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Le réveil sonne, il tire Kendra sans ménagement d'un sommeil léger mais réparateur. Kendra ne se fait pas prier – elle rejette la couverture, éteins d'un geste la sonnerie, prends étrangement le temps de s'étirer. Le temps – quelques secondes – ayant pris fin, elle s'élance vers la salle de bain. Kendra a un petit sourire en voyant le post-it collé sur le miroir, dont elle reconnaît l'écriture (celle de Joy, qui après avoir fait un retour dans sa vie, prenait le soin de laisser des traces de sa présence sous la forme de petits bouts de papier jaune collés un peu partout : sur le miroir, dans son porte-feuille, dans son sac. Elle les découvrait parfois des jours après, et il ne manquait jamais de lui arracher un sourire – l'effet escompté.)

Puis elle sort – parcourt les rues de Londres qui commence à se recouvrir de feuilles orangés alors qu'on est à peine fin septembre. Elle se jette dans le métro, passe une main dans ses cheveux qui bouclent aux extrémités – encore pas habituée à ne plus avoir les cheveux courts, Kendra fixe son reflet du coin de l’œil.

« Un café vanille et un grand café. » Elle tape distraitement du pied, observe les viennoiseries et pâtisseries. « Oh et je vais prendre ça, et ça... Hm, ça aussi. » ajoute-t-elle précipitamment en pointant du doigts les différentes briocheries en tout genre. Kendra jette un coup d’œil à sa montre et bien évidemment, il lui reste encore exactement assez de temps pour payer, repartir vers la Gazette. Tout était si soigneusement chronométré, évidemment. « Bonne journée ! » lance-t-elle de manière sonore en partant, grandes enjambées et démarche énergique.

Kendra dépose le café devant le nez de son collègue, s'assoit en face de son propre bureau – se débarrasse de sa veste de son chapeau, boit une gorgée de son café, se brûlant la langue au passage.  Elle s'appuie contre le dossier, observe Hippolyte, croisant les bras contre elle. Impossible d'oublier les « révélations » de ce torchon qui se prétendait journal et la confirmation de Dimitri. Impossible pour Kendra de se faire à l'idée, aussi. Elle secoue la tête, cesse de fixer celui qui partageait son bureau de manière si flagrante.

« Café à la vanille et viennoiseries en tout genre, aujourd'hui. Je me suis dis que ça serait une bonne idée.  » dit-elle en désignant du menton le sac en plastique de victuailles. Elle croise les bras sur le bureau. Comment Hippolyte pouvait-être avec quelqu'un comme Dimitri ? L'idée lui paraît tellement saugrenue et elle a beau retourner la situation sous tout les angles, rien ne fait sens. Elle soupire, détourne les yeux sur ses brouillons. « Tout va bien avec ton... « petit ami » ? » Kendra lance la phrase distraitement comme une conversation banale après quelques minutes de silence – phrase qu'elle avait en réalité sur le bout de la langue depuis quelques jours. Il ne s'agit pas de curiosité – c'est bien le cadet de ses soucis de savoir si Hippolyte et Dimitri filent réellement le parfait amour. Elle cherche à comprendre cette chose qui relève presque du surnaturel aux yeux de l'asiatique : quelqu'un qui supporte Dimitri – quelqu'un d'autre que Vladimir.

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— Merci Kendra, t'es la meilleure, lance-t-il en attrapant son café vanille dans le sac. Il aime cette boisson peut-être plus que sa propre vie – dit comme ça, c'est d'une tristesse – et il se voit mal s'en passer. Alors oui, sa collègue de bureau est géniale car elle connaît exactement ses goûts en matière de café. Il connaît également les siens, leur amour pour cette boisson est presque qualifiable d'obsession.

Il est particulièrement de bonne humeur ce matin-Hippolyte, chose assez rare qui lui a valu une remarque de sa meilleure amie. Celle-ci n'a pas besoin de la moindre explication pour comprendre les raisons qui pousse l'anglais à sourire comme un idiot une fois assis à son bureau. Elle sait très bien qu'il n'a pas passé la soirée seul chez lui à parler à son chien – Mordred est un interlocuteur des plus intéressants, il adore lui parler de toutes les choses un peu légères de sa vie, en commençant justement par la raison qui l'a poussé à déserter son appartement la veille. Si on lui avait dit il y a quelques mois quand il trouvait le courage d'envoyer une lettre à Dimitri Bolgarov que leur relation serait aussi sérieuse, il ne l'aurait pas cru un seul instant. Et pourtant, il doit faire aujourd'hui face à une situation qu'il n'aurait pas pensé possible – une relation qui n'a plus rien à voir avec celle qu'ils entretenaient quand il avait vingt ans. Ça pourrait en étonner plus d'uns – lui le premier – mais il est heureux avec Dimitri. Passer les premiers rendez-vous un peu gênants, il se sent tout simplement bien en compagnie du russe.

La question de sa collègue qui porte précisément sur ce sujet l'étonne un peu. Kendra n'est pas le genre de personne à s'intéresser à ça – elle n'est pas comme ces pestes du Sorcière Hebdo qui étale sans le moindre remords la vie de ceux qui n'ont jamais rien demandé. Il lève étonné les yeux de son exemplaire de The Guardian pour les poser sur l'asiatique en face de lui. C'est inhabituel – pas qu'ils n'aient jamais de conversation personnelle, ils ont la même meilleure amie qui les force à faire des soirées ensemble après tout. Mais au bureau, jamais Kendra ne s'est permise la moindre question sur sa vie sentimentale – un véritable désert aux yeux de tous avant l'arrivée de Dimitri de toute façon – tout comme lui n'a jamais cherché à comprendre la logique de la polyamoureuse.

— Pardon ? Il sait qu'elle est au courant – comme tout le monde de toute façon. Elle a même eu la confirmation de Dimitri sur ce sujet quand ils étaient tous les deux à l'hôpital. Alors pourquoi cette question sur ce ton ? Pourquoi tu demandes ça ? Il suspecte soudainement Automne d'avoir dit quelque chose à leur amie pour qu'elle fasse ce genre de réflexion. Il baisse immédiatement les yeux pour vérifier s'il s'agit bien de sa chemise – ça lui paraît gros, il l'aurait quand même remarqué si elle avait été trop grande pour lui. Une fois rassuré – c'est bien la sienne, il n'y a aucun signe qui peut prouver qu'il n'a pas passé la soirée chez lui, il n'est pas encore totalement ridicule –  il reporte son attention à sa collègue. Mais oui, ça va très bien avec Dimitri, dit-il un petit sourire gêné aux lèvres. Je sais que tu l'aimes pas Kendra, mais je t'assure qu'il est vraiment gentil. Un mot que les autres pas avoir l'habitude de voir utiliser pour le russe. Pourtant, Hippolyte est sûr de ce qu'il affirme, et ce n'est pas sa soirée de la vielle qui lui fera dire le contraire.

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Kendra balaie d'un geste de main le compliment – l'air de dire « c'est rien, c'est normal. » Elle sait, de toute manière, que leur amour respectif pour le café surpasse tout les différents qu'ils peuvent avoir sur les autres sujets. Il est sûrement une des rares personnes à partager cette relation toute particulière avec le café, normal qu'elle pense à lui.

Elle prends une gorgée de café en observant son collègue – il aurait fallu être aveugle pour ne pas remarquer le petit nuage sur lequel il était. Et Kendra ne comprends pas. Ou ne veux pas comprendre, ce qui, dans l'esprit de l'asiatique, revient quasiment au même. Qu'est-ce qui fait que Dimitri rends Hippolyte ainsi ? Pourquoi ? Comment ? Elle n'arrive décidément pas à s'y faire, et la clef du mystère se trouve peut-être devant-elle, dans la personne d'Hippolyte. Elle se racle la gorge, croise les bras sur son bureau.

« C'est un peu indiscret, désolée. » reconnaît-elle. Oh, elle a bien conscience que sa question n'a rien d'habituelle. A vrai dire, la vie sentimentale des autres ne la regardaient pas et la sienne ne regardait pas les autres, mais cette histoire était plus qu'une banale histoire de sentiments. « Je demande ça juste... comme ça. » fait Kendra en haussant les épaules, l'air de rien.

Kendra attrape un croissant, tournant les pages du journal du matin, se donnant un air désintéressé, comme si c'était une question sans aucune arrière-pensée et qu'elle était totalement satisfaite de la réponse de l'anglais. Avant de s'étouffer avec sa bouchée et de relever les yeux vers Hippolyte comme s'il lui avait annoncé une énormité du style « Sacha et Ondine du Sorcière Hebdo prévoient de devenir ministres de la Magie. »

« Gentil ? Gentil ? On parle bien du même Dimitri, là ? » Dimitri, gentil. Elle écarquille les yeux en repensant à la dernière conversation avec le russe – à l'extrême opposé du mot « gentil. » A des milliers d'années lumières. Elle secoue la tête. « Mais qu'est-ce que tu lui as fais pour qu'il soit comme ça ? » C'était tout simplement inconcevable que Dimitri Bolgarov soit « gentil » de lui-même, naturellement, sans aucune raison. Non, ça ne collait pas à l'image qu'elle avait de lui.

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Hippolyte tique un peu. Sa relation avec sa collègue de bureau a toujours été difficile, il y a au moins une centaine de sujet qu'il n'est pas préférable qu'ils abordent tous les deux. Même si au final, ils ne sont pas en conflit total, il y a tous ces petits désaccords – minimes pour la majorité des gens mais qui prend avec eux des perspectives énormes. Sauf que là, un nouveau sujet vient s'ajouter aux autres, un sujet beaucoup plus important et concret – son petit ami. Que Kendra n'aime pas Dimitri n'est une surprise pour personne, ça tombe sous le sens – surtout si on oublie leur dispute clairement trop enfantine pour deux personnes censées avoir des postes aussi importants. Que Hippolyte l'apprécie, c'est au contraire la surprise de l'année – voire de la décennie.

L'anglais n'est pas stupide, il sait très bien ce que pensent certains de ses collègues dans son dos sans jamais leur en parler – il se fait manipuler, cette relation n'est qu'une nouvelle idée du ministre pour se mettre la gazette dans la poche – et il regrette un peu que les gens puissent penser ça de lui. Malgré sa relation avec le russe, il reste le plus professionnel possible, ne parlant jamais de son copain au bureau, et faisant attention à ce que rien de ce qui se passe dans sa vie privée n'interfère avec la qualité et le contenu de ses articles.

— Écoute Ken, je sais qu'il s'est passé des choses entre vous mais oui, Dimitri peut être gentil. Il soupire avant d'avaler une nouvelle gorgée de café. Il remarque que Kendra et Automne partagent le même point de vue au sujet de son copain – et ça bien que la française reste plus réservée à ce sujet, peut-être pour ne pas le blesser. Et je lui ai rien fait, dit-il en levant les yeux au ciel. Je sais pas pourquoi il est comme ça avec toi, mais- Il n'est pas sûr qu'il devrait terminer sa phrase – il a un peu peur de paraître ridicule. Il est juste adorable quand on est tous les deux, vraiment. Il est gentil, attentionné. Bon parfois, au début il faisait exprès de me mettre mal à l'aise, mais maintenant ça va mieux et je te jure que c'est juste le copain parfait. Hippolyte baisse les yeux. Il n'est pas sûr que ce qu'il vient de dire convient à l'idée que Kendra peut se faire de Dimitri – ou même, l'idée que l'humanité peut se faire du russe un peu trop extravagant. Mais c'est comme ça que le voit le bobo anglais, quoi comme tout peut arriver.

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Kendra perds la tête. C'est ce qu'elle se dit lorsqu'elle fixe Hippolyte en train de dire que Dimitri est le « copain parfait. » Non, c'est un rêve, il ne peut pas être en train de prononcer des mots pareil – elle est en réalité encore à l’hôpital, en état de choc et son esprit lui fait imaginer des choses délirantes, non ? Ou alors, elle est en train de devenir folle, d'avoir des hallucinations – elle se voit déjà en parler à Raphaëlle, lui expliquer que ça ne va plus...
Heureusement – ou malheureusement,  pour elle, non, c'est bien la réalité, son cerveau ne lui joue pas encore de pareil tour.  Elle manque de lâcher son café sous la surprise. Kendra toussote pour camoufler le trouble dans lequel elle vient d'être plongé en quelques secondes par les deux petits mots d'Hippolyte.

« Ah oui. Copain parfait. C'est pas vraiment le genre de mot que j'aurais collé à Dimitri. J'imagine que tu dois avoir « révéler » ce qu'il y a de bon chez lui. Ou alors tu illustres parfaitement la phrase « l'amour rends aveugle »... Pardon, ce n'est pas très gentil. » se reprends rapidement l'asiatique avec une grimace, consciente que ce n'est pas le genre de choses à dire et qu'elle risquait de rapidement dépasser les limites. « C'est vraiment pas contre toi, je t'assure. Je ne veux pas me mêler de ce qui ne me regarde pas – tu sais bien que ce n'est pas mon genre. Désolée.  » Elle soupire avant de prendre une gorgée de café.

Elle a beau faire un effort – essayer de voir Dimitri sous un autre angle, elle n'arrive pas à le voir autrement que comme un trentenaire un peu puéril aux remarques assassines. C'est peut-être qu'il a visé un peu trop juste que Kendra mène cette guerre stupide envers lui, que leurs enfantillages ont pris un tour un peu trop sérieux pour qu'elle puisse passer l'éponge. Mais dénigrer le petit ami de son collègue n'est pas vraiment dans ses hobbies, ni quelque chose qu'elle apprécie.

« J'aurais pas dû te poser ce genre de questions, désolée Hippolyte. S'il est gentil et attentionné avec toi, j'imagine que c'est l'important ? » fait-elle avec un froncement de sourcil, s'excusant à nouveau.

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Il relève les yeux, un peu choqué. Kendra et lui ont beau ne jamais être sur la même longueur d'onde, il n'aurait pas imaginé un seul instant que son amie oserait lui dire quelque chose pareil. Elle n'est pas la seule ici qui désapprouve sa relation avec Dimitri, mais il trouve qu'elle abuse en lui faisant ce genre de remarque. Il tente de rester discret sur le fait de sortir avec le ministre – déjà pour des raisons professionnelles, il est quand même analyste politique – alors il trouve ça vraiment déplacé qu'elle lui fasse des remarques après avoir elle-même lancée le sujet. L'amour rend aveugle – une phrase qui est loin de passer pour l'anglais qui se sent particulièrement blessé. Il sait que Dimitri n'est pas vraiment parfait, il a une centaine de défauts bien marqués mais c'est ce qui fait sa personnalité.

— Ce n'est pas ton genre, tu es sûre ? Parce que je trouve que tu le fais très bien pourtant, lâche-t-il en se levant. Il abandonne son journal pour attraper un papier qui traîne sur son bureau avec un post-it indiquant à photocopier au marqueur rouge. Il n'avait pas prévu de le faire maintenant – il envisageait presque d'y envoyer sa stagiaire tellement ce genre de tâche le fatigue et ça bien qu'il ne soit pas partisan de leur donner ce genre de besognes – mais il change très rapidement d'avis si ça lui permet de ne pas rester avec l'asiatique plus longtemps. Sérieusement Ken ? L'amour rend aveugle ? Est-ce que moi je t'ai déjà jugé une seule fois sur ta vie sentimentale ?

La réponse est évidemment négative – ça fait partie des valeurs que ses parents lui ont inculquées. Il ne se serait jamais permis de faire la moindre remarque à son amie, ce qui peut parfois paraître un peu difficile. Une personne polyamoureuse, ça ne court pas les rues même dans les temps actuels. Mais il a toujours respecté les choix de sa collègue, et il aurait aimé qu'elle en fasse de même. Il ne demande pas forcément du soutien dans cette affaire, juste que ses proches ne se mettent pas non plus à le juger.

— Et oui, il est gentil et attentionné avec moi. Et c'est la première personne à l'être, alors je te demanderais juste de respecter ça. Il pose la main sur la poignée de la porte en soupirant. Je vais faire des photocopies. Et encore merci pour le café, dit-il en quittant la pièce.

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