Chère Armelle,

Pour être honnête, je ne sais pas par où commencer cette lettre. Certes, j'imagine que tu es une personne formidable, tout à fait digne d'intérêt, mais la vérité, c'est qu'on ne s'est jamais réellement parlés. Nous nous sommes côtoyés pendant presque sept ans, nous nous sommes croisés dans la salle commune de Serdaigle, avons partagé nos repas à la même table mais tout ce que nous avons échangé durant tout ce temps, c'est une poignée de regards timides.

J'ignore même si tu te souviens de moi. Dans le cas contraire, moi je me souviens. Tu lisais beaucoup. Parfois tu écrivais dans un petit carnet et je me rappelle que j'admirais tes gestes frénétiques, comme si rien ne pouvait t'atteindre. Peu importe. Une telle lettre a déjà de quoi surprendre, inutile de me ridiculiser davantage.

Pour mon anniversaire, j'ai eu la chance de recevoir deux tickets pour un match de Quidditch et j'ai réalisé que c'était une occasion comme une autre d'apprendre à te connaître. Je ne sais pas si tu aimes le Quidditch mais si tu veux [des ratures couvrent la fin de la phrase] je comprendrais si tu ne souhaites pas venir. Mais nous pourrions parler de ce que nous sommes devenus après les ASPIC, en toute amitié.

J'espère ne pas t'avoir trop effrayé,
Isaac Delpech.

Chère Armelle,

Je suis infiniment désolé de te déranger. Tu as certainement mille autres choses à faire, mille autres affaires à régler mais je tenais, je devais écrire à quelqu'un et, je ne sais pas pourquoi, j'ignore même si je veux savoir pourquoi, ton adresse m'est venue à l'esprit. Comme un écho familier, un sentiment d'urgence et de nécessité. Je comprendrais toutefois que tu ne souhaites pas me répondre parce que ma lettre te gêne ou qu'une telle initiative te paraît étrange, bizarre. Pour être honnête, je me fais peur tout seul. J'ai l'impression que les mots se bousculent sous mon crâne, que l'instinct a chassé la raison. Le Pr Delpech est mort. Mon frère a été assassiné est mort. Je ne me suis jamais senti aussi seul.

Je pourrais écrire à d'autres, Galaad, Natali ou même Seamus, mais je crains leurs réactions car ils me connaissent. Ils me connaissent et je ne veux pas de leurs condoléances, de leurs regards de pitié, de toutes leurs sollicitudes. Il m'a élevé, tu sais ? Il a été mon père, ma mère et mon frère à la fois. Toute ma famille. J'ai le sentiment que je pourrais m'effondrer à chaque instant et ce n'est pas ce que je souhaite leur montrer. J'aimerais leur montrer que je peux encaisser, pour ne pas les inquiéter, les inviter à continuer à vivre sans trop se soucier de moi, mais c'est faux, Armelle. C'est faux. J'ai tout le temps envie de pleurer. Je suis pathétique et je pense que c'est pour ça que c'est à toi que j'écris, car on n'a fait que s'effleurer, se frôler. On se connaît à peine, on apprend encore. Peut-être que ça passera mieux, je ne sais pas. Je ne sais plus rien. Il y a des secrets qui m'étouffent, des abcès qui ne demandent qu'à être crevés mais que je ne peux décemment pas coucher sur le papier, par respect pour mon frère, par vitalité aussi. Nous vivons à une époque troublée, il serait inutile de le nier. Mais surtout par pudeur. Je ne voudrais pas t'en imposer davantage.

Ils m'ont fait remplir tout un tas de papier. Je crevais d'envie de vomir, je te jure. Ils m’écœuraient, avec leurs foutues manières qui ne cachaient rien d'autre que de l'indifférence. En moins d'une journée, je suis devenu le tuteur légal de ma mère. Elle est folle, tu sais. Elle prenait Clément pour notre père. Plus que tout au monde, elle aimait danser avec lui dans sa minuscule chambre d'hôpital et je me souviens qu'elle souriait alors comme avant. Est-ce que ma mère va recommencer à sourire ? Est-ce que je vais devoir endosser le rôle de mon frère, qui se glissait dans la peau de notre père ? Est-ce qu'on continuera à faire semblant jusqu'à ce qu'on finisse par s'oublier nous-mêmes ? Clément n'avait pas peur des masques, lui. Il savait dissocier le fantasme de la réalité. C'était sans doute pour cela qu'il s'est battu. Ses idéaux l'ont tué.

Est-ce que ça vaut encore la peine de croire, Armelle ?

Je n'assisterais pas à l'enterrement. J'ai trop peur de m'effondrer. Je pense partir ailleurs, le temps de la cérémonie. Voyager l'espace d'un instant aussi fugitif qu'une journée. Remonter sur les traces de mon frère, peut-être. Il a sans doute laissé une lettre, n'importe quoi, qui puisse m'aiguiller sur la bonne voie. Il a toujours été un grand frère si prévoyant. C'est impossible qu'il ait pu me laisser comme ça. C'est juste pas possible. Il fallait que je prévienne quelqu'un alors je me suis dit Pourquoi pas toi ? C'est vrai, après tout, pourquoi pas ?

Alors me voilà.
Et je suis désolé, Armelle, de t'écrire alors que tu n'as rien demandé. Je suis désolé.

Isaac.

Chère Armelle,

Bon anniversaire, ma grande soeur préférée! (Je sais, je n'ai que toi comme soeur alors tu es forcément ma préférée, mais si je devais choisir entre toutes les soeurs du monde, c'est toi que je choisirai, toujours, promis!)

Ca fait plutôt bizarre de fêter notre anniversaire loin l'une de l'autre - ça fait quatre ans qu'on a pas fait ça, je ne suis pas sûre de m'y réhabituer...! En tout cas, tu trouveras dans le paquet tes cadeaux: je t'ai tricoté un pull, j'ai demandé à Parrain d'acheter de ma part une nouvelle édition du Petit Prince que j'avais vu en ville - la couverture est magnifique, tu verras, je suis sûre et certaine qu'elle va te plaire: quand je l'ai vu, j'ai immédiatement pensé à toi. Ensuite, j'ai fais des gâteaux que tu pourras manger avec Isaac autour d'un thé, s'il veut bien sûr, je ne le force absolument pas bien sûr!  

Du coup j'espère que vous allez bien tout les deux. Tu me manques beaucoup Armelle, j'espère que je pourrais venir te voir aux prochaines vacances.  Et tu me raconteras ta vie d'employée au Chicaneur! Et comment ça fait de vivre à Londres, une si grande ville! Est-ce que tu fais des choses intéressantes? J'espère que oui!

Quant à moi, eh bien, tu peux être fière de moi! Je me suis fais des amies! - Enfin je crois. J'ai rencontré une fille il y a quelque temps, elle s'appelle Andy. Je l'ai rencontré en heure de colle! (Oui, j'ai eu une heure de colle, mais ne t'en fais pas, c'était pas très grave.)  Il paraît qu'on se ressemble, mais je ne trouve pas trop: elle est toute petite, blonde et plutôt sportive je dirais? Enfin, elle fait partie de l'équipe de Quidditch. Elle a des mèches roses dans les cheveux, c'est trop joli! Bref, elle est plutôt sympa, même si elle est parfois pas très gentille avec moi.. Mais je suis sûre que ça ira mieux après, ne t'inquiète pas. Ensuite j'ai aussi rencontré une autre fille qui traînait avec elle - elle s'appelle Octavia, qui est plutôt drôle, elle a un peu tendance à rouler sur les gens qui l'ennuie avec son fauteuil, mais c'est vraiment une fille géniale, tu sais ?  Elles sont plus jeunes que moi, mais j'aime beaucoup rester avec elles, je ne m'ennuie jamais! Ah et ... Je crois que je suis amoureuse d'un garçon! Je ne suis pas trop sûre. Je t'en dirais plus un peu plus tard je pense, promis!
Les autres gens sont aussi très gentils, bien sûr. J'envisage peut-être de rejoindre l'équipe des Cheerleaders de Gryffondor? C'est une septième année qui me l'a proposé, alors pourquoi pas?

J'ai hâte que tu me racontes un peu plus sur ta vie à Londres! Tu passeras le bonjour de ma part à Isaac? D'ailleurs, tu peux lui demander sa couleur préférée, je pensais que je pourrais peut-être lui faire une écharpe ou un pull pour Noël, qu'est-ce que tu en penses? D'accord, je m'y prends un peu à l'avance, mais comme j'y pense maintenant, et il faut que je puisse trouver de la laine, et tricoter, ça prends du temps, mine de rien.

Passe un très bon anniversaire, je t'aime très fort. Tu me manques beaucoup! J'espère te voir bientôt?

Eibhlin.

Joyeux anniversaire Armelle !

J'espère que tu vas bien. J'ai appris que tu avais eu tes aspics – je doutais pas un seul instant de toi, tu fais la fierté de notre magnifique pays. Je savais pas trop ce que tu faisais cette année, mais j'ai vu dans le dernier Chicaneur que tu avais rejoint les rangs de la rédaction – bravo d'ailleurs – et puis un ami m'a appris que tu vivais avec Isaac. Je trouve ça vraiment trop cool, j'espère que vous vivez le grand amour.

Sinon, tu dois être étonné de recevoir une lettre de ma part mais j'avais réussi à récolter les dates d'anniversaires de chaque membre du FDIP alors en tant que président je me permets de te déranger aujourd'hui. Parce que joyeux anniversaire ! Et puis, je t'ai choisi un cadeau parce que tu le mérites. Je sais pas si ça peut paraître bizarre – je sais qu'on se connaît pas trop mais j'ai pensé à toi en le voyant dans la boutique. C'est un livre magique de contes de chez nous. Il est super beau à l'intérieur. Par contre, il est écrit en irlandais, mais je me suis dit que tu devais avoir des notions – j'espère.

Sinon, Sybella se joint à moi pour te faire plein de bisous pour cette super journée. Encore un bon anniversaire. ♥

Seamus.

[La lettre est accompagnée d'un cadre avec plusieurs photos qu'il a prises d'eux, dans des situations variés et parfois à l'appartement avec Isaac.]

Yo 'Melle !
J'espère que tu passes de super fêtes dans ta famille, avec ta petite sœur tout ça. Je t'avoue que je regrette un peu la maison et Brooklyn mais on fait comme on peut. En tout cas, j'espère que le cadeau te plaira. Je sais plus quand tu rentres mais j'ai hâte que tu reviennes à l'appartement, même si y'a Isaac et qu'il est cool. J'ai pris plein de photos trop bien pour le journal, je te montrerai.

Allez, à plus !
Dexter.

Sous le sapin, la carte est posée sur un paquet qui contient un pull en laine, une écharpe et deux nouveaux carnets avec un imprimé fleuri vieilli sur la couverture.

Pour la meilleure soeur du monde, du système solaire, de l'univers entier!

Je t'adore plus que tout, n'oublies pas!

Ei

Chère Armelle,

J'ai longuement hésité avant de choisir ton cadeau. Je voulais quelque chose qui te corresponde, quelque chose de simple mais d'original à la fois, d'épuré et de profond – c'est probablement ridicule. Noël étant ce qu'elle est, une occasion de se retrouver plutôt qu'une fête, j'ai pensé que t'offrir un présent la réduirait à son aspect commercial plutôt qu'autre chose. Mais je t'assure de la sincérité de mon acte. Je veux juste te faire plaisir et j'espère y parvenir. Je me suis rappelé (j'aurais eu du mal à l'oublier, pour être honnête) que tu aimais écrire alors je me suis dit que tu appréciais aussi de lire. Je ne sais pas – je me contente d'espérer. Peu importe, un vieux vendeur à Londres m'a assuré que le livre de poésie « Sonnets d'un Sorcier » était une sacrée trouvaille ! Tu m'en diras des nouvelles.

Joyeux Noël et bonnes fêtes de fin d'année, je pense à toi,
Isaac.

« Sonnets d'un Sorcier » est un livre dont l'apparence sobre ne trahit rien de sa particularité : il condamne quiconque parcourt ses pages à parler en vers pendant un laps de temps proportionnel à la quantité de mots que l'on vient de lire. Isaac ne le sait pas mais cela ne va pas empêcher Armelle d'en souffrir. Joyeux Noël, Armelle !

La lettre est rédigée d'une écriture parfois tremblante, comme si le stress l'avait finalement emporté sur la volonté de bien faire de son auteur.

Chère Armelle,

Je sais à quel point ça peut paraître ridicule de continuer à t'écrire des lettres alors que nous vivons dans le même appartement mais j'avais envie de respecter la tradition à cause du travail, je n'ai pas réalisé que la Saint-Valentin approchait – enfin, nous ne sommes pas un couple, bien sûr mais tout de même tu es célibataire ça serait bien si ça ne nous empêche pas de passer un peu de temps ensemble, entre amis ? Je ne suis pas au courant de ce que Dexter a prévu de son côté donc ça ne sera que nous deux mais il est totalement libre de se joindre à nous s'il le désire.

Je comprends si mon invitation te mets mal à l'aise. Je ne sais toujours pas où je t'emmènerais on peut aller ; cependant, c'est toujours sympa de se promener dans Londres, même si on ignore la destination. Ce sera toujours mieux que de passer la soirée à se morfondre chacun de notre côté. Je paierais galanterie oblige, il paraît si ça peut t'arranger. Je ne voudrais pas te ruiner pour une fête que beaucoup critique justement à cause de son aspect économique – quand bien même nous ne sommes qu'amis, évidemment.

J'espère que ta réponse sera positive, j'aime beaucoup être avec toi j'imagine que tu n'as prévu d'autres choses ? Si c'est le cas, n'annule rien pour moi !
Je t'embrasse à ce soir !
Isaac

[Le cadeau est posé sur le bureau d'Armelle au Chicaneur, à côté d'une part d'un crumble cerise et d'une tasse de thé. Il s'agit du dernier livre pas encore sortie au public d'Oscar Carmichael.]

Joyeux anniversaire Melle !

Je savais que tu en rêvais et je me suis arrangé avec la patron pour qu'on puisse t'avoir un exemplaire avant. Avoue que je gère quand même violemment. Mais vu que c'est pas assez pour tes 19 ans, j'ai t'ai pris deux places pour sa prochaine pièce de théâtre que tu trouveras dans le livre. Tu amènes qui tu veux, pas moi de préférence, mais bon si tu trouves pas je serais content d'y aller avec toi, rassure toi.

Encore bon anniversaire, on fête ça ce soir.

Dexter.

PS : J'arrive à partir de midi, on mange ensemble.

[La lettre est accompagnée d'une petite boîte joliment décoré. A l'intérieur, on trouve un vieux palaroid, du papier et des filtres pour donner un air un peu mélancolique aux photos.]

Salut Melle. Je te souhaite un très bon anniversaire. Dexter m'a dit de passer ce soir avec ton gâteau – je crois qu'il avait peur de se foirer – mais je voulais que tu aies ton cadeau en avance. Je sais que c'est plutôt lui qui fait des photos, mais je me suis dis que ça te plairait comme cadeau. Passe une très bonne journée.
Bisous,
Astoria.