La rouquine se tenait face à l’immense toile, contemplative et silencieuse. Elle savourait avec délice la sérénité de son après-midi au Musée en parfait visiteur lambda. Quitter les murs de Poudlard pour le week-end restait une satisfaction certaine. Daphné appréciait d’autant plus le retour à la vie londonienne qu’elle n’avait pas parcouru depuis longtemps les corridors couverts de tableaux et de sculptures du lieu d’art le plus couru de la ville.

Elle avait d’ailleurs choisi de profiter de son après-midi en solitaire et ce choix d’être seule était motivé par les nouvelles que lui avait apportées sa famille il y a quelques semaines. Apprendre qu’elle allait être mariée avait sur l’instant choqué la sang-pure qui avait pris conscience que la menace qui planait sur elle depuis quelques années prenait enfin forme. La colère avait bien vite remplacé la mauvaise surprise lorsqu’elle avait su l’identité de son futur époux et la participation de Selena Stomby à cette mascarade. Elle évitait soigneusement de la croiser au Quartier Général les rares fois où elle s’y était rendue depuis que l’accord avait été passé, jugeant inutile de provoquer des effusions de violence – pourtant l’envie ne manquait pas, loin de là.

Observer des peintures restait donc un moyen plutôt efficace de ne pas céder ni à la panique, ni à la fureur. La jeune anglaise sentit un mouvement près d’elle, sur la droite, mais demeura immobile. Elle attendit quelques secondes avant de jeter un bref coup d’œil en coin, reconnaissant immédiatement les mèches blondes et bouclées d’Astoria qui, hasard ou non, avait eu la même idée qu’elle. Certains auraient parlé de connexion entre sœurs, d’autres de simple coup de chance. « Tu crois qu’il fait partie de leur collection privée ou on peut l’acheter ? » questionna Daphné, imperturbable.

Il aurait eu tout à fait sa place dans le grand salon de la maison de Sherkan, songea la rousse avant de se tourner légèrement vers la benjamine qui ne partageait ni sa folie artistique des grandeurs, ni son goût pour l’humour. « Je plaisante. » Décidément, la jeune fille n’apparaît pas comme le public le plus joyeux qu’elle puisse espérer en ce jour. Le visage de sa petite sœur avait d’ailleurs l’air plus que jamais extrêmement soucieux et Daphné n’eut pas besoin d’user de quelconques pouvoirs surnaturels pour deviner ce qui expliquait un visage aussi grave. Le regard qu’elle adressait à son aînée transpirait quelque chose que la rousse n’avait absolument pas envie de voir chez elle, ce qui motiva son soudain soupir. Elle tourna les talons, invitant la plus jeune à la suivre dans sa promenade tout en poursuivant, beaucoup moins amène et légère.  « Je te préviens, Astoria, je ne suis pas d’humeur à supporter les élans de compassion aujourd’hui. » Inutile qu’elle lui manifeste sa peine suite aux récents événements familiaux. Daphné n’en avait pas grand-chose à faire – et ce n’était pas la pitié de sa sœur qui l’aiderait à se sortir de cette histoire de mariage.

Astoria déambule dans les grandes allées du Musée. Ses écouteurs enfoncés dans les oreilles, elle se plonge dans la contemplation des diverses toiles qui ornent les murs, son regard restant parfois longuement accroché à un petit détail qu'elle tente de mémoriser. Depuis sa sortie de Poudlard, la jeune fille occupe ses fins de semaine comme elle peut, se rendant parfois à conférences et expositions variées. Pour elle qui n'a jamais aimé l'art plus que nécessaire – elle trouve ça beau mais y préfère de loin la musique qu'elle considère capable de plaire à n'importe qui – c'est un choix comme un autre. Les musées moldus ont succédé aux sorciers et c'est avec un grand étonnement qu'elle a découvert l'existence de toiles systématiquement immobiles, d'art contemporain bien loin de tout ce qu'elle a toujours connu. C'est pourquoi elle échoue une nouvelle fois ici, dans un de ces temples de la culture sorcière, tentant d'occuper chaque minute pour ne pas plonger dans le sentiment tenace d'ennui qu'elle connaît depuis qu'elle s'est retrouvée seule dès son entrée à l'université.

Son regard se pose sur une rousse un peu plus loin et il ne lui faut qu'une demi-seconde pour reconnaître son aînée. Elle soupire – elle ne voit pas Daphné aussi souvent qu'on pourrait le penser mais ce rythme convient parfaitement aux deux sœurs. Seulement, vu les événements récents – c'est-à-dire l'annonce du mariage de la plus âgée – Astoria avait prévu d'aller la voir, quitte à se pointer sur son lieu de travail ou dans cette maison qu'elle a stupidement récupérée suite au départ de Sherkan. Le hasard fait bien les choses – les chances qu'elles se retrouvent toutes les deux au même horaire dans la même salle sont minimes mais il faut croire que pour une fois la chance leur sourit un peu. Elle range son baladeur dans son sac avant de se poser à côté d'elle en regardant le tableau. La blonde préfère attendre – que Daphné la remarque, qu'elle prenne la peine d'initier la conversation, elle ne souhaite en aucun cas la déranger vu tout ce qu'elle est en train de vivre.

La plus jeune soupire, ne prenant même pas la peine de répondre à son aînée quand elle mentionne l'achat d'un tableau pareil. À ses yeux, Daphné abuse toujours, quand a accepté de vivre chez un mangemort alors qu'elle sait être surveillée, en travaillant au Deus, en utilisant sans le moindre souci une fortune ne lui appartenant pas. Parfois, elle se demande si sa sœur ne cherche simplement pas un moyen sûr de finir sa vie dans les cellules d'Azkaban, et c'est loin de lui plaire. Son regard  croise celui de la rousse et celle-ci ne peut s'empêcher de lui faire une énième réflexion, ce qui lui fait immédiatement lever les yeux au ciel.

— En même temps, tu t'attendais à quoi ?, demande-t-elle en suivant sa sœur dans sa promenade. Ils veulent te marier de force. La compassion d'Astoria n'a rien d'étonnant – elle est réellement désolée pour sa sœur, surtout que cet événement lui rappelle qu'elle aussi devra passer par cette étape à un moment. Les mariages arrangés sont courants dans les familles de sangs purs, surtout que dans leurs cas, leurs parents ont plutôt intérêt à trouver de bons prétendants vu que cela se soldera forcément par l'extinction de leur nom de famille. Je comprends pas pourquoi tu les laisses faire. Tu pourrais refuser. Ce n'est pas si simple et elle le sait très bien. Elle-même préférerait éviter d'avoir à s'opposer à ses parents, et ça bien qu'elle soit moins résignée que sa sœur à accepter ce genre de méthodes datant d'une autre époque. En tout cas, si tu as besoin de mon aide, tu peux compter sur moi. Elles ont toujours été loin de s'entendre à merveille – même avec une seule année de différence, il était rare de les voir traîner ensemble dans les couloirs de Poudlard – mais malgré tout, Astoria n'est pas prête à abandonner sa sœur dans ce genre de situation, surtout qu'elle sait très bien qu'elle sera la prochaine sur la liste.

Le souffle de rébellion qui agitait sa petite sœur était presque aussi attendrissant que comique. Daphné aurait aimé pouvoir confier qu’elle était touchée par cette sollicitude fraternelle, mais le cœur n’y était pas – il avait été anesthésié à toute forme de sympathie ou d’aide depuis l’annonce de cet heureux événement. Les nuits successives de beuverie et les matins de gueule de bois à martyriser des élèves idiots rempoter des Mandragores avaient aussi aidé en ce sens. « Je pensais que tu m’aiderais à choisir la robe. Vu que j’aie au moins un droit de regard là-dessus. » suggéra la rousse, toujours plus cynique. Quelque part on pouvait au moins attendre d’elle qu’elle fasse en sorte de transformer ce jour mémorable en un carnage catastrophique, et la suite le confirmait. « Je pensais à quelque chose de très court, très dénudé. Histoire de marquer un peu les esprits. » Les parents auraient été on ne peut plus ravis de voir débarquer leur fille à moitié nue sur l’autel, mais qu’ils s’estiment heureux si elle se présentait le jour prévu à la cérémonie.

Passé la rage et l’injustice, Daphné s’était noyée dans une ironie hystérique. Elle avait choisi de se foutre de tout, de faire comme si au final tout ça ne l’atteindrait jamais réellement – faux, du début à la fin. Ce mariage était une chaîne indestructible qui l’étouffait et qui avait achevé de réduire en poussière les reliques d’idéalisme en elle. Sa sœur voulait sans doute bien faire en manifestant son indignation et en essayant de la secouer, mais elle devait savoir que son aînée avait déjà passé des heures à réfléchir, en vain, à une solution qui n’existait pas. La sang-pure étouffa donc un rire sarcastique, jetant enfin un regard plein d’une colère muette à l’adresse d’Astoria. « Le simple fait que tu me suggères de refuser ce mariage est une blague en soi. » Comme si un non pouvait faire l’affaire. Comme s’il y avait réellement le choix. Parfois sa cadette était touchante dans sa naïveté à croire que les choses pouvaient évoluer, qu’on n’était pas forcés à suivre le chemin tracé, que le destin n’existait que si l’on décidait de ne pas prendre en main sa vie – cela faisait bien longtemps que la rouquine avait compris qu’elle ne serait jamais véritablement libre. Ces vingt années d’existence n’avaient été qu’un sursit. Leurs parents restaient leurs parents, deux sorciers qui avaient été bercés par des années de conservatisme et de hiérarchie traditionnaliste. Et on ne leur disait pas non.

Elle avait essayé, et elle ne s’y était pas reprise à deux fois tant les éclats de voix et les menaces qui avaient suivi l’en avaient sévèrement dissuadée. « Bien sûr que je leur ai dit non. » poursuivit-elle, imperturbable, reportant son attention sur une sculpture devant laquelle elles passèrent sans s’arrêter. « Mais ça ne change rien. Les mariages arrangés n’ont jamais été faits pour arranger les futurs époux, justement. Sinon tu penses bien que les choses seraient différentes. » Il n’y avait là pas la moindre trace de moquerie, plutôt une forme de conscience logique aiguë sur ce qui était prévisible depuis le début. L’Histoire l’avait prouvé depuis des siècles, et les pauvres petites filles à peine en âge de comprendre quoi que ce soit pouvaient en témoigner.

La jeune femme finit par s’arrêter pour cette fois-ci se concentrer sur la benjamine, qu’elle toisa d’un regard incrédule. « Astoria, je ne sais pas à quoi tu t’attends. Père et Mère ont prévu ça depuis des années, ça devait arriver. Et ça t’arrivera aussi. » Elle espérait bien ne pas lui apprendre quoi que ce soit de nouveau mais si elle-même se retrouvait fiancée à Galaad, que la plus jeune n’espère pas échapper à son tour à cette fatalité. Elle se retrouverait seulement avec un peu de chance liée à un sorcier qui n’était pas un de ses meilleurs amis.

Astoria aurait tout donné pour voir sa sœur autrement que résigné à subir les événements. Elle n'est pas réellement étonnée de la réaction de celle-ci. Elle-même sait qu'elle serait incapable d'agir logiquement dans un cas pareil – cas qui finira par lui arriver dans les années suivantes d'ailleurs. Elle soupire. Daphné a toujours été la plus forte d'eux deux, la plus apte à trouver une solution pour s'en sortir. Mais aujourd'hui, elle est dans la même situation que toute personne soumise à un mariage arrangé – elle est bloquée sans la moindre porte de sortie. La blonde a beau retourner le problème dans tous les sens, elle ne voit aucune porte de sortie. Seul la mort de Galaad pourrait mettre un terme à cet arrangement mais celle-ci n'est pas envisageable. Ce qui gêne le plus Astoria dans le fait que sa sœur doive se marier avec le Stomby, c'est qu'elle sait très bien que ces deux-là sont amis – un des rares que possède la rousse, et elle n'a pas envie que ses parents gâchent une chose pareille. Maintenant qu'elle se retrouve seule, sans le moindre ami, elle ne souhaite pas ça à toutes les personnes qu'elle aime.

— Tu peux pas être sérieuse deux minutes ?, demande-t-elle en lâchant un petit sourire. Le pire, c'est peut-être qu'elle sait sa sœur capable d'une telle chose. Arriver quasiment nue à son mariage est sûrement loin de gêner Daphné, et sa cadette ne peut que l'encourager dans cette idée. Après tout, si là est la seule vague de rébellion permise par leur parent, la rousse doit foncer sur l'occasion qui ne se présentera pas d'aussi tôt. Et pourquoi pas quelque chose de très rouge ? Après tout, c'est aux vierges et aux personnes pures de se marier en blanc. Je suppose que c'est le bon moment pour rappeler à tout le monde que vous n'en faites pas parti. Entre Daphné qui fait partie des mangemorts depuis sa sortie de Poudlard, et Galaad qui est un véritable déchet, Astoria doute que l'un ou l'autre puisse rentrer dans la catégorie des gens respectables. Les Stomby ont encore leurs grands-parents. Peut-être qu'ils feront une crise cardiaque. Et avec un peu de chance, cela pourra peut-être annuler la cérémonie, bien qu'elle en doute pas mal.

Les remarques de sa sœur ont le don de la faire soupirer. Le pessimisme de celle-ci est épuisant, mais ce n'est pas ça qui gêne le plus la jeune fille. C'est plutôt qu'elle a raison en rappelant que rien ne pourra jamais les protéger des décisions parentales. Elles seront bloquées jusqu'à la mort de ceux-ci – mort qui n'est pas prête d'arriver, ce qui laisse entendre qu'elles auront le temps de se retrouver marier avant. Astoria se serait bien passé de toutes ces complications, surtout qu'elle sait qu'une fois son tour, ils ne la lâcheront plus. Elle a déjà refusé de suivre les pas de sa sœur en rentrant chez les mangemorts, ils ne la laisseront pas s'éloigner un peu plus du droit chemin tracé pour les filles Greengrass.

— Je sais tout ça Daphné. Arrête de me prendre pour une idiote, dit-elle en levant les yeux au ciel. La blonde n'a aucune illusion au sujet de son propre avenir. Elle sait depuis Poudlard qu'elle se retrouvera mariée à quelqu'un de bonne famille, plus pour la pureté de son sang que pour ses qualités. Si à l'époque, ça ne le gênait pas trop car la tendance à Serpentard était d'encourager ce genre de procédé, les choses sont différentes aujourd'hui. Le fait de ne plus avoir d'ami la rend plus critique au sujet de ses relations, mais elle se dit en même temps qu'elle n'a plus rien à perdre. Mais je trouve juste ça trop con que tu te retrouves mariée à Galaad. Vous êtes amis. Tu aurais pu demander à Mère et Père quelqu'un d'autre, pour faire traîner les choses. À défaut de trouver des solutions viables sur le long terme, Astoria pense premièrement à comment retarder ce mariage le plus longtemps possible. Je sais que les Malfoy avaient des vues sur notre famille, et c'est pas les seuls. On peut dire aux parents qu'ils ne devraient pas se précipiter. Les Stomby ont beau être une famille intéressante, surtout qu'ils apportent un soutien financier important aux mangemorts, ce n'est peut-être pas la famille la plus importante au niveau de leurs relations avec le monde politique.

Si la toute nouvelle chroniqueuse radio l’exhortait à cesser les plaisanteries badines, la serveuse s’y raccrochait avec une force inouïe. C’était sa seule façon de ne pas jeter concrètement l’éponge. Il fallait qu’elle tire tout l’absurde de sa situation pour la rendre la moins insoluble possible. Sinon, qu’est-ce qui lui resterait à part ses yeux pour pleurer et des années d’une future vie de couple sans amour où ne résulteraient que des enfants possiblement négligés et des éclats de voix permanents ? Même sa carrière de Mangemorte ne rattrapait pas le coup. Servir le Mage Noir n’avait jamais rimé avec accepter des contrats de mariage prédéfinis. Elle était capable de bien des horreurs pour le Lord. Faire couler le sang et les larmes, semer la discorde. Mais quand il s’agissait de devoir affronter un autel, le courage fou s’évanouissait subitement. « Non. Si je suis sérieuse, la seule idée qui me vient donnerait aux plus dépressifs d’entre nous l’envie de se pendre. » Le constat était amer et glacé. Loin de penser à mettre un terme à ses jours, elle n’avait cependant pas vraiment l’impression qu’un avenir radieux se profilait à son horizon.

Astoria se prêta finalement avec un peu de lenteur au jeu de cette déambulation où elles imaginaient les meilleurs moyens de ruiner ce moment solennel. Le scénario innocemment décrit par la blonde ne manquait pas d’attrait. Provoquer plusieurs décès d’un coup dans un lieu aussi sacré que celui qui accueillerait l’union des familles Stomby et Greengrass avait de quoi allécher les esprits les plus retors. « Voilà qui est intéressant. » L’ombre d’un rire secoua brièvement ses épaules. Daphné n’avait jamais sous-estimé les aptitudes de sa sœur à aller à l’encontre totale de leurs parents, elle était même parfois excellente dans ce domaine. « Rappelle-moi de t’inviter aux essayages. » poursuivit la future mariée avec une légèreté amusante. Peut-être que ce mariage aurait du bon pour elles deux. Peut-être que cette épreuve avait au moins le mérite bizarre de les rapprocher. Des années d’une rivalité muette imposée par leurs géniteurs avait creusé ce fossé, il était peut-être temps de le combler. A ce songe, l’anglaise ne sut comment réagir et choisit de passer outre cette tendance éphémère à la réconciliation.

Astoria avait envie de croire qu’il y avait une solution. Elle voulait accorder à la force de la volonté un pouvoir bien plus grand qu’il ne l’était. Daphné devait la ramener sur Terre. « J’ai déjà fait traîner les choses. C’est un record d’avoir tenu deux ans après Poudlard sans me retrouver mariée. » L’aînée souhaitait à la plus jeune de réussir à dépasser ce stade des deux années de quiétude. Elle avait cru avoir épuisé toutes ses ressources plusieurs fois pour s’esquiver à ces histoires d’alliances entre familles de sang pur. « Je n’ai pas prévu de faciliter la tâche à qui que ce soit. Mais ce n’est que ralentir la conclusion, pas la changer. » A l’éternel optimisme rebel de sa petite sœur se heurtait le fatalisme narquois de la rouquine. Elles étaient ainsi faites, l’une disposée à croire qu’elle avait encore la main-mise sur son avenir quand l’autre était déjà au courant depuis trop longtemps qu’elle ne décidait en réalité de plus grand-chose dans son existence. « Peut-être qu’il faudra tuer les parents. » Le pavé est jeté brutalement dans la mare et il va en éclabousser plus d’un. De la part de Daphné Queenie Greengrass, cette menace lancée en l’air est presque incroyable et relève de l’hallucination auditive. Il est impossible d’imaginer la plus âgée des sœurs Greengrass esquisser un coup d’état contre son propre sang. Une fraction de seconde, le regard qu’elle adresse à sa cadette donne pourtant le sentiment inverse. Mais ça ne dure qu’un temps avant qu’un sourire cynique se dessine sur ses lèvres – et qu’elles ne passent au tableau suivant. « Il est hors de question que j’épouse le fils Malefoy. » conclut de façon très directe la rouquine à la manière d’une enfant parfaitement décidée sur son prochain cadeau d’anniversaire. Certaines idées n’étaient même pas envisageables – tout comme certaines personnes, au-delà de la gloire imposée par leur nom de famille, ne lui inspiraient rien qui vaille.

Elle lâche un soupir d'exaspération. Rien ne pourrait plus l'énerver que de donner raison à sa sœur dans ce genre de moments et pourtant Astoria se fait à cette idée. Quoiqu'elle dise ne sera que mensonges, calomnie et rêves voués à l'échec. Cette perspective est d'autant plus sinistre qu'elle ne fait qu'appuyer que leur destin est tracée depuis toujours. Ceux qui pensent que parce qu'elles naissent dans l'opulence, les enfants de sang-purs peuvent se permettent d'être heureuse et de vivre comme elles l'entendent ne sont que des fous. Leurs réalité est tracée depuis bien longtemps et les rares écarts qu'arrivent à se permettent les filles Greengrass ne les rapprochent que de l'inévitable. D'ici deux à trois ans, les deux seront enfin mariée et on leur répétera sans cesse qu'elles doivent accomplir leur rôle de femmes, qu'elles doivent porter en elles l'héritier d'une famille qui n'est même pas la leur. À quoi bon se battre dans ce genre de moments, voilà comment Daphné pense aux yeux de sa cadette. Il n'y a rien de bon à tirer d'elle dans un moment pareil et les mots ne suffiront jamais à la raisonner. Pourtant, elle aimerait pouvoir l'aider, faire quelque chose qui – à défaut de pouvoir sauver sa sœur – lui accorderait quelques autres années de tranquillité. Elle aimerait réussir, aussi bien pour son aînée que pour elle – elle est la suivante sur cette funeste liste, bonne à marier malgré les écarts de conduite, elle qui n'est pas mangemorte et qui apprécie l'inventivité moldue.

— Je viendrai même si tu m'y invite pas. Promis, j'amène à boire, quelque chose de fort, lâche-t-elle finalement, le cerveau toujours perdue dans la tentative de trouver la moindre faille dans le plan qu'ont confectionné leur parents. Mais Astoria n'en voit pas, et vu qu'elle suppose qu'une simple robe rouge ne suffira pas à causer la mort d'une demi douzaine de personnes, il va falloir trouver autre chose. J'espère que Mère sera là. J'ai toujours rêvé de me bourrer la gueule devant elle. Ses yeux se perdent un peu le vide alors qu'elle esquisse un petit sourire amusée. La mettre face à l'échec le plus total, ses filles ne sont pas les parfaites poupées qu'elle rêvait d'avoir. Elles ont toujours vécu avec cette idée, il fallait qu'elles soient parfaites pour la vie en société, conditionnées dès qu'elles ont appris à marcher pour se lancer finalement dans un concours de qui serait la fille la plus parfaite. Regarde ta sœur, elle au moins sait se tenir. Des mots qui l'ont longuement hanté avant qu'elle ne tire un trait dessus. Astoria a lamentablement échoué, tout comme Daphné finalement. Si celle-ci a prêté allégeance à la cause, on ne peut pas dire qu'elle rende fière leurs parents.

Elle ne comprend pas. Daphné a toujours eu cette manie de croire qu'il n'y avait pas de solution alors qu'elle n'hésite pas une seconde à l'affirmer. C'est un début, se persuade-t-elle fortement. Elle préfère vivre avec un semblant d'espoir que d'abandonner aujourd'hui. Sa mère n'a pas encore discuté de mariage avec elle, le cas de sa sœur n'étant pas résolu, mais si elle n'espérait pas s'en sortir, elle se serait peut-être déjà pendue. Après tout, c'est la loyauté de la rousse envers sa famille qui lui porte préjudice. Si elle n'était pas aussi fidèle à ses parents, peut-être les choses se seraient passés autrement. Elles n'ont rien à perdre – du moins c'est ce que pense Astoria dont la plus grande joie actuellement est de pouvoir travailler à la radio.

— Arrête d'être aussi pessimiste. Merde à la fin, à croire que ça te plaît de te retrouver marié de force à Stomby. La nature humaine est bizarrement faite, et elle sait que certaines personnes aiment être à plaindre. Ce n'est pas le cas de sa sœur, elles n'ont pas été élevé comme ça, et pourtant à cet instant on aurait presque l'impression que Daphné se complaît dans sa misère. Elle qui a toujours été si forte, capable d'abattre de véritables montagnes par sa volonté, elle semble aujourd'hui résignée à accepter ce sinistre destin qui se tend à elle. Puis vient l'idée, lancé comme ça, celle qu'elle n'aurait jamais pensé entendre dans la bouche de sa sœur – sa loyale sœur, si traditionaliste par moment qu'elle en devient désespérante. Tuer les parents ?, demande-t-elle interloquée. L'idée n'est pas mauvaise, elle lui plaît assez d'ailleurs. C'est mal de penser une chose pareille quand on sait qu'il existe des centaines d'orphelins qui rêveraient d'avoir un père et une mère mais on ne peut de toute façon pas dire que la figure parentale chez les Greengrass a été vraiment aimante. C'est pas à moi d'avoir ce genre d'idées habituellement ? Parce que tu serais bien incapable de lever la main sur Mère. Elle n'a jamais réussi à comprendre le sentiment d'attachement extrême qu'à développer sa sœur envers sa famille – bien sûr, Astoria l'a, comme chaque enfant, mais celui-ci s'est arrêté quand elle a compris qu'ils ne l'aimaient pas, qu'elles n'étaient qu'un moyen pour eux d'améliorer leur condition sociale. Elle n'a jamais franchi le seuil du malsain comme sa sœur l'a fait, elle refuse de soutenir des gens qui veulent se servir d'elle, et ça bien qu'elle continue au fond d'elle à les aimer comme chaque enfant aime ses géniteurs. Elle s'en sert comme eux se servent d'elle, d'une façon équivalente, mais bientôt viendra le temps de la reprise en main. Et comme la réponse de sa sœur le laisse penser, le fils Malefoy est libre et peut-être qu'il sera pour elle. C'est vrai que c'est un con fini. Mais il n'y a pas que les Malefoy, dit-elle en soupirant. Galaad est peut-être le moins pire mais- Elle s'arrête avant de lâcher un énième soupir en contemplant le tableau devant lequel elles viennent de s'arrêter. Cette conversation ne mène à rien en fait, lâche-t-elle soudainement, comme si la fatalité de sa sœur avait fini par avoir raison d'elle. Elle regarde Daphné, se rendant compte finalement qu'elle est incapable de l'aider dans l'immédiat. Astoria n'a plus qu'à laisser sa sœur face à son destin, attendant patiemment le sien comme une enfant sage à qui on aurait promis une sucrerie.