Merlin fait tourner la clef dans sa serrure, poussant au passage un véritable sourire de soulagement. La journée se termine enfin et même s'il adore travailler au salon de tatouage en compagnie de Willow, il est parfois bien heureux de pouvoir rentrer chez lui. Au programme, une soirée d'une simplicité à toute épreuve – commander une pizza et la manger devant un film bien drôle en compagnie de son colocataire et meilleur ami. Et pourtant, quand il entre dans le petit appartement londonien, un son qu'il reconnaîtrait entre mille vient troubler cette perspective si douce. Cam est dans sa chambre, jouant encore et toujours de la guitare. N'importe qui trouverait l'amour de l'asiatique pour l'instrument de musique génial – surtout que Merlin est mal placé pour faire la morale aux gens passionnés – mais l'anglais y émet quelques limites. Ça devient lassant d'entendre à longueur de temps les mêmes accords, les mêmes sons alors qu'il essaye d'écouter tranquillement autre chose. C'est encore plus chiant de devoir attendre que son colocataire lâche cette fameuse guitare pour lui accorder un peu de temps. Pour la blague, Merlin affirme qu'il est jaloux de cette Susan, prénom affectueusement donné par Cam à l'instrument, un acte qu'il a fortement désapprouvé. Sans prendre la peine de toquer, il ouvre la porte avec un air un peu désolé.

— Hey Cam. Bonne journée ?, dit-il avec un air blasé qui contraste nettement avec sa joie de vivre habituelle. Il sautille légèrement d'une jambe à l'autre, preuve qu'il est particulièrement gêné et qui donne sûrement à l'autre l'impression qu'il a fait une nouvelle bêtise. En même temps, il faut avouer que l'asiatique a un certain courage d'accepter de vivre avec lui. Il n'est pas simple tous les jours, sûrement durant ceux qui le séparent des prochaines vacances d'été – sans parler de toutes les conneries qu'il peut inventer aussi bien seul qu'avec sa partenaire de crime préférée. Je peux te parler s'il te plaît. C'est important. Pour moi, pour nous. Il baisse un peu la tête, repensant l'espace d'un instant à ce qu'il s'apprête à faire.

Le bruit de la clé dans la serrure le fait à peine relever la tête – Cam est bien trop occupé avec Susan. Susan n'est pas n’importe qui; c'est son âme-sœur, sa moitié, la seule personne qui le comprends sans qu’il n’ait besoin de dire un mot... Susan, sa guitare. Jamais un nuage dans la relation idyllique qu’ils entretiennent, fusionnelle presque. Exagéré ? Un tout petit peu – mais il est vrai que Cam et sa guitare sont inséparables, ou presque. Et à l’instant où Merlin passe le seuil de la porte, Cam est encore plongé dans on-ne-sait-quel-morceau de musique, presque religieusement. Il remarque à peine lorsque le brun entre dans la chambre. Dans sa petite bulle, il n'y a que lui et sa petite guitare.

Au bout de quelques minutes de silence, il daigne enfin  accorder un peu d’attention à son colocataire et meilleur ami – la deuxième personne la plus importante pour lui après Susan, donc. « Yo Merlin ! Plutôt oui, et toi ? » Cependant, il ne s’interrompt pas totalement, reportant tout aussi rapidement les yeux sur les cordes de la guitare aussitôt la phrase terminée.  Puis, après réflexion, il a un froncement de sourcil en remarquant non seulement l’agitation du brun, mais aussi le côté sérieux de la conversation – ce qui le fait relever le visage et poser Susan avec mille précautions à côté de lui, sur le matelas. Il y visiblement quelque chose qui cloche – simple plaisanterie ou réellement sérieux, aucun moyen de le savoir avant de poser la question. « Ça m’a l’air sérieux. Qu’est-ce qu’il se passe, tu pars dans un pays où c’est toujours l’été et tu veux me demander de quitter mon boulot pour t’y suivre ? » L’asiatique a un sourire amusé, pour alléger l’atmosphère qui n’est décidément pas celle que Merlin apporte avec lui habituellement. Ce n’est sûrement pas si grave que ça en a l’air, après tout ; ils sont quasiment aussi inséparables que … Cam et Susan, justement.

La scène qu'il a devant les yeux lui fait l'effet d'une bombe. La douleur est atroce – autant que si on lui annonçait qu'il devrait déménager dans un pays où les températures sont inférieures à quinze degrés toute l'année. L'anglais ne s'en remettrait pas, un peu comme de la vue de cet adultère. Chaque soir c'est la même chose. Alors qu'il rentre joyeusement du Chemin de Traverse, la tête pleine de choses à raconter à son meilleur ami, il se retrouve seul dans le salon alors que celui-ci préfère partager ses draps avec une autre. Susan – voilà le nom de sa némésis, de celle qui est parvenue à voler le cœur de son asiatique préféré. Ses formes prononcées n'ont rien à envier aux autres filles que Cam pourrait croiser au détour d'une rue, et parfois Merlin se demande si c'est pour cette raison que le vietnamien n'a plus d'yeux que pour elle. Il ne fait que jouer avec, la caresser pendant des heures pour qu'en sorte une douce mélodie si plaisante aux oreilles mais qui parfois parvient à déranger les voisins.

— Non. Tu crois vraiment que je tirerais cette gueule si c'était ça ?, demande-t-il à son meilleur ami un peu blasé. Celui-ci devrait très bien savoir avec le temps qu'il est bien plus excité quand il parle du plan Sex on the beach – autrement dit le plan qui consiste à déménager dans un endroit chaud à l'année en amenant avec lui Vanellope et Cam. Non, je veux te parler d'elle. Il chuchote presque, comme si Susan avait la capacité de les entendre. Merlin en est presque persuadé, peut-être parce que son meilleur ami en parle toujours d'une façon si humaine qu'il la croit capable de les espionner. Après tout, la guitare n'est rien d'autre qu'une créature du démon. Si elle est capable de séparer les deux amis pourtant si proches, elle doit pouvoir faire pire encore. Tu passes tout ton temps avec elle, on se voit plus. Ça remonte à quand la dernière fois qu'on s'est fait une soirée film à deux ? Être coincé dans un triangle amoureux avec son meilleur ami et la guitare de celui-ci n'est pas agréable, surtout quand on se retrouve de plus en plus éjecté pour ne devenir qu'un spectateur obligé de contempler le bonheur des deux autres. Tu avais dit que tu ferais des efforts, mais tu la fais forcément passer avant moi. Merlin a conscience d'être en train de faire la pire crise de jalousie du monde, mais intérieurement, il trouve ça très drôle.

S'il ne s'agit pas du plan Sex on the beach - si bien nommé par ailleurs – c'est que la situation est grave, très grave. Assez grave pour justifier l'air mortifié, brisé de son meilleur ami. Et la nouvelle tombe, doucement, mais aussi dévastatrice qu'une bombe. Elle. Cam sait très bien de qui Merlin veut parler, aucun prénom n'a été prononcé pour ne pas la vexer, mais tout le monde le sait. Merlin a encore du mal à accepter la présence envahissante de Susan dans la vie de Cam, et la place primordiale qu'elle y tient. Si quelque chose devait venir à bout de la relation des deux garçons, il faudrait sûrement blâmer celle que Merlin qualifierait sans pitié de briseuse de ménage. Le vietnamien prit alors un ton sérieux, se relevant du lit. « Je pense qu'on ferait mieux d'en parler en privé, tu ne crois pas ? » Surtout, loin des oreilles de la douce Susan ; c'est pourquoi il attrape délicatement sa bien-aimée et traverse la pièce pour la ranger dans sa housse, à sa juste place.

Le dos tourné à son meilleur ami, avec l'air dramatique d'un couple sur le bord de la rupture, Cam croise les bras, pousse un soupir. « Merlin... Quand est-ce que tu accepteras enfin que Susan est la femme de ma vie ? » Il se tourne pour faire face au brun, avec émotion. « Tu sais bien qu'elle demande beaucoup d'attention, et on s'est fait une soirée film il n'y as pas si longtemps, tu dramatises beaucoup trop la situation. » Il est quasiment certain que pas plus tard que la semaine dernière, ils avaient profité d'un moment tout les deux, sans l'ombre de Susan. Bien sûr, Merlin tient à faire tout un cinéma des moments qu'ils peuvent partager lorsque lui n'est pas là. « Tu sais que je t'aime, ça ne changera jamais mais... Si tu étais plus souvent à la maison, je n'aurais pas à me réfugier dans ses bras pour combler ma solitude ! » s'exclame-t-il finalement, avec autant de crédibilité d'un acteur récompensé.

Merlin lâche un soupir exaspéré. Les choses sont toujours comme ça, même quand il prend sur lui pour lui parler de quelque chose qui le blessent – lui parler de ses sentiments – il faut que Cam la fasse passer avant. L'anglais hésite un instant, s'interdisant au moment à pousser le cliché au point de faire une crise d'hystérie à son colocataire, même si celui-ci le mériterait amplement. Le vietnamien n'est jamais aussi doux avec lui .Quand il oublie sa serviette pour la cinquième fois de la semaine et qu'il demande à son meilleur ami de lui amener, celui-ci préfère lui jeter à la figure plutôt que de lui passer gentiment et de lui enrouler autour des hanches. Des exemples pareils, Merlin pourrait en avoir des centaines s'il en voulait, parce que dans le fond il le sait, jamais l'asiatique n'a été aussi prévenant avec lui – jamais il ne lui a porté autant d'amour.

— Non je crois pas, figure toi. Tu refuses toujours de parler devant elle, dit-il en croisant les bras adossé au cadre de la porte. Tu fais toujours tout pour la préserver, alors que tu piétines mes sentiments à longueur de temps. C'est blessant Cam, vraiment blessant. Merlin le regarde dans les yeux, l'air faussement sérieux. C'est ce moment que choisit son meilleur ami pour sortir la bombe. L'anglais recule un pas ou deux, le regardant choqué. Quoi ? Tu oses ? Entendre quelqu'un dire d'une guitare qu'elle est la femme de sa vie est assez inhabituelle, sauf dans cet appartement où les deux amis partagent une passion pour les scènes de ménages. La femme de ta vie ? Oh je vois. Tu as clairement tiré un trait sur nous alors ? Je compte plus du tout ? Merlin a les yeux humides alors qu'il baisse la tête – il s'entraîne depuis des années à pleurer sur demande, ce qui est assez utile dans ce genre de moments. Y'a pas si longtemps ? Tu veux dire il y a dix jours ? L'anglais frappe la porte avec son poing au moment où Cam tente une fois de plus de tout lui mettre sur le dos. Leur relation est loin d'être idéale et il faut que l'asiatique lui mette sur le dos – alors que lui est innocent, il n'est pas celui qui va voir ailleurs à la moindre occasion. Tu te fiches de moi ? Comment tu veux que je sois plus souvent à la maison ? Je bosse je te rappelle, et quand je quitte le boulot je dois aller vérifier si Vane va bien, et faire les courses. La blonde ne serait sûrement pas ravie de se retrouver mêlé à une de ses disputes absurdes mais elle est de toute façon trop loin pour les entendre. Et puis, arrête de me mettre la faute dessus. Si je te suffis plus, tu peux le dire clairement. Ne te cherche pas des raisons.