder ça pour lui. Il baisse les yeux. Je vais y aller je crois, dit-il en se levant un peu trop rapidement. Éole regarde sans comprendre son maître qui dépose de quoi payer les consommations sur la table et qui le force à se lever. Je suis désolé. On se voit plus tard. Il se déteste sur le moment, à fuir de la sorte. Encore une fois, il lui donne raison, il fait exactement ce qu'elle déteste chez lui – quel faible.

electric bird.

I said too much, it overflowed

God, I wish I never spoke; now I gotta wash my mouth out with soap

Bien sûr. Bien sûr, la réponse sonnait différemment dans la tête d'Alice : un peu moins sèche, un peu moins méchante, un peu plus gentille et sûre d'elle. Bien sûr, dans sa tête, la réponse était hésitante parce qu'elle avait peur, mais ce n'était pas sensé repousser Charlie. Bien sûr, dans sa tête, elle ne passait pas son temps à repousser son frère. Son ennemi, ce n'est pas Charlie – c'est simplement ses propres mots, distordus, laids et coupants. Alice soupire – désespérée, par elle-même, par la réaction de Charlie qu'elle voit dans ses yeux.

« Je... » Elle veut l'interrompre, dire quelque chose de mieux, elle veut faire un geste, comme poser sa main sur la sienne, lui adresser un regard qui veut dire qu'elle est désolée de tout faire de travers. « Je comprends. Je vais partir en vacances aussi. » dit-elle à la place, brusquement, sans réfléchir, inventant une excuse un peu idiote et bancale. Ils fuient, tout les deux – pas un pour rattraper l'autre dans cette situation.

« Je t'aimerai toujours. » Alice baisse la tête. Elle veux répondre qu'elle aussi – ça serait vrai en plus, mais son égo l'empêche. Pourtant, Merlin, elle l'aime fort, cet imbécile, cet idiot, ce grand frère absent, ce garçon trop gentil et trop doux, et c'est bien là la pire des tragédies. Oh, pourquoi est-ce qu'elle ne le détestait pas totalement, elle aurait pu l'ignorer sans aucun regret ! Non, pourquoi n'était-elle pas une différente Alice, une petite Alice innocente et douce ! Elle était juste Alice, méchante Alice qui brise le cœur de son frère et qui porte le poids des regrets après ça. Et il va s'en aller – encore. Alice se lève, Pixie saute de ses jambes – affolée, la pauvre ne comprends pas. Elle pourrait l'empêcher de partir, oui, ça serait courageux et une preuve de sa bonne volonté, ça serait comme une preuve qu'elle tient un peu à lui, malgré tout – -

«... A plus tard. » Ridicule. Mais elle veut lui laisser entendre qu'elle n'est pas totalement fermée à l'idée de le revoir – même si elle est bien trop compliquée pour qu'il le comprenne. Elle-même a du mal à se suivre. « ... Moi aussi je l'aime. » marmonne-t-elle à Pixie, maintenant que Charlie est loin. Elle se renfrogne. Pourquoi est-ce qu'il n'était pas le courageux des deux ? Pourquoi est-ce que l'un d'eux n'étaient pas courageux ? Il ne lui reste plus qu'à rentrer, tourner et retourner cette discussion dans tout les sens, réaliser tout ce qu'elle aurait pu dire différemment.

electric bird.