Les bars de Londres n’étaient pas une plaie à écumer pour la rousse ; elle s’en était faite la promesse, elle retrouvait Roxy une fois libre.

Pour être tout à fait honnête, elle aurait aimé fêter son retour de manière triomphante. Elle aurait voulu le crier à la face du monde, étaler sa joie sous le nez des plus amers. Mais Daphné Greengrass ne pouvait à l’heure actuelle se contenter que d’une joie sobre et contenue tandis qu’elle retrouvait les trottoirs pavés du Londres sorcier, qu’elle respirait l’air frais des rues sans craindre d’être observée ni traquée. Elle n’avait plus à rester enfermée dans la demeure du traître Rougemont, elle n’avait plus à se cacher des autres, elle n’avait plus à attendre la tombée de la nuit pour pouvoir exister un tant soi peu. Plus réjouissant encore, Daphné allait pouvoir retrouver les rares individus qui lui étaient profondément chers. Et dans son esprit revigoré par cette renaissance, la rouquine voyait danser les visages de Roxy Wells et Galaad Stomby.

Elle avait particulièrement pensé à eux depuis son enfermement provisoire et forcé. Cet isolement, loin de sa seconde famille – les Mangemorts – mais aussi loin d’eux l’avait endurcie, rendue plus amère. Elle avait cultivé sa peine avec la même intensité que sa rancune à l’égard de ceux qui étaient responsables de son exclusion. Elle avait soif de vengeance mais plus que tout, elle avait besoin de retrouver des repères, des piliers qui lui avaient effroyablement manqués durant sa rétention forcée. La rouquine n’avait jamais imaginé que la présence de la blondinette peroxydée dans son entourage plus ou moins proche puisse être à ce point vitale – et maintenant qu’elle en avait la possibilité,

La rousse savait qu’ils étaient là. C’était toujours dans les bars de cette rue que ses deux anciens compères de maison avaient l’habitude de traîner et de fêter la moindre des occasions. D’ailleurs à cette période de l’année, il y avait une très forte possibilité que les deux ex-élèves de Poudlard soient fortement occupés à vider quelque bouteille de Whisky-Pur-Feu pour un prétexte quelconque, même fallacieux. Et il se trouvait que dans la mémoire parfaitement fraîche de Daphné, la majorité de la plus-si-jeune Wells était une excuse suffisante pour faire la tournée des bars.

L’enseigne d’un de leurs repères favoris lui fit de l’œil. Son intuition lui soufflait que cette fois-ci, c’était la bonne. Et il y avait tout intérêt. Daphné ne craignait aucun ressentiment quelconque de la part de sa meilleure amie, et encore moins de Stomby qu’elle savait parfaitement maître de ses émotions. Elle était même loin d’imaginer potentiellement la moindre réaction négative de la part d’un de ces deux-là.

Arrivant dans leur dos à pas de loups, la Mangemorte se planta entre eux deux comme un cheveu dans la soupe, jouant les serveuses sous couverture sorties de nulle part. « Si vous ne consommez que ça il va falloir libérer la table, mes mignons. » Elle savait pertinemment qu’il y avait des entrées bien plus classieuses et dignes à faire mais Daphné s’en moquait éperdumment. Elle était, pour être totalement honnête, infiniment trop heureuse d’avoir retrouvé sa liberté et de pouvoir surtout reparler à Roxy et à Galaad. Même s’il y avait fort à parier pour que Roxana décide de lui faire subir le drama de l’année – et que Galaad allait rester d’un flegme incroyable.

Si Galaad paraissait sincèrement heureux de la revoir surgir de nulle part, la blonde peroxydée, elle, n’avait pas la même tempérance. Elle se jeta littéralement sur elle, et ce n’était aucunement pour la serrer dans ses bras au vu de l’agressivité débordante qui émanait d’elle. « Roxy calme-t- » voulut apaiser la rouquine mais ce fut l’intervention du seul homme parmi elles qui empêcha la cadette de frapper l’aînée au visage.

Daphné ne s’était guère attendue à des épanchements sentimentaux profonds de la part de Roxana Wells. Mais au moins avait-elle minimisé la colère et la rancœur que celle-ci pouvait avoir envers elle. Apparemment elle s’était trompée, il allait falloir bien plus que quelques tequilas citrouille pour que la sorcière accepte un retour à la normale. La rousse rajusta légèrement son débardeur qui avait subi quelques froissements et souffla. « Merci … » murmura t-elle à l’adresse du brun avant de saluer sa proposition de trève avec un réel soulagement. Ils n’étaient pas supposés se battre, ils étaient là pour fêter son retour, se retrouver. La Mangemorte avait oublié en quelques mois à quel point les amis n’étaient néanmoins pas des pions manipulables obéissant à nos volontés docilement. « Avec plaisir, oui. Dis donc je pensais pas déchaîner les foules … » osa t-elle malgré tout plaisanter du bout des lèvres, indécrottable comme toujours.

Alors que l’irlandais l’enjoignait à s’asseoir, l’ex-Serpentarde s’installa, faisant face à Roxy. Inutile de chercher à décrypter l’expression de son visage pour comprendre qu’elle avait fatalement besoin d’explications. Même si ce n’était pas ça qui allait la faire changer d’humeur du tout au tout, elle n’accepterait rien de sa part, pas même un verre d’alcool, tant qu’il n’y aurait pas une réponse au « pourquoi ». Ce que Daphné comprenait et finit par accorder aux deux amis qui se tenaient là, ce soir, devant elle. « Roxy, t’as toutes les raisons de vouloir me frapper – en fait, vous en auriez tous les deux. Je n’ai pas donné de nouvelles pendant plusieurs mois mais croyez-moi si j’avais pu, je l’aurai fait. Simplement … » La serveuse se passa une main dans les cheveux, hésitante sur la façon de formuler la vérité : j’ai été balancée par un abruti d’Auror et ça a failli me coûter cher. « Simplement le Ministère me suspectait. » Concis et vrai sans trop inquiéter les foules. La jeune femme ne laissa à personne le temps de s’indigner ou de la bombarder d’angoissantes interrogations. « Le temps que les choses se tassent, il fallait que je disparaisse. Si qui que ce soit dans mon entourage avait eu des infos, ils auraient été vous voir. Et ils ne prévoyaient pas de débarquer avec des paquets de Chocogrenouilles et de gentilles questions. » Aussi surprenant que cela pouvait être, cette révélation prouvait bien quelque chose : la jeune Greengrass, aussi égoïste pouvait-elle paraître, n’avait pas tout à fait réfléchi que pour elle-même pendant sa fuite.

Elle avait baissé la voix et fait attention à ce que personne ne les écoute durant sa tirade. Maintenant que la messe avait été dite, elle reprit une voix égale et une attitude Daphnéenne, comme si tout ceci n’était qu’un vague souvenir dont ils pouvaient maintenant joyeusement plaisanter. « Mais maintenant c’est réglé, ok ? Et je suis juste heureuse de vous retrouver. Je viens d’me taper la moitié des bars de l’avenue pour vous retrouver. Et pour savoir ce que c’est que cette histoire de s’être barré de Poudlard avant la fin de l’année. » La rouquine jeta un coup d’œil mi-amusé mi-curieux vers Galaad avant d’héler un des employés du bar. « Tournée de shots pour moi, et aussi un cocktail au choix de Madame pour qu’elle puisse me le jeter dans la tronche si ça peut l’arrêter de me regarder avec cette tête. Je te dois bien ça après tout vu que tu as été dans mon appart risquer ta vie pour mes plantes … » Daphné n’allait pas jouer les mères en colère et protectrices, mais elle avait bien cru défaillir en réalisant que Wells l’intrépide avait été jouer dans la jungle hostile qu’était devenu son logement pendant son absence – le genre de traquenards qui aurait pu aisément ne faire qu’une bouchée d’une ado maigrichonne.

Ecouter Galaad parler de ces derniers mois lui paraissait surréaliste tant leurs péripéties tranchaient avec les siennes. Il lui rappelait à quel point les choix de vie qu’ils avaient fait les écartaient inexorablement. Elle avait pris la direction du danger sans sourciller – et ne le regrettait d’ailleurs même pas -, tandis qu’eux étaient encore jeunes et fous, insouciants, loin d’une quelconque menace. Ils étaient à la fois bénis par la chance et plus que jamais sur la brèche ; et c’était sa responsabilité à elle qui était engagée s’il leur arrivait quoi que ce soit.

Daphné tenta de l’ignorer, se concentrant sur l’enthousiasme contagieux que diffusait le jeune irlandais. C’était dans ce genre d’instant que l’on prenait pleine conscience de l’importance des siens, et la rouquine en avait presque envie de leur dire qu’ils n’avaient plus jamais à s’inquiéter, que tout serait plus beau et plus vert qu’avant, qu’ils étaient toujours ces trois ados invincibles de Poudlard. Un sourire amusé traversa ses lèvres alors que Stomby expliquait le plus aisément du monde comment il avait décidé d’envoyer paître toute une administration magique. « Vraiment ? Ca paraît simple, dit comme ça. » La nonchalance de son aîné ne la trompait qu’à moitié : il savait parfaitement qu’il n’aurait pas du le faire, tout comme il était parfaitement réaliste sur l’intérêt de rester une année supplémentaire dans un institut magique où il sentait qu’il perdait son temps. L’excuse des Green Brothers fit légèrement hausser les sourcils à la jeune femme – le souvenir de cet idiot de Lynch n’était pas pour la réjouir, même si bien heureusement il restait son ami Owen pour remonter le niveau. « Ah, oui, le groupe de musique avec Balthazar. » Il y avait un goût d’irréfléchi et de provocation dans la décision de Galaad, mais Daphné n’avait pas été là pour agir, et elle ne se voyait pas en mère moralisatrice ce soir. Elle n’avait pas voix au chapitre sur ce coup, et se contenta donc d’approuver l’idée de faire la fête – rien de tel pour se changer les idées. « Ne m’en parle pas. Je … »

Quelque chose dans le regard de son ami avait changé, et c’était si inhabituel que la jeune femme se tourna vers l’objet de cette attention en même temps qu’elle s’interrompit. Roxana Wells était à l’origine même de ce silence soudain entre eux trois. Les traits de son visage étaient ostensiblement fermés, sa voix était tenace, agressive et implacable. Et pourtant ses yeux pleuraient. Des larmes coulaient sans bruit ni trémolos, comme si elles n’étaient pas importantes, comme si elles n’étaient qu’une illusion.

C’était la première fois que Daphné la voyait ainsi. C’était aussi la première et douloureuse fois qu’elle faisait pleurer sa meilleure amie, et la sensation n’était en rien plaisante. Elle avait envie de remonter le temps et d’inverser les choses pour ne pas avoir à subir cette sorte d’humiliation personnelle, mais au plus profond d’elle-même, la sang-pure n’était pas naïve : rien de tout cela n’aurait été judicieux. Si elle était restée près de sa meilleure amie, elle aurait signé et cautionné sa mort sans broncher. Et ça, c’était bien au dessus de ses forces.

« Rox’. » murmura t-elle doucement. La tendresse n’avait jamais été son fort et pourtant la voilà désarmée, débarrassée de cette carcasse de rudesse qu’elle avait coutume de porter. « Dis quelque chose. Même si c’est une insulte. » Un bref sourire tandis que sa main vient essuyer du bout des doigts une larme qui roule sur la joue de son amie blessée. « Je m’en veux. Je sais que ce que j’ai fait n’était pas du tout correct. Mais je préfère encore ça plutôt que de prendre le risque inutile de t’exposer, toi ou Galaad. » Tant pis si Roxy devait la haïr pour ça. Elle attendrait le temps qu’il faudrait, le temps qu’elle comprenne et qu’elle accepte. Mais rien ne ferait revenir Daphné en arrière.

Le silence fut à nouveau coupé par l’arrivée du serveur qui déposa un mètre de shooters devant eux. « Le verre du retour ! » s’exclama finalement l’ancienne Serpentarde en posant trois petits récipients devant eux. « Je veux qu’on trinque. Les choses ont changé, et je ne suis pas prête de disparaître à nouveau. Alors à nous. » Un nouveau sourire chargé de promesses qu’elle aimerait pouvoir tenir et la jeune femme vida d’un trait le shooter. La brûlure de l’alcool effacerait celle du mensonge.