La musique résonne derrière eux et le rythme déchaîné des guitares électriques semble plutôt en harmonie avec la colère électrique qui palpite dans tout le corps de Victory. Elle entraîne le Batman de pacotille derrière elle, fendant la foule d’un air parfaitement déterminé – et surtout plutôt énervé. Elle sait qu’elle ne doit pas crier ni se donner en spectacle, elle n’y tient pas, mais il est hors de question que Basile échappe à la morale qu’il mérite amplement. Alors qu’ils se retrouvent finalement à l’écart de la foule dans un des recoins de la boîte, la brune se plante devant le super-héros, bras croisés, ironie mordante en bandoulière. « T’as passé de bonnes vacances ? Ah non c’est vrai, t’étais très occupé à ton boulot. Basile je te jure, si j’avais un verre dans la main il te finirait dans la tronche. » Elle ne ment pas, c’est une évidence.

« Sans rire, tu comptais me dire quand que tu étais en mission-suicide pour faire tomber la SEPPOM ? » Jamais, probablement, la réponse était toute tracée mais la rentière en avait trop sur le cœur pour se retenir complètement. Elle devait évacuer cette douleur, cette frustration d’avoir été trahie – à la fois quand Joy lui avait fait comprendre que Basile leur avait menti, et lorsqu’elle était tombée sur cette première de couverture à la Gazette du Sorcier sur les exploits de Flaversham … « J’arrive pas à croire que tu m’aies menti. J’aurais pu comprendre. Je suis pas la personne la plus fermée du monde … » Elle passe une main nerveuse dans ses cheveux, souffle, se reprend pour ne pas monter dans les tours.  Mais elle n’arrive pourtant pas à réprimer le naturel de ses insultes. « Putain je comprends pas pourquoi tu me caches des trucs pareils, je sais pas, on est amis, on peut se faire confiance non ?! Tu m’as prévenu pour Jessie, tu sais très bien que tu peux compter sur moi et j’étais inquiète, mais toi tu t’en tapes, tu vas même jusqu’à risquer ta vie pour menacer celle de ce connard de Rougemont – il n'en vaut vraiment pas la peine et tu sais très bien qu'il est dangereux … » S’il savait … Si elle savait. Parfois Victory pouvait se comporter comme quelqu'un d'affreusement possessif, mais c'était plus fort qu'elle.

Le silence – relatif – se réinstalle entre eux, l’anglaise finit par relever le menton et planter son regard sans vergogne dans celui de « l’Auror ». « Dis quelque chose. Dis-moi au moins pourquoi t’as agi de cette façon-là. »

Malgré lui, malgré toute l'ambiguïté de la situation, Lichuan ne pouvait pas s'empêcher de dodeliner légèrement de la tête en rythme avec la musique. Le fait que cela risquait de donner à Basile un air de connard blasé le poussa même un bref instant à exagérer le mouvement mais, très vite, il réalisa que Victory ne l'avait pas amené à l'écart pour se faire entuber en beauté. Il laissa la foule se refermer derrière eux, se demandant distraitement ce qu'elle lui voulait ou, plutôt, ce qu'elle voulait à Basile ainsi que la meilleure manière de s'en sortir. Il songea qu'elle avait sans doute percé à jour le mystère de son costume et si cette perspective ne suffit pas à allumer la moindre étincelle de panique en lui, il ne doutait pas qu'il était dans ce cas bon pour une sacrée engueulade, chose qui l'ennuyait. Après tout, l'agacement et la frustration de la jeune femme étaient presque palpables et il ne comprenait pas pourquoi ces sentiments seraient dirigés vers Basile.

Cependant, à la place des reproches auxquels il s'était attendu, ce fut une ironie mordante qui s'abattit sur lui. Il la dévisagea avec une expression indéchiffrable, son étonnement cédant rapidement la place à une curiosité clinique, alors qu'il devinait que ces paroles venimeuses cachaient une affection sincère. Il était bien placé pour savoir que c'était ainsi que Victory exprimait son inquiétude. En gueulant. Oh oh. Ses lèvres s'étirèrent en un sourire de gamin malicieux, faisant paraître Basile hypocrite mais, franchement, il s'en moquait. Pire que ça même, plus Basile lui semblerait odieux, mieux Lichuan se sentirait. Comme un enfant jaloux de voir apparaître un petit frère dans sa vie, il supportait difficilement l'affection qui existait entre sa meilleure amie et l'Auror qui lui servait de rival depuis ses dernières années à Poudlard.

« Tu es maladroite à ce point-là ? Au point de faire tomber ton verre sur le visage des gens ? persifla-t-il, ayant parfaitement compris la menace mais choisissant d'ignorer le second degré. » De plus, Basile, à ses yeux, n'était pas quelqu'un capable de comprendre les subtilités du langage. Il n'eut pas le temps de décrire à quel point ses vacances avaient été rafraichissantes, en effet, déjà la jeune milliardaire enchaînait, emportée par une colère légitime. Lichuan était intelligent et les enseignements de Sherkan l'avaient amené à connaître toute la beauté et la fragilité de la manipulation. Parce qu'il ne savait pas quelles bêtises l'Auror avait osé proféré à la brune, il choisit simplement de dire : « Je devais garder le secret. Pour éviter les fuites éventuelles. » Il ne sut pas résister à la tentation d'ajouter : « On m'a dit de prévenir uniquement les personnes de confiance. » Basile n'avait que lui-même à blâmer : il était celui qui, après tout, lui avait dit de ne pas impliquer Joy ou Victory. De plus, il était celui qui prétendait mieux travailler en solo. Ce n'était certainement pas un terreau favorable à la construction d'un couple, n'est-ce pas ? Mieux valait prévenir Victory tout de suite.

Il aurait fallu être aveugle pour ne pas remarquer l'air troublé de Victory et, un instant, il ressentit une ombre de culpabilité. Il l'observa, son regard chargé de mélancolie qui sur le visage de Basile fit apparaître un air de cow-boy solitaire un peu comique. « Je ne suis pas sûr que tu puisses comprendre... » Elle va me gifler, c'est sûr, songea-t-il. Tu me paieras ça, Flaversham. Elle sait où frapper pour faire mal, cette nana. « Je ne peux pas t'expliquer. Mais il faut que tu saches que c'est important, ça va même au-delà de Rougemont, c'est... » Mince, qu'est-ce qu'un idéaliste convaincu à la vision du monde manichéenne comme Basile pouvait dire pour justifier ses décisions aussi spontanées qu'idiotes ? « C'est mon devoir. Dès que j'ai choisi d'emprunter ce chemin, je me suis senti délivré. Je suis investi d'une mission, Victory. Si je suis seul dans la tempête, c'est pour tous vous protéger. » Lichuan se promit silencieusement d'enlever un jour un journaliste pour le forcer à écrire sa version de l'histoire. Il n'était pas attiré par la gloire mais hors de question de laisser Basile récolter tous les lauriers. Cet imbécile n'en méritait pas tant et il méritait encore moins l'affection de Victory.

« Je me moque des risques que je prends. Car c'est comme ça qu'on reconnaît les vrais super-héros. » Sachant qu'il atteignait les limites de la patience de son interlocutrice, il déclara solennellement : « Because I'm Batman. »
Il espérait sincèrement qu'elle allait vouloir tuer Basile. Alors cela serait parfait.

Première grande surprise : Basile Flaversham avait tout l’air d’être parfaitement heureux de se faire engueuler. Si la jeune femme s’était attendue davantage à ce qu’il se défende ou qu’il tente de l’apaiser, elle n’avait pas imaginé une seule seconde qu’il … sourirait ? « Je rêve ou ça te fait marrer ? » Il ne pouvait pas sincèrement se gausser comme un crétin sous son nez, sans se départir de ce flegme nouveau qu’il n’avait pas. Comme s’il avait choisi ce soir comme son soir, celui où il se foutrait de tout et prendrait chaque critique à la légère, Basile avait tout l’air de s’être enfilé la moitié du bar à champagne ou de s’être pris un bon gros coup sur la tête – en tout cas, il était mal parti pour retrouver ses faveurs à ce rythme. Et plus il parlait, plus ce qu’il pouvait dire ne lui ressemblait pas. La rentière avait la sensation d’atterrir dans un monde parallèle.

Le temps des excuses venait de sonner et celles-ci avaient un arrière-goût désagréable, similaire à celui du mensonge. « Les fuites ? » Incrédule, elle répéta les mots comme si elle ne les comprenait pas. En réalité, Victory commençait de plus en plus à sentir son sang bouillir. Elle allait déchanter. Elle allait le tuer – ou peut-être pas, après tout annihiler un Auror n’était pas nécessairement la meilleure façon de pérenniser son avenir. L’option demeurait cependant de plus en plus tentante au fur et à mesure que Batman lui énonçait tranquillement que seuls les gens fiables méritaient de savoir. Ca, c’était plus qu’il ne lui e fallait pour la faire rager, et elle éclata d’un rire un peu trop hystérique pour ne pas laisser présager de la suite flamboyante qui s’annonçait. « Donc tu me fais pas confiance. Super, Basile. C’est un chouette cadeau d’anniversaire. » Dommage, vraiment, dommage qu’elle n’ait pas une bouteille entière de whisky à lui envoyer à la figure.

Basile Flaversham, si t’as envie de te manger mon poing dans la tronche, continue comme ça et je te jure que je t’empêcherai définitivement de créer une génération de Flaversham Junior, parce que crois-moi, mon genou est franchement en train de me démanger. « Tais-toi. Tais-toi tout de suite, parce que je te jure, t’es en train d’aggraver ton cas. » Elle parlait vite, si vite, trop vite pour pouvoir réprimer la nervosité qui suintait de ses mots. Elle avait sérieusement besoin de se calmer, sauf qu'elle avait l'impression de n'avoir rien d'autre pour l'aider que le néant. « Arrête de jouer au héros espèce d’abruti ! Je me moque que ça aille au-delà et puis … » Elle baissa d’un ton, sentant quelques regards se diriger vers eux teintés d’une curiosité toute naturelle – si Victory n’était pas suffisamment alcoolisée pour vouloir se donner en spectacle, elle ne tenait pas non plus à inquiéter ses invités. « Bon sang c’est tout ce que t’as comme justification de merde ? « Je suis Batman » ? » La blague avait assez duré. Il pouvait se prendre pour un super-héros moldu tat qu’il le voulait dans ses rêves d’adolescent débile, mais qu’il y croit à ce point et qu’il en use comme un prétexte tout à fait légitime, la brune refusait catégoriquement d’avoir à gérer un tel délire infantile. « Tu prends ça pour un jeu ? Joy s’est faite un sang d’encre ! » Et moi aussi sombre empoté, mais ça évidemment tu t’en fous, tout ce qui compte c’est tes conneries de chauve-souris … « Si je l’avais pas vue, si elle m’avait pas dit que t’étais soi-disant en vacances, tu serais encore en train de me raconter n’importe quoi ! » S’il avait l’aplomb de le nier, nul doute qu’il se mangerait une gifle. Il n’aurait pas fallu beaucoup plus de toute manière pour déclencher ses envies de claques.

Sans lui laisser le temps de pouvoir sauver la face, l’anglaise poursuivit, des grondements pleins de fureur contenue dans la voix.« Et t’oses t’afficher dans la Gazette, putain … Non mais tu réfléchis à ce que tu fais ?! C’est comme si tu te baladais avec une cible géante rose fluo sur toi ! J’ai déjà perdu Jessie, t’as pas le droit de faire ça. C’est dégueulasse, c’est égoïste. » Tant pis s’il s’offusquait qu’elle lui reparle de son meilleur ami. Il fallait qu’il se ressaisisse, qu’il fasse la paix avec l’ancien Poufsouffle ou qu’il crève tout simplement l’abcès, mais Victory avait terminé de prendre des pincettes avec Basile dès lors qu’il s’agirait du cas Joyce. « Je t’en veux Basile. Clairement. Au cas où tu l’aurais pas compris, c’est pas avec un sourire d’abruti que tu vas te rattraper. Je suis pas une de tes dindes niaiseuses. » Ca, c’était pour le simple plaisir mesquin de lui faire intégrer qu’il avait tout intérêt à la jouer subtilement et franchement, sinon il valait mieux qu’il s’en aille de suite.

Elle allait le tuer.
Lichuan n'avait jamais été aussi heureux.

Extérieurement, il faisait tant d'efforts pour se retenir de sourire (Je rêve ou ça te fait marrer ? était définitivement quelque chose qu'elle aurait pu dire à Lichuan) qu'il était certain d'avoir l'air constipé. Intérieurement, il laissait échapper des éclats de rire hystériques qui ressemblaient étrangement au ricanement moqueur d'une hyène. Mais c'était plus fort que lui. Tout était plus fort que lui. Les insinuations meurtrières se succédaient sous son crâne sans qu'il puisse parvenir à les caser : Victory ne lui en laissait pas l'occasion. Peut-être que pour son intégrité physique, c'était mieux ainsi. Mais Lichuan ne vivait que pour jouer avec le feu. Alors le fait que la jeune femme se contente de répéter, furibonde, ses paroles et d'insuffler à ses réparties toute sa rancœur et son amertume, cela ne le satisfait qu'à moitié. Merlin que ce couple risque d'être ennuyant lors de ses futures disputes. Une chance que je sois là pour empêcher cela d'arriver, songea-t-il distraitement, profondément content de lui-même.

« Donc tu me fais pas confiance. Super, Basile. C’est un chouette cadeau d’anniversaire. » Oubliant momentanément son rôle, Lichuan, comme un enfant indigné, voulut rétorquer qu'il lui avait offert un cadeau d'anniversaire. Il avait décoré sa maison (bien qu'elle soit aussi la sienne depuis plusieurs mois) et préparé son petit-déjeuner. Sans doute, non, bien sûr que cela ne comptait qu'à moitié puisque, de toute façon, elle ne l'avait pas mangé, craignant une infection. La confiance règne ! avait-il rétorqué, faussement vexé, avant de piquer sa carte bleue, clamant qu'il ne la lui rendrait que lorsqu'elle aurait accepté de faire du shopping avec lui tout en susurrant que c'était le seul cadeau qu'il daignerait lui faire. Sûrement, entre ses gentilles intentions et les sous-entendus dégueulasses de Basile/Lichuan, elle verrait qui était vraiment là pour elle, n'est-ce pas ?
(Dans ces moments-là, Lichuan avait l'agréable impression d'être un génie.)

Il ouvrit la bouche pour dire quelque chose mais, déjà, Victory lui intima de se taire alors, rôdé par des années d'expérience, il obtempéra. Puis, précisément parce qu'il était rôdé par des années d'expérience, il déclara quand même : « Franchement, je ne sais pas à quoi tu t'attendais. C'est ce que je fais et je le fais bien. J'ai pas besoin que tu t'inquiètes pour moi. » Le mythe du bad-boy était usé jusqu'à l'os et il n'y avait que dans les films qu'il ne faisait pas office de tue-l'amour. Lichuan/Basile sourit, arrogant.

Parce que Lichuan ne voyait que vaguement qui était Joy, il prit son temps pour répondre : était-ce la copine taularde de l'autre idiot, celle qui avait sûrement fait quelque chose d'horrible comme cuisiner les yeux d'un homme important en brochette pour sa crémaillère, mais dont il s'obstinait à dire qu'elle était aussi innocente qu'une brebis ? Certainement. « Joy peut se débrouiller, dit-il simplement, jugeant qu'il ne se mouillerait pas trop ainsi. » Après tout, si elle avait utilisé les globes oculaires d'un mec pour son goûter, elle pouvait aussi gérer l'impulsivité idiote de Basile.

« Tu me vexes, poursuivit-il, l'air faussement ennuyé. Je ne te raconte jamais n'importe quoi. » Hypocrisie, check. Quoi d'autre, maintenant ? Il voulut continuer dans son élan mais l'évocation de Jessie le déstabilisa un moment, effaçant toute fausse trace de complaisance sur son visage, mais pour des raisons différentes que celles qui motivaient Basile. Il se mordit les lèvres avant de tourner la tête, comme il trouvait l'air furibond de Victory soudain beaucoup trop difficile à supporter.

S'il y avait bien une chose qu'il était prêt à reconnaître au sujet de Basile, c'était qu'il n'était pas égoïste. Lui l'était. Monstrueusement, douloureusement égoïste. Il devait faire attention s'il ne voulait pas que la fragile frontière entre sa vraie identité et le masque qu'il arborait s'efface. Mais il avait pris tellement l'habitude de prétendre qu'il ne savait même plus où il en était actuellement. La Gazette. Vic avait évoqué la Gazette et Lichuan se remémora l'après-midi passé sur les sièges usées de la voiture débile de Basile, en train de lui enseigner l'art de convaincre, l'art d'accuser, de condamner. Ce que lui avait enseigné Sherkan des années auparavant.
Quelque chose de tangible à laquelle se raccrocher.

« Peut-être que j'ai envie qu'on me trouve, il répliqua dans la pure tradition des machos britanniques. Régler son compte à tous ces salauds. Quand même, ça me paraît plus important que tes sentiments. »
Rien dans ses propos n'était subtil, parce qu'il imaginait difficilement Basile être subtil. En vérité, Basile était même un monstre de non-subtilité et cela le rendait à la fois plus simple et difficile à interpréter, parce que c'était Victory.
Et il ne savait rien de ce qui les rassemblait, juste que ça lui faisait peur.

Basile n’avait jamais été doué d’une intelligence et d’une finesse redoutables, mais son comportement de ce soir était plus caricatural et agaçant que jamais. Victory n’arrivait pas à deviner si c’était l’ambiance du Deus Ex Machina ou le fait qu’elle l’ait sermonné qui l’avait à ce point fait monter sur ses grands chevaux. Maintenant qu’il y était campé, il n’avait plus l’air de vouloir en descendre et sortait même plutôt la grande cavalerie.

« Basile, je te reconnais pas. » souffla t-elle, les yeux perdus dans le vide, regardant sans voir cet homme qui aurait du être un pilier pour elle, un soutien indéfectible. Il n’aurait rien du lui cacher, il le savait. Il avait toujours su : elle détestait qu’on lui mente. Il aurait du s‘en rappeler, lui plus qu’un autre. « C’est pas toi. Tu ne peux pas réellement penser tout ce que tu dis. On dirait que quelqu’un t’a retourné le cerveau. » Elle avait la sensation qu’il lui jouait une mauvaise farce et qu’à tout moment il allait enfin lui annoncer qu’il plaisantait et qu’il ne pensait pas un mot de ce qu’il avait pu proférer. Sauf que tout cela ne venait pas. Rien ne venait si ce n’était un amoncellement de conneries et de sottises de sa part, qui n’avaient qu’un but : la faire purement et simplement sortir de ses gonds.

Qu’il se moque de ses inquiétudes, qu’il lui assure qu’il ne racontait jamais rien de faux, qu’il aille même jusqu’à dire qu’il voulait qu’on lui tombe dessus. L’héritière pouvait tout encaisser, elle pouvait se prendre tout cela dans la figure sans trop broncher. Mais quand il venait à mépriser ouvertement son attachement, la jeune femme perçut quelque chose changer en elle. Une tension qui lâchait, un battement trop fort, un coup trop bien envoyé dans son orgueil. Touché, coulé. « Peut-être. » se mit-elle à balbutier, tout à coup tremblante. Sans le remarquer, la provocation de Basile était tellement effective qu’elle y réagissait physiquement, son corps allant jusqu’à ne plus pouvoir contrôler sa fureur. « Ou peut-être que non. Peut-être que pour une fois ça vaudrait le coup que t’arrêtes de faire l’abruti et d’écouter ce que je te dis. Ok, j’ai vraiment envie de t’en coller une, et en même temps … » Elle grondait, feulait, et décida de lui lâcher violemment, en pleine figure, comme une insulte qui en était tout sauf une. « Je tiens à toi. Vraiment. Peut-être même un peu trop si tu veux tout savoir. Peut-être bien que je pourrais te balancer que je t’aime et que je mens pas, moi. » Etait-ce le bon moment pour se lancer dans cette discussion ? Avait-elle vraiment dit ça d’un ton et d’une façon si méchante et abrupte qu’on ne pouvait être sûr qu’elle le pensait ? Rien n’était moins sûr. En tout cas, Victory se surprenait elle-même de pouvoir être aussi agressive avec lui. « Alors ? Est-ce que ces sentiments-là aussi valent moins le coup ? Ou est-ce que tu préfères te barrer comme un lâche pour aller sauver la veuve et l’orphelin ? » Au fond, elle le savait : Basile était tout bonnement capable de se réfugier dans ce rôle qu’il avait adopté depuis le jour où il était devenu Gryffondor – et qu’elle l’avait rencontré – plutôt que de l’affronter elle. Parce qu’il était sûrement au moins terrorisé qu’elle par l’idée d’aborder ce sujet.

Et pourtant, intérieurement, elle implorait l’univers de ne pas le voir se dérober sous ses yeux.

Si elle, Victory l'impétueuse, était déstabilisée par le simple fait qu'elle ne parvenait pas à reconnaître Basile, Lichuan était plus que vexé par la manière dont elle l'implorait presque, insufflant à ses paroles une amère déception là où aurait dû seule régnait l'indignation. Son regard avait cessé de chercher le sien — ses yeux ne lançaient plus d'éclairs car ils avaient perdu leur cible et, sans même le réaliser, elle mit intuitivement le doigt sur ce qui clochait chez lui. Il n'était pas Basile ; pour être honnête, le corps, le visage et la peau de Basile étaient pour lui comme un costume trop étroit parce que l'homme en personne se montrait toujours trop intègre, trop droit et trop brave — tout ce qu'il ne serait jamais, par faute d'occasions et d'ambition. Quant à Victory... Il ne put s'empêcher de penser qu'elle vouait une si grande estime à Basile qu'elle ne tarderait sans doute pas à connaître une déception plus profonde que celle qu'il était en train de lui faire subir, car celle-ci serait réelle au moins.

La jeune femme, d'ailleurs, était en train de perdre ses moyens. Les mots se bousculaient au bord de ses lèvres. Son corps frêle était parcouru de frissons qu'il jugea incontrôlés. De rage, elle était remplie. On ne s'attaquait pas à l'honneur de Victory Willard sans conséquence ; contrairement aux Gryffondors qui se satisfaisaient d'idées nobles et préconçues comme raison, on disait que les Poufsouffles supportaient mal d'être trahis, parce que la confiance — et ce mot suffisait en lui-même pour expliquer la colère de l'ancienne Jaune et Noire.
Comme une Poufsouffle, elle parlait avec ses tripes et comme un Serpentard, il ne sut réagir en Gryffondor quand celle-ci avoua — [/i]insinua[/i] — aimer Basile. Rien que le fait d'être en face de la jeune femme lorsqu'elle prononçait ces mots suffisaient à le troubler, à brouiller la fragile frontière entre son apparence et la vérité. Parce que c'était stupide. Stupide et absolument pas réclamé. Il devina confusément que cette sorte de parodie de déclaration était la dernière carte que Victory voulait bien abattre et Lichuan décida alors qu'il était plus prudent de se retirer. Ne pas répondre à l'attaque était la pire des insultes à ses yeux.

Tout en classe et en finesse, et parce qu'il n'était pas dans les habitudes de Lichuan de paniquer, il déclara d'une voix légèrement plus aiguë que la moyenne :

« Je dois aller aux toilettes. »
Bien, peut-être qu'il avait un peu paniqué mais il ne demanda pas son reste et fila, se demandant vaguement comment elle interprèterait cette réaction pour le moins surprenante à ses paroles.