Raphaëlle relève les yeux de son bloc-notes pacman pour les poser sur l'auror assis en face d'elle. Le grand jour était enfin arrivé – depuis qu'elle avait reçu la lettre de sa meilleure amie qui lui demandait de s'occuper de Basile Flaversham, aka l'homme du moment, elle n'en pouvait plus d'attendre. Elle avait harcelé Nemo pendant des jours entiers pour finir – et encore plus pendant les heures qui précédaient ce rendez-vous – mais là, elle avait coupé son téléphone et l'avait posé sur son bureau. Un comportement exceptionnel de la part de la galloise qui passe habituellement ses séances à envoyer des sms à son meilleur ami pour lutter contre l'ennuie.

— C'est bon Basile, pas besoin de tirer la gueule, je vais pas te manger, dit-elle en faisant des traits sur une page à l'aide de son crayon panda. Le fait que les psychologues prennent des notes sur leurs patients durant les séances relève plus de la légende urbaine, et ses pages sont plus couvertes par le signe de la triforce que par les récits d'adultère de certains des abrutis qui viennent la voir pour sauver leur couple. Alors, qu'est-ce qui t'amène ici ? Elle n'a aucune gêne à le tutoyer – c'est le meilleur ami de sa petite Joy après tout. Je veux dire, j'ai lu l'article comme tout le monde mais je sais de source sûre que tout ça a commencé avant. Tu veux m'en parler ?, demande-t-elle simplement. Elle se doute que ça ne sera pas si simple – et elle ne préfère pas encore prononcer le mot alcoolisme bien que Joy l'ait largement prévenu à l'avance de cette petite tendance à l'alcool qu'avait développée l'écossais.

Elle se concentre sur le visage de son patient – elle ne l'a jamais vu dans un état pareil. Bien sûr, elle n'a jamais vraiment parlé à Basile, mais elle en a largement entendu parler avec sa meilleure amie, elle a vu des photos, elle l'a aperçu dans des bars où il s'acharnait à draguer des filles mignonnes. Elle n'a plus l'impression d'être face à l'aîné des Flaversham, mais plutôt face à un pâle reflet de ce qu'il était autrefois, une photocopie en noir et blanc qu'on aurait laissé traîner à côté de l'imprimante – et Raph ne peut pas s'empêcher de trouver ça triste, ce garçon avait l'air de tout avoir pour être heureux au retour de Joy.

Sa journée s’annonçait des plus parfaites, en effet comment une journée en compagnie de sa meilleure amie pouvait mal finir ? Une réponse qu’il trouva assez rapidement quand Joy poussa la porte du cabinet du psychologue, alors qu’elle lui avait promis une après midi entre amis, autour d’un burger, à l’ancienne. Le sourire de l’auror c’était effacé au moment même où ils avaient mis les pieds dans la salle d’attente et il n’était apparemment pas prêt de le récupérer. Après quelques minutes d’attentes, il était entré dans le bureau d’une jeune femme rousse, la meilleure amie de sa meilleure amie qu’il avait déjà croisé sans jamais prendre le temps de discuter. Elle semblait étrangement enthousiaste de le recevoir, mais l’écossais n’était pas d’humeur à sourire après la trahison de Joy et cela même après les présentation rapide avec la rousse qui ne faisait que son travail.

« Je ne fais pas la tête. » Tel un enfant de douze ans, Basile semblait bouder sur sa chaise. Au fond, il était un peu vexé que sa meilleure amie l’envoie consulter un spécialiste, pour la simple et bonne raison qu’il vivait dans le déni total de son mal-être. Il accordait sans trop de difficulté qu’il buvait plus qu'auparavant, mais pas qu’il était devenu alcoolique. Il accordait aussi qu’il dormait moins, mais pas qu’il était devenu insomniaque. Il accordait aussi qu’il n’avait pas le moral, mais pas qu’il sombrait peu à peu dans une dépression. Finalement, c’était peut-être lui qui n’était pas prêt à entendre la vérité. « C’est Joy qui m’amène. » Comme toujours, il faisait le malin. Préférant de loin rire que répondre aux questions, se fichant bien de se faire engueuler pas sa meilleure amie -Basile avait décrété qu’il n’avait pas besoin de voir un thérapeute.

« Je n’ai rien à dire de plus que ce qu’il y a dans la presse. » Si la rousse semblait joyeuse à l’idée de pouvoir l’aider, elle allait vite déchanter devant la tête de mule qu’il pouvait être.  Basile balaya rapidement le bureau des yeux avant de poser une main sur le bureau et de se lever. « Du coup, je vais y aller. Désolé pour le dérangement. » Il y avait de fortes chances pour que la brune le ramène par les oreilles dans le bureau, mais il n’était jamais trop tard pour fuir.

Elle ne trouve pas ça drôle Raphaëlle, pas drôle du tout. Bien qu'en temps normal elle aurait adoré ce genre de blagues – elle aurait rigolé et elle se serait même empressé d'envoyer un sms à Nemo pour lui raconter ce qu'il venait de se passer – elle aborde un visage un peu sévère suite à la remarque de l'auror. Pour une fois dans sa vie, la galloise s'efforce d'être professionnelle – pas parce qu'elle pense que son patient le mérite, mais plus parce que sa meilleure amie lui a demandé. Joy fait partie de ces personnes pour qui Raph serait capable d'aller au bout du monde, de s'engager dans les aventures les plus farfelues et dangereuses au risque d'y laisser sa peau. Alors s'occuper de l'alcoolisme récent d'une personne qui semble avoir trop subi devrait être une promenade de santé. Soudainement, elle en doute – ce garçon est encore plus fermé qu'une tombe de pharaon, ça promet d'être plus compliqué que prévu.

— Très drôle, dit-elle alors en soupirant. Non, ce n'est pas gagné mais l'idée que Joy puisse compter sur elle lui donne le courage d'affronter l'écossais deux fois plus imposant qu'elle. C'est tout simple, les deux meilleures amies ont pris des directions diamétralement opposées à un moment de leur vie, et Raph a toujours eu énormément de respect pour celle qui a choisi de devenir auror alors qu'elle se contentait de la psychologie – aider des gens pas bien dans leur peau à base de cachets, ce n'est pas aussi glorieux que rivaliser avec les héros des comics qu'elle aime tant. Alors pour une fois qu'elle peut se rendre utile à la bonne cause, elle va faire de son mieux pour ne pas échouer. Alors là, tu peux rêver. Elle se lève d'un bond pour lui faire face – elle a l'air ridicule, il pourrait la balayer d'un geste de la main mais elle s'en fiche clairement. Tu te rassois dans ce fauteuil tout de suite et tu ne sortiras pas tant que je n'ai pas décidé que la séance ne sera pas terminée. Et non, elle est loin d'être terminée. La galloise soupire. On peut revenir sur cette histoire d'articles, et surtout sur les raisons qui vous ont poussé à le réaliser ? Elle ignore pourquoi mais elle doute d'avoir la moindre raison.

Sans surprise, cela n'amusait pas vraiment la rousse qui devait en avoir marre de courir après les patients dans le genre de l'auror. Elle ne le savait peut-être pas encore, mais elle avait sûrement la plus grande tête de mule du pays dans son cabinet et n'avait pas fini de râler -enfin, si Basile revenait après cette séance qu'il ne pouvait apparemment pas quitter avant la fin. De toute manière, il savait que sa meilleure amie qui se trouvait certainement derrière la porte ne le laissera pas faire et que comme il ne savait pas transplaner il n'avait pas foule d'endroit où aller. Après avoir poussé un soupire aussi exagéré qu'inutile, il reposa son postérieur sur la chaise et se décida au moins à écouter la rousse. Sans surprise, le sujet de l'article venait très rapidement, il fallait dire qu'il était depuis quelques mois sur toutes les lèvres et que tout le monde rêvait de savoir le pourquoi du comment. « Parce qu'il fallait que cela se sache, c'est mon métier non ? » Un sourire ironique se dessina sur son visage, pour lui, son métier d'auror n'avait plus aucun sens et il n'était pas prêt d'y retourner avant au moins les prochaines réformes promises depuis des semaines par le ministère.

« C'est aussi simple que ça. » L'auror s'enfonça un peu dans son siège, en soupirant et montrant le mieux possible qu'il s'ennuyait déjà. Basile refusait dans dire plus, il en était hors de questions. Il y avait encore des choses qui devaient rester secrètes et d'autres qui le resteront à jamais, pour le bien commun. « Bon, je n'ai rien à dire et rien à faire ici. Je vais très bien et vous avez aucune raison de me garder, alors on pourrait faire autre chose que de parler de moi. » L'auror se comportait comme un adolescent rebelle et il devinait facilement que ça n'allait pas se passer ainsi.

Raphaëlle hallucine. Elle qui déteste les patients stupides – ceux qui parlent pendant des heures pour ne rien dire d'intéressant, comme par exemple cet abruti d'Alexandre Lacroix – elle n'aurait jamais pensé qu'elle pourrait être aussi fatigué par un patient. Alors oui bien sûr, ce n'est pas le premier qui refuse de parler lors de la première séance – et ça ne sera sûrement pas le dernier – mais celui-ci est particulier. C'est le meilleur ami de Joy et elle se doit de réussir. Pour la première fois de toute sa carrière, elle a interdiction de se foirer. Sa meilleure amie ne lui pardonnera jamais, le monde entier non plus.

— C'est ton métier. Très bien. Je retiens, dit-elle en notant la phrase sur son carnet qui lui sert pour une fois à quelque chose qu'à dessiner des choses randoms. Elle compte bien revenir sur cette idée de métier – peut-être pas directement mais en douce, mine de rien. Tu veux bien me parler d'autre chose alors ? Genre, je sais que tu aimes Batman. À quel point tu dirais que ce personnage t'a inspiré dans ta vocation ? Elle doute que ça passe, mais qui ne tente rien n'a rien.

L'auror était le genre de personne qui ne comprenait rien à la psychologie et qui ne voyait pas vraiment en quoi parler à un parfait inconnu pouvait aider en quoi que ce soit. Raison pour laquelle, il ne faisait absolument aucun effort -en essayant de rester sympathique, se doutant que la rousse se contentait de faire son boulot, comme lui le sien. L'écossais s'était reposé dans le fauteuil, jetant toutes les deux secondes un regard à l'horloge, espérant qu'un moment cette petite aiguille accepterait d'avancer. Le sujet Batman l'étonna quelque peu, bien sûr il était un fan incontesté de ce Comics et adorait en jouer auprès de ses amis, mais ne voyait pas vraiment en quoi cela était utile pour une psychanalyse. Néanmoins, il préférait largement ce genre de question que celle à son sujet.

« Je ne sais pas si on peut parler d'inspiration, mais j'ai toujours aimé ce super héros… Plus pour les valeurs je pense. » Basile attrapa un stylo pour s'occuper les mains et tenta de réfléchir à la naissance de cette blague aussi vieille que lui, sur ce chevalier masqué. « Ca date de quand j'étais à Poudlard, alors je ne pourrais pas vraiment dire pourquoi. » Poudlard, il n'avait pas dit ce mot depuis mille ans et serait bien tenté d'y retourner. Basile vivait dans les remords et s'il pouvait tout changer, il le ferait sans aucun scrupule. Le reste de la séance se concentra principalement sur ce sujet et l'écossais ne demanda pas son reste pour sortir retrouver sa meilleure amie. Mauvaise nouvelle, celle-ci avait prévu d'autres séances -et il ne pouvait définitivement rien lui refuser.