Une fois de plus Aslan avait tenté de chaparder quelque chose, et il échouait. « Oh, mon pauvre petit voleur … » La blonde négligemment assise sur le tapis du salon joua avec le chaton qui s’était réfugié près d’elle, s’amusant à aiguiser son esprit joueur en agitant devant lui sa main avant que celui-ci ne saute dessus, apprenti chasseur inoffensif. Elle le caressa distraitement avant de reporter son attention sur les deux filles à ses côtés.

L’ambiance était agréable et détendue au sein de l’appartement cosy de la jeune Pilcher. C’était une atmosphère que Wendy avait découvert et réussi à s’approprier, différente de ce qu’elle avait jusque là côtoyé entre les appartements miteux d’une poignée de mètres carrés, les squats fumeux d’un jour pour décuver et au contraire, les grands lofts surpeuplés où elle passait des nuits sans sommeils. Automne avait fait de son habitation un havre de paix, une sorte d’abri hors des contraintes de la réalité – mais si cette impression était là, elle n’en faisait pas de leur logement une protection imperméable à ses problèmes. Par chance la française n’avait pas encore du sévir, Wendy ayant fait jusque là des efforts assez significatifs pour ne pas devenir un élément perturbateur et s’intégrer au decorum.

Leur hôte avait d’ailleurs fait un travail fantastique et titanesque, le résultat s’étalant sous leurs yeux. Des amuse-bouches aux goûts divers étaient mis en compétition avec de petites pâtisseries apétissantes – un festin que la blonde aurait adoré dévorer mais son appétit était trop inégal pour qu’elle ose se goinfrer. Elle se servit d’un petit muffin salé qu’elle grignota avec plaisir, un sourire de remerciement en direction de la jeune femme. « Super bon, Automne. »

La soirée était évidemment parfaite pour se confier et partager un moment entre filles, ce qui rappelait vaguement à la secrétaire l’époque où lorsqu’elle était à Poudlard, il leur arrivait d’organiser des soirées pyjama. C’était toujours l’occasion de régresser et de bien s’amuser – mais aussi de faire connaissance avec l’amie de sa colocataire, Kendra. Elle écoutait d’ailleurs cette dernière parler avec un certain intérêt. La jeune femme observa l’asiatique, posant sans détour ni brusquerie une question qui pouvait légèrement désarçonner l’intéressée étant donné qu’elle était posée par une quasi-inconnue. « Tu l’as trompée ? » Ni jugement ni reproche, bien au contraire ; Wendy lançait spontanément et franchement le sujet parce qu’elle avait tendance à très vite s’impliquer dans le cœur des problèmes des autres – même si ça ne la regardait pas et que Kendra aurait pu rapidement et poliment lui faire comprendre que ça ne la regardait pas, les intentions de la blondinette étaient tout sauf malveillantes. « Les gens peuvent être bizarres dans leurs réactions, ils ne se comprennent même pas eux-même parfois. » plaisanta t-elle avant de finir son muffin.

Et comme l’honnêteté allait dans les deux sens, la jeune femme prit la parole à son tour. « Je sais pas trop … » avoua t-elle, réfléchissant quelques secondes. Le sujet Charlie Weasley pouvait occuper une bonne partie de la soirée, ça c’était évident. Tout aussi évident que les sentiments qu’il lui faisait ressentir. « J’ai revu quelqu’un avec qui j’étais sortie quelques temps et – » Et il n’y avait pas de conclusion ? La blonde haussa les épaules. « Je sais pas vraiment où on en est. On se plaît mais … Tu sais, un peu genre quand tu es dans cette phase où tu te tournes autour mais personne n’a encore vraiment mis de mot sur ce qui se passait ? » Un léger rire plus tard, elle ébouriffait ses cheveux pour dégager son visage, tentant de se moquer gentiment d’elles. « Bref, j’ai pas l’impression qu’on soit les reines de la simplicité. A moins que tu sois l’exception ! » Coup d’œil teinté de malice à Automne qui n’avait pas encore parlé de sa situation personnelle actuelle.

Fouiner n’était jamais le gage d’une relation saine et intelligente, Wendy en avait parfaitement eu la preuve par le passé. Si elle n’était guère intrusive ou jalouse, parfois, ses excès l’avaient poussé avec certaines de ses relations à franchir les limites – et à force de chercher une faille, on finissait inexorablement par la trouver. « Je comprends. » répondit-elle sobrement. La situation de la journaliste, si elle ne l’avait pas vécu de la même manière qu’elle, lui rappelait quelques malheureux souvenirs qu’elle s’empressa de pourchasser en jouant distraitement avec Aslan. Le chaton, au loin, se tapissait, oreilles plaquées contre sa petite tête, prêt à bondir comme le prédateur en herbe qu’il était sur la main de la jeune fille.

Expliquer sa relation ambiguë avec Charlie – ou au moins, mettre des mots sur ce qui se passait et ne se passait pas entre eux – l’aidait, mine de rien, à y voir plus clair. Elle dégusta quelques gorgées du cocktail en écoutant les deux demoiselles la conseiller, ce qu’elle acceptait toujours assez facilement. La bienveillance d’Automne était contagieuse et Wendy avait appris qu’elle pouvait compter sur elle comme sur ses amies. Et cela la soulageait, quelque part. Avoir des appuis la sauvait d’une manière ou d’une autre de certains de ses démons qui aimaient encore la tenter. « Ouais, on verra, après tout. » Kendra avait raison, ce n’était guère le genre de Wendy de se poser des dizaines de questions – et ça ne lui avait jamais réussi de trop réfléchir. Tergiverser, c’était bon pour ceux qui aimaient avoir mal au crâne.

La blonde ne put réprimer un petit rire en entendant Automne se plaindre de passer pour la femme d’Hippolyte. Aux yeux de bon nombre d’inconnus ou de proches, les deux bourgeois-bohèmes donnaient une illustration plutôt idéale d’un ménage parfait – un peu trop parfait pour être réaliste, en fait. Avec le temps, la jeune secrétaire avait fini par se dire qu’un jour, sa colocataire lui annoncerait qu’elle avait épousé le journaliste pour des raisons purement pratico-pratiques, un peu comme cette sombre histoire de comptes communs d’ailleurs. « Tu ne peux pas leur en vouloir ! On croirait franchement à un veux couple, moi je l’ai cru la première fois que je vous ai vu. » Maintenant, le malentendu était dissipé pour sa part et elle savait qu’il n’y avait de fait qu’une pure et forte amitié entre les deux jeunes gens.

La question qui finit par poindre sur les lèvres de la photographe l’intrigua, et elle ne put qu’approuver d’un léger hochement de tête les paroles plutôt raisonnables de l’asiatique. « Je rejoins Kendra. Après tout, tout le monde fait des erreurs … Cela dit pour que tu sois odieuse avec quelqu’un, faut le faire, tout de même. » Non pas qu’Automne Pilcher était la douceur et l’obligeance incarnées, mais pour déchaîner sa mauvaise humeur, il fallait tout de même pousser un tantinet le bouchon. Ou alors la faire réagir de façon inhabituelle, ce qui mettait automatiquement et dans tous les cas la puce à l’oreille de l’anglaise.