Kieran erre dans les couloirs, les mains enfoncés dans les poches de son pull. Il tourne à droite là où tout le monde continue tout droit – le couloir interdit lui fait face et il s'y engouffre dans un regard en arrière. Il cherche uniquement un endroit tranquille où consulter la carte du Maraudeur – une chose qui lui permettra de ne pas faire le tour du château pour trouver Killian et lui parler de sa dernière blague. Il se serait bien passé de cette perte de temps stupide mais il comprend que le plus grand n'ait pas voulu passer à la volière pour envoyer une énième lettre à Basile. L'obsession qu'il porte à son cousin est tout sauf bizarre – il voit juste dans la personne de l'auror un héros, et un héros pas au mieux de sa forme qu'il réconforte comme il peut en lui envoyant au moins trois lettres par semaine. Il est maintenant temps de retrouver son jumeau pour lui parler de la dernière blague qui a germé dans son esprit. Mais ça c'est avant qu'il entende des voix un peu fortes et les formes en face de lui. Kieran penche la tête sur le côté et finit par reconnaître Eibhlin – ce qui étonnant c'est qu'elle n'est pas seule, peut-être pour la première fois de sa vie.

— Eh vous !, crie-t-il en comprenant ce qui se passe. Il arrive à leurs hauteurs, un peu énervé, pour voir qu'il s'agit simplement de deux troisièmes années qui ont décidé de s'en prendre à la grande perche un peu perdue des Gryffondors. Allez voir ailleurs ou je vous promets que vous aurez des problèmes. Il se met devant Ei – geste ridicule vu que la blonde doit faire au moins une bonne dizaine de centimètres de plus que lui. Les deux Serpentards s'enfuient alors que Kieran se promet d'en faire les victimes de sa prochaine blague – qui sera cette fois-ci peut-être un peu plus méchante que les autres, il déteste ceux qui s'en prennent à des personnes sans défense. Ei, ça va ? Il se tourne vers la Gryffondor avec un grand sourire. Quelle bande de cons, j'en reviens pas qu'ils s'en prennent à toi. Ça arrive souvent ? Il se rend compte que c'est peut-être la première fois qu'il a une vraie conversation avec elle – et pas simplement des mots lancés au détour d'un couloir comme durant ces quatre années. Il se demande d'ailleurs pourquoi la jeune fille semble si seule cette année avant de se souvenir qu'elle avait une sœur avec qui elle était systématiquement fourrée, une Serdaigle qui a fini par quitter Poudlard. Non parce que si c'est le cas, tu devrais en parler à quelqu'un. Tu as pas des amis qui pourraient t'aider ? Tout le monde a des amis, se dit-il pour se rassurer.

Depuis qu'Armelle n'était plus à Poudlard et depuis qu'elle avait pris quinze bons centimètres, Eibhlin – qui passait plutôt inaperçue aux yeux du monde jusqu'à présent – attirait maintenant un peu plus l'intention sur elle. Surtout une attention qu'elle aurait préférée ne pas vouloir.

Elle avait cogné un Serpentard en passant dans un couloir, avant de bredouiller un « désolée » - Ei était maladroite, c'était un fait, et ce n'était pas la fin du monde. Mais visiblement, c'était un prétexte suffisant pour que le Serpentard et son ami la coincent dans le couloir interdit pour la malmener un peu. Ce genre de choses arrivaient – pas souvent, mais elle arrivait, et cette fois, c'était tombé sur elle. Elle se mordit la joue, les yeux rivés sur le bout de ses chaussures : elle aurait bien voulu être comme la septième année de Gryffondor, qui apparemment savait boxer, ou comme Andy qui n'avait pas la langue dans sa poche mais elle n'était que la (trop) grande Ei qui n'aurait pas fait de mal à une mouche.

Un voix la sortit du mutisme dans lequel elle s'était volontairement plongée, décidée à attendre que les deux élèves se lassent de s'en prendre à quelqu'un qui ne réagissait pas. Ouf. Elle avait beau fixer le bout de ses pieds, elle commençait à avoir les larmes aux yeux et était finalement soulagée que quelqu'un intervienne avant qu'elle ne pleure vraiment. Encore plus si ce quelqu'un s'appelait Kieran. Ei eut un petit sourire de le voir ainsi se mettre devant elle – faisant mentalement le rapprochement avec les chevaliers des histoires qu'Armelle lui racontait, mais se gardant bien d'en faire mention – et hocha un peu la tête

« Euh oui, oui, bien sûr... Merci beaucoup. Ça va maintenant. » Elle se mit à jouer avec des mèches de cheveux – elle était toute seule dans un couloir avec le garçon dont elle était amoureuse ! Il y avait de quoi rougir ! - en essayant de rester calme. « Hein ? Non, non. Enfin, pas vraiment. » Elle n'était pas au point d'être constamment bizuté, bien sûr. Mais Ei n'aurait pas pu dire que ça n'était jamais arriver : mais ce n'était jamais bien grave, de toute façon. « Mais c'est rien, ne t'en fais pas ! » assura-t-elle avant qu'il ne fasse des idées et qu'il la voit définitivement comme une victime.

Des amis... Tout de suite, le sujet difficile – Ei se retins de grimacer à la remarque, se contentant de se concentrer plutôt sur le bout de ses mèches blond-roux, bien plus passionnant, du moins en apparence.

« Oui, oui, mais t'en fais pas, ça arrive pas souvent, il n'y a de problème !  » répéta-t-elle avec un large sourire. « Mais c'était gentil de ta part d'intervenir. »

Les mains enfoncées dans les poches, Kieran regarde un peu rassuré la jeune fille qui se tient en face de lui. Elle a l'air d'aller plutôt bien – chose qui ne serait peut-être pas le cas s'il était arrivé quelques minutes plus tard. En fait, il ne sait pas, il ignore complètement jusqu'à où peuvent aller ce genre de brimades. Il ne les a jamais vécus, personne n'a jamais pris la peine de s'en prendre à lui. Les gens les aiment bien à Poudlard – lui et Killian font rire tous les autres et c'est sûrement ce qui apporte le plus la sympathie. Mais à côté, il est incapable de comprendre pourquoi quelqu'un voudrait faire du mal à Ei. Il a beau ne pas trop connaître la Gryffondor – et ça bien qu'elle soit dans son année – il sait qu'il s'agit de quelqu'un gentil qui serait bien incapable de faire la moindre chose offensante. Alors bien sûr, il fait partie de ceux qui se moquent d'elle occasionnellement – comme par exemple quand il la voit sur le terrain de Quidditch lors de l'entraînement des pom-pom girls – mais ce n'est jamais bien méchant, et il refuse que quelqu'un lui fasse du mal.

— De rien, dit-il un moyennement rassuré. La réaction d'Ei est un peu bizarre – elle semble trop rassurée de les voir partir pour que ça soit la première fois et il ne peut pas s'empêcher de trouver ça triste. Pourquoi se laisse-t-elle faire, pourquoi ne trouve-t-elle pas un moyen de se défendre par elle-même. C'est normal, j'allais pas les laisser faire. Il ne sait pas trop quoi rajouter. Pourquoi ? Il ne va pas lui sortir qu'ils sont amis – ce serait un mensonge, cette fille ne lui a adressé la parole qu'à peine deux à trois de fois en plus de trois ans. Qu'est-ce que tu entends par pas souvent ? Elle tient exactement le même discours que ceux à qui ça arrive régulièrement – ceux qui essayent de se convaincre que ce n'est pas si grave, un événement inattendu dans une multitude de jours paisibles alors qu'en réalité, cela s'ancre de plus en plus dans la routine. Écoute Ei, je sais que tu as pas d'amis, lâche-t-il en faisant preuve d'un manque de tact assez impressionnant. Mais il n'y peut rien – il se rappelle de toutes ces fois où il la voit seule dans les couloirs, ou encore des mots d'Andy qui leur annonce qu'elle la suit partout. Du coup, s'ils recommencent, tu hésites pas à venir me voir pour m'en parler, d'accord ? Killian va sûrement se moquer, lui demander s'il fait ça parce qu'elle lui plaît – c'est faux, il s'agit juste d'une élève qu'il trouve mignonne au passage mais qu'il essaye d'aider comme Batman aide tous les citoyens de Gotham.

Ei fixa le bout de ses chaussures avec un petit soupir – bien sûr, elle avait gagné le gros lot, Kieran devait maintenant la voir comme une pauvre victime, une brimée, une petite fille dont tout le monde se moquait. D'accord, les gens avaient tendance à se moquer un peu d'elle, mais Eibhlin était toujours bien trop optimiste, joyeuse et naïve pour que ça ne l'atteigne réellement. Elle tortilla ses mèches de cheveux autour de son doigt, évitant le regard du Poufsouffle.

« Ben, ça arrive pas souvent ? Je peux compter sur une main le nombre de fois où s'est arrivé. Et ils sont bêtes, ça ne m’atteins pas, tu sais il y a une phrase qui dit que la bave- -  Enfin, c'est pas important, ça. C'est vraiment pas un truc grave, je dis pas ça pour faire croire que je suis pas une victime, c'est vraiment pas un truc qui arrive souvent. » Eibhlin déballa précipitamment sa justification, relevant les yeux pour fixer Kieran, avec une détermination un peu niaise mais touchante.

Les moqueries ne l'atteignaient peut-être pas, mais le « je sais que tu n'as pas d'amis » un peu trop franc (et trop vrai) du garçon lui mit définitivement un coup au moral. Peut-être qu'il ne pensait pas réellement à mal en disant ça, mais le sujet des amis étant un sujet particulièrement sensible, Ei ne pouvait pas s'empêcher de prendre la mouche. Elle croisa les bras, fronça un peu les sourcils, perturbée dans son allure de fille déterminée. Ei fit une petite grimace avant de répondre.

« J'ai des amis, c'est pas parce que je suis pas avec eux tout le temps que j'en ai pas, hein ! » Lâcha-t-elle d'une voix qui trahissait qu'elle était vexée. Et sa phrase sonnait bien trop faux, mais elle n'allait pas passer pour une exclue de la société aux yeux du garçon qui lui plaisait Poufsouffle. « … Mais j'y penserai. Promis. » Elle remit en place une mèche de cheveux en rougissant, consciente qu'elle venait de se contredire – si elle avait vraiment eu des amis, elle n'aurait pas eu besoin d'en parler à Kieran si ça recommençait. Arg. Jamais il ne la verrait autrement qu'une fille bizarre et un cas social – elle venait de griller toutes ses chances, toute seule, comme une grande.  Elle serra la lanière de son sac entre ses doigts.

Kieran lève les yeux au ciel, suppliant intérieurement son frère de venir le sauver de cette situation qui devenait de plus en plus gênante. Que cette fille parle pour ne rien dire, constate mentalement le Poufsouffle face à la remarque d'Ei qui ne semble pas avoir de fin. Il est incapable de comprendre pourquoi elle en fait tout un plat pour si peu – après tout, il si ce genre de gestes est réellement très rare, elle n'a pas à en faire toute une histoire. Il la regarde un peu sceptique, persuadé d'avoir déjà entendu mieux comme justification. Il se promet de poser la question à Andy – si quelqu'un doit être plus ou moins au courant, c'est forcément la batteuse qui risque par contre d'en avoir marre qu'il vienne la voir à chaque fois qu'il a besoin d'une information.

— Si tu le dis... Il est un peu gêné. En réalité, il n'est pas sûr d'avoir suivi tout ce qu'elle lui a dit – c'est quoi cette histoire de bave ? – mais il tente de se rassurer en se disant que l'important n'est pas là. Ei semble aller bien, en partie parce qu'il est miraculeusement passé par là. Je te crois pas vraiment. Ça fait vraiment typique de la personne qui connaît ça souvent, et qui reçoit des menaces pour ne pas le dire. Il ne sait pas d'où il sort cette affirmation – des films qu'il regarde avec son frère à longueur de temps, ou des histoires trouvées dans les comics préférés de Basile aka le plus beau et le plus parfait des cousins.

Il prend conscience d'avoir peut-être vexé la Gryffondor quand il l'entend lui affirmer qu'elle a des amis – un mensonge, il le sait très bien vu qu'il est dans sa classe depuis maintenant quatre ans et qu'il détient sûrement l'arme la plus puissante de Poudlard, c'est-à-dire la carte du maraudeur. C'est le genre de remarque trop franche qui ont tendance à gêner – il lui expose quand même la vérité de façon un peu crue, et vu le potentiel niais qu'elle semble avoir, il comprend qu'elle l'ait peut-être mal pris.

— Eh, c'était pas méchant, dit-il en levant les mains en signe de défense. Je constate juste, mais c'est pas une critique. Il ne se le permettrait pas, il reste après tout assez gentil avec les gens qui l'entourent – sauf peut-être les adultes et les Serpentards. Cool alors, je te fais confiance pour ne plus laisser ça arriver. Cette histoire est bizarre – tout comme cette fille – et il espère juste que ça ne prendra pas des proportions trop énormes.

Eibhlin n’avait plus qu’une seule envie : disparaître de la surface de la terre, retourner au statut de fille qui passait totalement inaperçue, comme lorsqu’Armelle était encore là. Elle se ridiculisait toute seule, comme une grande, encore et encore, comme si elle ne s’en laissait pas. Ce qui pouvait sembler amusant d’un point de vue extérieur, mais dans les yeux de la jeune fille, c’était une véritable tragédie qui était en train de se dérouler, et dont elle était l’actrice principale. Et par Morgane, elle aurait préféré que cette histoire tourne plutôt en conte de fée.
Ei se mordit la joue – Kieran avait raison, elle avait cette attitude cliché de la victime, martyrisée, forcée à garder le silence. Pourtant, il avait tort – elle ne l’était pas vraiment. Elle était juste la fille un peu trop grande qui s’emmêlait dans ses explications alors qu’elle était devant un garçon qu’elle trouvait mignon. Seulement, impossible de lui expliquer ça – elle avait encore un tout petit peu de dignitié…

« Si tu le dis. » Elle secoua la tête et ses cheveux blonds au passage. Bien sûr que non, Kieran n’était pas méchant. Il n’avait pas dit pour la blesser, c’était évident, se rassura la Gryffondor. Elle baissa les yeux en mordillant sa lèvre inférieure. « Désolée, j’aurais pas dû me vexer, tu es venu m’aider, c’est pas comme ça qu’on remercie les gens. » Elle se reprit, relevant la tête : Eibhlin Doherty avait été mieux élevée que ça ! Que dirait ses parents ? « Ça n’arrivera plus, je t’assure. Merci encore. » Elle se retint de proposer à Kieran des compensations du genre prendre son dessert au repas du soir, ou lui proposer des gâteaux qu’elle aurait fait. Il devait déjà la prendre pour une folle sans ça. « Tu sais quoi, je vais pas t’embêter plus longtemps avec ça. C’était déjà gentil de ta part d’intervenir, je vais pas abuser de ton temps. Salut ! »  

La gryffondor serra son sac entre ses mains avant de tourner les talons, s’éloignant de Kieran et tournant au bout du couloir. Là, elle s’appuya contre le mur pour reprendre son souffle et soupira un peu. Elle jeta un rapide coup d’œil à Kieran avant de repartir vers la salle commune – avant qu’elle ne raconte encore plus d’idioties.

Kieran ne comprendra définitivement jamais les réactions de cette fille – elle paraît gentille, innocente et pas désagréable. Et pourtant, elle se vexe durant une minute pour s'excuser par la suite. Un comportement assez inhabituel pour le jeune Poufsouffle qui a plutôt l'habitude de camper sur ses positions. En même temps, quand on a un frère jumeau il faut apprendre à se battre pour ce qu'on veut vraiment, sinon on peut rêver pour avoir la dernière part de gâteau au chocolat ou le dernier cookie. Alors il ne peut s'empêcher de se demander – et ça même s'il sait que c'est un peu méchant – comment fait Ei dans la vie de tous les jours. Quand on n'arrive pas à se décider si on est vexé ou non – quand on ne choisit pas en fait – comment fait-on ? Il l'ignore et il n'est même pas sûr qu'elle se rende compte de ce qu'elle fait alors lui demander ne servirait sûrement à rien.

— T'inquiète pas, dit le batteur avec un petit sourire qui a pour but de la rassurer. Il voit bien qu'elle est stressée – peut-être parce qu'elle n'a pas d'amis et donc que peu de personnes lui parlent habituellement – et il n'a pas envie de la mettre trop mal à l'aise. C'est normal d'aider les gens. Si Killian était là, il est presque certain qu'il serait en train de se moquer de lui, lui rappelant que son obsession pour l'aîné de leurs cousins devient peut-être un peu trop marquée. Mais heureusement pour lui, son jumeau est toujours à un endroit non identifié et le temps presse. D'accord. Je devais y aller de toute façon, je dois trouver Kili.

Il attend que la blonde s'éloigne un peu pour sortir de sa poche la carte du Maraudeur. Ses yeux cherchent rapidement le prénom de son frère alors qu'il oublie complètement la scène qui vient de se dérouler – il y repensera sûrement plus tard, quand il devra parler de son acte de bravoure au plus grand des O'Moore. Mais pour l'instant, le temps presse – il a une blague en tête, un truc géant que Killian ne pourra jamais lui refuser. Une fois le blond localisé grâce à la carte, Kieran reprend sa course à travers les couloirs, basculant au passage quelques personnes sans la moindre importance pour se précipiter vers son frère..