Les ours polaires ont besoin de vous

Unissons-nous contre le changement climatique

La vitrine du salon de tatouage fait désormais partie de son quotidien. Il passe devant plus de cinq fois par jour depuis que son frère a eu la bonne idée de leur trouver cet appartement au Chemin de Traverse. Et comme à son habitude, il ne s'y attarde pas. Même s'il apprécie énormément cette forme d'art, Elias n'a pas prévu de se faire tatouer sur le sol anglais et il préfère attendre son prochain retour sur la terre des caribous pour ça. Mais aujourd'hui est une bonne journée – il a descendu tout son stock aux alentours de l'université, parlé avec des connaissances de la prochaine manifestation à ne pas manquer – alors il ne se presse pas comme toujours dans les allées pleines pour rentrer chez lui où il est presque sûr de trouver un Nemo prêt à l'engueuler pour une raison qu'il a sûrement oubliée. Et c'est à ce moment précis qu'il la voit, à travers la vitrine, cette fille qu'il a déjà croisée deux fois dans sa vie. Il stoppe son skate d'un coup, l'attrape dans sa main, persuadé que c'est le bon moment pour faire demi-tour.

Il revient devant la boutique, un grand sourire aux lèvres. C'est bien elle, réalise-t-il avec plaisir. Il toque contre la vitre avant de lui faire un grand signe de la main et se précipiter vers la porte. Que le monde est petit. Il hallucine de croiser dans un lieu pareil cette fille d'abord rencontrée dans les bois, puis revu dans une manifestation. Le hasard fait bien les choses, il est sûr qu'elle va adorer le recroiser ici. Ils ont après tout eu une conversation très intéressante sur l'importance du syndicalisme la dernière fois.

— Salut toi ! Son ton est peut-être trop enjoué pour une personne qui s'adresse à une parfaite inconnue dont le nom lui échappe encore. J'ai complètement oublié comment tu t'appelais depuis la dernière fois. Moi c'est Elias. Il regarde à gauche et à droite pour voir la boutique vide. Ah, t'as pas grand monde. C'est pas grave, je vais te tenir compagnie. Il dépose contre un mur son longboard avant de s'asseoir sur un siège, posant le carton qu'il se trimbale depuis une heure sur ses jambes. Il l'ouvre pour en sortir un flyer vert  et noir. C'est pour manif écologiste de dimanche. Tu viendras j'espère. C'est d'une importe capitale. Il lui tend le papier. Regarde l'ours polaire là, il va tomber de son glacier. C'est honteux, vraiment. Je comprends pas que les gens puissent continuer à accepter de polluer autant alors qu'on est en train de tuer des animaux majestueux indispensables à l'écosystème.

electric bird.

Non, non, non !

A la solitude !

Les sons de la forêt résonnent dans la petite boutique anglaise de tatouage. C’est une requête bien personnelle, mais c’est ainsi avec Willow : elle a besoin de mélodies variées et toutes particulières lorsqu’elle travaille. Si l’heure d’avant avait été dédiée à des sons rocailleux de guitare électrique et à des batteries exagérées, c’était penchée sur un stencil particulièrement rempli de détails que la jeune fille travaillait. Et le système de musique magique qu’elle avait réussi à faire installer permettait tour à tour de mélanger les styles préprogrammés, rythmant son activité.

Ce matin, le salon était calme, vide d’ailleurs – il n’y avait qu’un rendez-vous en fin de matinée, tout le reste se passerait l’après-midi. Elle se savait donc seule, ce qui était plutôt appréciable pour elle, néanmoins la clochette de l’entrée retentit pour signaler l’arrivée d’un potentiel client. Cependant celui-ci avait déjà chassé cette possibilité, saluant joyeusement la jeune fille comme s’ils étaient amis de longue date. La voix lui était familière, et la brune se concentra sur ce qu’elle faisait pour ne pas se laisser distraire par les perceptions extérieures. « Salut. Willow. Ok. » Elle était bien trop préoccupée pour décrocher autre chose à son interlocuteur qu’elle voyait à peine du coin de l’œil des phrases monosyllabiques.

Cinq minutes plus tard, elle reposait enfin son crayon, s’écarta légèrement du calque parachevé et fit tourner son siege vers le jeune homme qui avait installé sa monture à roulettes dans un coin et lui brandissait un tract. Elle n’avait pas pour habitude de mémoriser plus que de raison les noms et les visages mais l’identité du skateur se rappela assez vivement à ses souvenirs et elle eut l’air de penser « oh, c’est donc toi » sans pour autant le dire, prenant le flyer qu’on lui donnait. « C’est quoi ? »

La réponse à sa question fut formulée en même temps qu’elle commençait à lire les gros titres du papier. Une manifestation écologique, ben voyons. Elias pensait sans doute que depuis qu’ils s’étaient croisés par erreur à ce rassemblement de gens bizarres qui criaient pour une raison floue aux yeux de Will, celle-ci était une farouche opposante qui aimait bien brandir des pancartes et beugler des slogans qui rimaient. Erreur, songea intérieurement la tatoueuse tandis que son attention fut retenue par l’image d’un ours polaire dodu à la fourrure immaculée, bloqué sur son ridicule ilôt flottant, voué à une mort certaine.

« Mmmh. » fit-elle, voulant sans doute se faire pensive – en réalité, la jeune femme se demanda si elle n’avait pas eu l’air de se pourlécher légèrement les babines en voyant un tel bétail. Après tout, peut-être que ça avait bon goût, l’ours polaire … Non, c’était vraiment pas le moment de penser à son estomac. Elle se racla la gorge avant de regarder Elias. « J’veux dire, ouais, ouais, ça doit être cool. » Un silence flotta entre eux, durant lequel la musique bascula pour faire entendre le doux son enveloppant des ukulélés, avant que Willow n’éclaircisse son avis. « Pas le fait que les ours polaires meurent, hein. Je parlais de la manif. » Encore que … Non, Willow n’avait aucune envie d’aller se perdre dans un troupeau de gens en colère et agités. Et puis elle ne voyait pas du tout en quoi se révolter dans une rue de Londres allait faire bouger les choses en Antarctique. Peut-être qu’Elias avait la réponse à sa question ? « Mais concrètement vous allez faire quoi ? Jeter des glaçons sur les gens en signe de protestation ? » Naïve, naïve Willow qui pensait sincèrement ce qu’elle demandait au jeune sorcier face à elle. « Et puis bon, il y a quand même plein de glace … pardon, de place, sur la Terre pour eux non ? » Intérieurement, Willow aurait vraiment voulu pouvoir rire à sa propre blague comme elle l’entendait – c’est-à-dire de manière bruyante et explicite – mais elle sentait bien qu’à la tête d’Elias, cette réaction aurait été purement déplacée et inappropriée. Curieusement, et en dépit de son débit de parole impressionnant, elle n’avait rien contre Elias qui justifiait qu’elle veuille le repousser. Il était même plutôt sympa. Bizarre, mais sympa.

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Les ours polaires ont besoin de vous

Unissons-nous contre le changement climatique

Cette fille est un cas désespéré, se dit-il en l'entendant réagi au sujet de la manifestation. Elle n'a aucunement conscience de l'importance de l'écologie alors qu'elle devrait se réveiller chaque matin en pensant à l'empreinte qu'elle laisse sur Terre pour les générations futures. C'est leur combat, celui de leur génération, qu'ils se doivent de mener pour ne pas voir les forêts disparaître une à une. Pour lui, il s'agit de la chose la plus logique au monde – peut-être même un peu trop d'après ses anciens amis, eux-même parfois fatigués de l'entendre débattre sur le réchauffement climatique. Il réalise soudainement que Willow part avec un désavantage certain – elle n'a jamais vécu au Canada, elle n'a jamais pu camper dans ces magnifiques forêts qui vous font à coup sûr aimer la nature et qui vous donnent l'envie de se battre pour elle. Alors bien sûr, il y a toujours des ratés. Il pense particulièrement à son frère qui se contente de donner à Greenpeace – comme s'ils pouvaient vraiment faire quelque chose.

Alors Elias soupire, l'air blasé en écoutant son idée des plus ridicules. S'il ne s'était pas autant attaché à elle, il partirait sûrement. Mais il a croisé deux fois la jeune tatoueuse dans sa vie, ils ont désormais un passé commun et il ne peut se permettre de l'abandonner. Surtout pas après une idée aussi ridicule – lancer des glaçons sur les gens, il n'aurait jamais pensé entendre quelque chose pareil. La crédulité de sa nouvelle amie le conforte dans l'idée que les anglais ne sont pas de bonnes personnes – elle n'a pas dû en faire beaucoup des manifestations pour penser ça.

— Euh. Willow. T'es sérieuse ?, demande-t-il presque choqué par les propos que tient son amie. Il soupire – il ne peut pas la laisser dans une situation pareille. Ce serait cruel, elle a besoin de savoir. Putain, c'est pas possible. Elle peut pas être plus stupide que Nemo. Comme à son habitude, il marmonne quelque chose d'incompréhensible dans sa langue maternelle avant de se concentrer à nouveau sur le cas Willow. On lance pas des glaçons à la gueule des gens, non. Réfléchis un instant, ça serait totalement à l'encontre de notre message – un véritable gâchis. Alors oui, on peut partir sur l'idée que voir ces blocs de glace fondre dans les rues pourrait sensibiliser la population mais c'est faux. Je vais te dire un truc, il faut faire toujours. Tu retiens, simple. Il marque une courte pause puis la regarder dans les yeux, histoire de voir si elle suit son explication très poussée. Les gens sont trop stupides pour réfléchir. C'est pour ça que la meilleure chose à faire reste les slogans. Ça accroche, les journaux peuvent les reprendre. J'aurais des banderoles, si tu veux tu pourras venir avec moi, pour pas être seule.

Il n'a pas la moindre intention d'abandonner sa seule amie sorcière prête à défendre elle aussi la cause écologiste. Ce serait malvenu surtout qu'il a prévu de l'amener faire toutes les manifestations possibles et inimaginables avec lui. C'est une bonne compagnie Willow – il la trouve drôle, et ça bien que c'est la troisième fois qu'il la voit. Mais il n'est pas compliqué Elias, il lui faut peu pour s'habituer aux gens.

— Tu vois, ici on reprend l'image de l'ours parce que c'est cool un ours. Tout le monde aime les ours polaires, et les gens voient à quoi ça ressemble. Alors que si on dit, venez, aidez-nous, on veut sauver les lemmings, ben tout le monde s'en fiche. Déjà que les ours c'est limite., ajoute-t-il en espagnol pour ne pas décourager la non-initiée à ces événements. Vas-y. On va t'entraîner, argumente. Si tu devais convaincre quelqu'un de faire quelque chose contre le réchauffement climatique et la fonte des glaces, tu diras quoi ?

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Non, non, non !

A la solitude !

Bon. Il n’y avait pas besoin de sortir de thèse en psychologie pour deviner, à l’expression mi-dubitative mi-désespérée d’Elias, que celui-ci n’était absolument pas convaincu par son plaidoyer faiblard. Il avait même l’air un tantinet énervé – et ce qu’il grogna entre ses dents laissa à son tour la tatoueuse perplexe. Elle haussa un sourcil, demandant un peu abruptement. « T’as dit quoi ? » Elle avait horreur de ne pas comprendre ce qui se passait juste sous son nez et l’impression persistante qu’il venait de se plaindre d’elle sans passer par la langue anglaise la titillait dans le mauvais sens du terme.

Comme si cela ne suffisait pas, ce doux dingue se lança dans un discours volontaire sur la méthode à suivre pour convaincre. D’après lui, tout tenait dans un seul mot, et il était plutôt drôle à ses dépends de l’entendre l’évoquer. Simple. Pas exactement comme sa manière à lui d’expliquer les choses, en fait. Will s’empêcha de le dire tout haut, sentant qu’il pouvait y avoir un léger risque diplomatique et qu’elle allait, dans le pire des cas, rallonger sa sentence d’écoute à une demi-heure supplémentaire. Etant donné qu’elle avait déjà un peu de mal à subir les tirades enflammées d’Elias en silence, ne rien dire restait la meilleure option pour passer entre les mailles.

Tout aurait pu se terminer tranquillement, le skater aurait pu reprendre sa monture à roulettes et s’en aller de la même façon qu’il était arrivé. Mais voilà, Elias semblait s’être tout à coup fait une mission, un devoir de lui inculquer les valeurs du bon manifestant de base. Willow fronça les sourcils, pas certaine de faire le lien avec les lemmings, les ours blancs et son manque de volubilité – intérieurement, elle songea même que les lemmings avaient le mérite d’être un peu plus attachants que de puissants prédateurs forestiers et glaciers prêts à vous déchirer les chairs d’un coup de croc. Mais là encore, ça n’apparaissait pas comme quelque chose d’adéquat à déclarer. La brune sentit l’attente silencieuse de son coach improvisé s’abattre sur ses épaules, et elle se mit à bredouiller, un brin hésitante. « Je … Euh … » Allez, il devait bien y avoir quelque chose d’engagé à dire ! « Les ours polaires sont cools et donc … C’est pas sympa si on leur enlève leur habitat ? » Elle avait même fait une petite rime sans le vouloir, mais cette piètre tentative sentait l’échec à plein nez et Will se renfrogna presque aussitôt, reprenant son crayon pour redessiner les contours du stencil. « Désolée … Tu sais Elias, honnêtement c’est très sympa de ta part de vouloir les sauver, mais tu crois que beaucoup de ces ours viendraient avec leurs petites pancartes pour manifester et te soutenir si tu perdais ta maison ? Déjà, je suis pas sûre que les ours polaires parlent anglais et savent tenir des panneaux. Alors bon, pour nous comprendre et nous défendre, on serait mal barrés. Et puis ils auraient plutôt envie de faire de toi leur goûter que de t’héberger dans leur igloo. Bref. »

Willow souffla, non pas parce qu’elle était énervée, mais parce qu’elle avait beaucoup, beaucoup trop parlé. C’était bien là anecdotique d’entendre la jeune fille prononcer plus de deux phrases en moins d’une minute, et surtout pas aussi longues. Visiblement la compagnie du jeune homme l’encourageait à sociabiliser davantage, même si c’était pour débiter des sornettes. En tout cas, son interlocuteur l’avait aussi remarqué – tout comme il avait du se demander d’où lui venaient de telles répliques. Elle sentit une crainte idiote, celle d’avoir un peu trop rabroué Elias, lui chatouiller le cœur. L’anglaise se força à reprendre d’un ton qui se voulait soucieux. « Tu manifestes jamais avec d’autres amis à toi ? »

Il devait bien avoir des copains, ici. Pas possible qu’il soit tout seul. Il n’était absolument pas comme elle : il cherchait la compagnie des autres, quitte à ce que ces derniers n’en veuillent pas. Il parlait, beaucoup certes, mais au moins il animait l’endroit où il se trouvait. Il devait faire partie de ces gens  solaires qui attirent les foules. Bref, il n’y avait aucune raison pour qu’il aille se balader avec des pancartes sans personne à ses côtés. Et si c’était quand même le cas ? « … Enfin, je viendrai, ouais. Tu peux compter sur moi. » Willow n’en revenait pas elle-même de l’effort surhumain qu’elle s’obligeait à faire envers ce type qu’elle ne connaissait que très peu. Non seulement son insistance et ses familiarités auraient logiquement du la rebuter au plus haut point, mais son incompréhension totale pour ces histoires de rassemblements écologiques achevait de démontrer le ridicule de la situation. Elle, la jeune fille accessoirement louve-garou qui adorait bien trop la viande saignante pour devenir vegan, défendre la cause de la faune et de la flore dans les rues de Londres ? N’importe qui la connaissant à minima aurait ri, pensant à une blague. Pourtant, elle venait d’accepter, et au fond d’elle, Will savait qu’elle aurait été incapable de ne pas honorer sa parole maintenant que c’était fait.

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Les ours polaires ont besoin de vous

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La tatoueuse n'est pas vraiment le genre de personne que Elias fréquente habituellement. Ses amis – ceux qu'il a laissé au Canada, et les nouveaux qu'il a déjà eu l'occasion de se faire du côté de l'université londonienne – sont toujours autant voire plus engagé que lui. Et détail très important pour le canadien, ils sont moldus. Des personnes dénuées de tout pouvoir magique qui ignorent tout de l'existence des dragons, des sorts de lévitations et mieux encore, des loups-garous. Le voilà le monde où il préfère vivre – mais son frère en ayant décidé autrement, il se retrouve à sympathiser avec des gens de l'autre monde. Dans le cas de Willow, ce n'est pas un problème. Il la trouve assez sympa malgré sa claire méconnaissance de la vie. Il finit même par rire à sa tentative de persuasion digne d'une enfant de cinq ans. Il n'est pas sûr qu'elle convaincra qui que ce soit au moment venu, mais il ne peut pas s'empêcher de trouver ça attachant – bien qu'un peu déprimant aussi.

— C'est pas sympa si on leur enlève leur habitat, répète-t-il avec un petit sourire aux lèvres. C'est pas encore ça Willow, mais tu finiras par y arriver. Par contre, la rime j'aime bien. Vraiment. Il retient un petit rire. J'approuve totalement même, parce que tu vois ça reste dans la tête. Un peu comme les antibiotiques, c'est pas automatique. Il n'est pas non plus sûr de la convaincre avec ça. En fait, la suite du discours de la tatoueuse lui prouve qu'il risque d'avoir plus de mal qu'il le pensait avec elle. Certaines personnes diraient que son raisonnement n'est pas si stupide – c'est vrai, les ours polaires n'ont rien demandés – mais Elias se contente de la regarder un peu choqué. Euh..., parvient-il à sortir face à cette illogisme pur. Les ours ne vivent pas dans des igloos et c'est évident qu'ils n'auront pas à porter de pancartes. Tu sais, l'ennemi numéro un de la nature, des animaux – de tout ce que tu veux – c'est l'homme. Alors nous, on se bat pour protéger les ours des conséquences de la surproduction, de l'industrialisation globale de la planète qui a causé une hausse excessive de la population. Il regarde attentivement Willow pour être sûr qu'elle le suive. C'est comme quand on manifeste pour l'amélioration de la condition de vie de certains groupes – des réfugiés, des minorités ou même les femmes.

Elias finit par poser le carton qu'il avait sur les genoux par terre pour s'installer en tailleur. La question de la tatoueuse l'étonne un peu – la réponse lui semble tellement évidente qu'il ne s'y attendait pas trop. Des manifestations tout seul, ça fait bien des années qu'il n'en a plus fait. Il aurait pu penser recommencer une fois arrivé dans ce pays où il ne connaissait personne, mais il a finalement rapidement trouvé des gens avec qui passer ses journées.

— Si bien sûr. J'ai pas mal d'amis au niveau de la fac, ils sont cool. On fait partie du même syndicat pour la plupart, et il y a en a d'autres qui sont les potes de potes et avec qui on traîne même s'ils sont dans un parti. On leur pardonne tu sais. Il se doute qu'elle ne sait pas, qu'elle ne comprend pas un mot de ce qu'il est en train de dire. Ce n'est de toute façon pas comme s'il avait prévu d'expliquer son positionnement politique à la jeune fille aujourd'hui – il l'a peut-être déjà fait la dernière fois qu'ils se sont vus d'ailleurs. C'est vrai, tu viens à la manif ? Génial ! Je te promets que ça va être génial.

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Non, non, non !

A la solitude !

La tatoueuse posa son menton dans le creux de sa main, son coude appuyé sur la table, fixant de ses yeux interrogateurs un Elias en pleine critique. Sans totalement désapprouver son effort, il semblait même lui reconnaître un certain intérêt dans le slogan qu’elle lui avait déniché, même si ce n’était pas encore ça. D’ailleurs son interlocuteur s’était remis à parler, vite, et avec des mots qui sonnaient plutôt comme ceux d’un politicien que d’un jeune adulte de son âge. Elias avait sans doute plus de conscience politique qu’elle, se surprit-elle à penser avant qu’une petite voix dans son subconscient lui remémora qu’elle s’était engagée à l’Ordre. Ce n’était pas rien, mais elle ne le faisait ni pour la gloire, ni pour la faune et la flore – et ça, Elias ne le saurait sans doute jamais. « L’homme est un loup pour l’homme, en fait, c’est ça que tu veux dire ? » résuma t-elle, l’ombre d’un sourire dans la voix. Il n’y avait qu’elle pour sortir ce genre d’âneries, et uniquement elle pour y trouver un point d’humour. Là encore, cela échapperait à Elias, mais ça n’était pas bien grave. « Mh-mh. Mais on pourrait protéger tous les animaux, alors. Etendre la manif’ jusqu’aux abeilles ou aux oiseaux. » S’il y avait là encore une part de plaisanterie dans la suggestion de la brune, il n’était pas garanti qu’Elias ne soit pas tout à coup motivé par la possibilité de défendre la cause de tous les insectes de la planète.

Finalement, sa nouvelle connaissance se réjouissait de la voir rejoindre sa cause, même s’il aurait pu compter sur ses amis d’université. Trop tard pour te défiler, Willie. Elle opina distraitement du chef, reprenant son stylo en main. « Ouais. Préviens-moi juste quelques jours avant, que je me prépare. » Sans avoir l’air de vraiment plaisanter, Willow n’avait aucune idée concrète de ce dans quoi elle s‘était embarquée. Elle allait peut-être détester toute cette foule criarde qui braillerait pour la cause des ours blancs. Et être énervée à quelques semaines de la pleine Lune, ce n’était pas la meilleure idée du siècle. « Il faudra pas faire de banderole, hein ? » Une pointe de stress transparaissait dans sa question, comme si

Un coup d’œil vers le carton et la louve remarqua la pile de flyers dont Elias n’arriverait probablement pas à se débarrasser seul. « Au fait, tu veux peut-être en laisser un petit paquet ici ou en coller quelques uns sur l’entrée ? Ca peut te servir. » Will lui désigna la vitrine d’un petit coup de menton. « Bon, ne me refais pas la déco avec non plus. » songea t-elle à tempérer pour prévenir le risque que le mexicain ne choisisse de faire du papier-peint avec ses tracts.

Et puis une fois qu’il aurait fini de coller ses quelques affichettes, il ne traînerait sans doute pas plus longtemps dans ses pattes. C’était le genre de garçons qui donnait l’impression d’avoir mille choses à faire et jamais assez d’heures dans sa journée pour y parvenir. Constamment agité et passionné, Willow se reconnaissait mal dans le caractère de ce jeune homme, et pourtant elle avait du mal à comprendre pourquoi elle était aussi peu réticente à le laisser graviter autour d’elle. Peut-être qu’après tout, quelqu’un comme Elias l’aiderait à baisser sa garde avec les autres. Peut-être que ça pouvait lui faire du bien.

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